Repris de l’article publié par Homonuméricus
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De nombreuses publications récemment parues débatent des relations compliquées entre recherche scientifique et technologies numériques. Ces dernières sont en effet de plus en plus massivement utilisées par les chercheurs, aussi bien comme outils de communication que de calcul.
C’est Chris Anderson qui a lancé le débat cet été avec un éditorial paru dans le magazine Wired dont il est rédacteur en chef. Intitulé « The End of theory », cet essai tente de montrer que l’énorme quantité de données aujourd’hui disponible conjuguée aux capacités de calcul gigantesques que permet la coopération d’ordinateurs en réseau change profondément les conditions dans lesquelles s’effectue la recherche scientifique. Alors que la recherche repose traditionnellement sur la construction d’une théorie et sa vérification par expérience et analyse de données, la science à l’âge du numérique pour Anderson peut se passer de la théorie : la puissance calculatoire peut désormais suffire à établir des corrélations entre les données et dégager des régularités statistiques.
Hypothèse audacieuse ! qui appelle à quelques réponses repérées par Enro, un observateur avisé des relations entre science et société. Rapidement, on relève d’abord que le raisonnement d’Anderson est surtout valable en sciences appliqués ou ce sont des connaissances utiles à l’action qui sont surtout recherchées, alors que tout un autre pan de la science est orienté vers la recherche d’explications de phénomènes, qui ne peuvent surgir du simple établissement de corrélations. Autre type de réponse, bien plus radicale et exprimée avec clarté par l’économiste Alexandre Delaigue sur son blog : les données ne sont pas des morceaux de réalités ; elles sont elles-mêmes construites, le plus souvent en relation avec une...théorie scientifique particulière. Autrement dit, les données ne préexistent pas aux théories ; elles leurs sont intimement liées.
Sans aller jusqu’au point de vue extrême d’Anderson, de nombreux chercheurs constatent cependant que les technologies numériques modifient les conditions dans lesquelles ils travaillent. C’est le cas par exemple de Lisa Spiro, une chercheuse américaine qui publie sur son blog une communication très complète où elle tente de décrire ce qu’elle qualifie de « digital scholarship ». La pratique de la recherche dans ce nouveau contexte explique-t-elle, repose sur la manipulation de toutes une gamme d’outils qui sont loin de se réduire au seul calcul statistique. Plutôt que de construire une représentation globalisante, elle tente de décrire ces nouveaux outils et ce qu’ils apportent au chercheur dans les différentes phases de son travail.
Wikipedia peut-elle être comptée au nombre de ces outils ? Dans un autre article, la même Lisa Spiro pose une question dérangeante : Wikipedia peut-elle devenir une source citable dans des articles scientifiques ? Adoptant résolument une démarche qui ignore les tabous, la chercheuse remarque que le nombre de citations de la célèbre - et controversée -, encyclopédie en ligne augmente régulièrement depuis 2002 dans les publications scientifiques. Allant plus loin dans son investigation, elle s’interroge sur les différentes manières et les usages pour lesquels ces citations sont faites. Pour un certain nombre de chercheurs, sans doute très minoritaires, Wikipedia peut en effet être utilisée comme une source valable, à condition d’être utilisée à bon escient.
Un des reproches que le monde académique fait à l’encyclopédie collaborative en ligne est l’anonymat de ses contributeurs. Cette caractéristique tient en réalité à la technologie de wiki qui l’anime, permettant ainsi à tous de modifier tous les contenus sans avoir nécessairement à s’identifier. Il y a pourtant quelque chose dans les wikis qui est très favorable à la science : c’est leur capacité à favoriser la collaboration. Dans la revue Nature genetics, un chercheur, Robert Hoffmann, présente un nouveau logiciel de wiki adapté au contexte de la recherche scientifique : comme tous les wikis il favorise la coopération et permet à toute une communauté de collaborer dans le domaine des sciences de la vie. En revanche, il est doté d’un système de repérage et de traçage beaucoup plus puissant que les wikis classiques, permettant d’attribuer très facilement les contributions à leurs auteurs.