Les enjeux de la société cognitive en introduction d’Autrans

La conférence de Thierry Gaudin en introductiondes rencontres d’Autrans a marqué les participants.

Nous y avons retrouvé, mis en perspective d’une approche historique, les questions de bien communs publics, de coopération, de logiciels libre, d’appropriation sociale desoutils de l’internet qui nous motivent.

C’est pourquoi je vous propose une publication sur @-brest des notes prises par daniel Kaplan
de la Fing et aussi présentes sur le wi-ki d’Autrans
où vous trouverez de nombreux documents élaborés au fil des rencontres.

Notes de Daniel Kaplan. Les erreurs et omissions sont de mon fait

Inquiétudes sur l’évolution de l’espèce humaine

Si l’on souhaite que la population du monde se mette en équilibre avec la planète, il faudrait que nous soyons 3 milliards sur la planète dans deux siècles. Ce scénario ne tient pas compte de certaines évolutions technologiques, telles que la possibilité d’habiter les mers. Mais il pose la question de nos rapports avec la nature.

Il en va de même de l’effet de serre, avec l’émergence de deux très gros émetteurs, la Chine et l’Inde. Bref, cette mise en équilibre n’est pas vraiment envisagée dans tous ses aspects.

Nous devrions considérer la nature comme un jardin et l’homme comme un jardinier de la nature. Les connaissances de la nature ne sont pas celles de l’homme des villes. Pour connaître la nature il faut vivre auprès d’elle (désurbanisation) et constituer un patrimoine commun de connaissances sur la nature. Par exemple, très peu de gens connaissent encore les propriétés des plantes médicinales, même si les entreprise pharmaceutiques s’y intéressent désormais.

Vers la civilisation cognitive

Nous entrons dans un autre monde, une civilisation cognitive. Mais rappelons que l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Asie du Sud-Est et le nord de l’Amérique Latine n’ont pas encore 10 lignes de téléphone pour 100 habitants. En revanche on voit que les pays qui ont passé ce seuil ont aussi basculé depuis des régimes autoritaires vers des régimes démocratiques, car le réseau ne permet plus ce contrôle centralisé. S’agissant de l’internet, les 10% de la population mondiale ont été passés en 2002, mais pas partout !

Mais on constate que depuis septembre 2002 le comptage de l’internet (source NUA) n’est pas réactualisé. Pourquoi ? C’est de plus en plus difficile de compter, à cause des spams, de l’opacification générale (firewalls). Il y a expansion dans l’opacification, ce qui doit nous faire réfléchir.

La mondialisation n’est pas non plus un phénomène nouveau. Il y a déjà eu plusieurs mondialisations : celle de la route de la soie (on pense en créer une en fibre optique) ; la seconde mondialisation "marine", celle de Christophe Colomb (apparition des cartes) ; celle de l’internet, numérique, est la troisième.

Notre analyse des sociétés contemporaines est une analyse de transformation des systèmes techniques. Ceux-ci changent peu souvent. La précédente transformation était la révolution industrielle. Aujourd’hui c’est la révolution cognitive dont le substrat technique croise écologie, biotechnologie et optoélectronique, électricité et polymères - les nanotechnologies formant en quelque sorte l’intersection. Cette révolution n’est encore qu’à ses débuts. Ces pistes technologiques sont liées entre elles. C’est vrai, non seulement d’un point de vue scientifique avec les nanotechnologies, mais aussi dans l’action : comment les TIC peuvent contribuer à l’équilibre entre l’homme et la nature.

Société de la reconnaissance ou de la désinformation ?

Quelques chiffres doivent nous faire réfléchir :

* Unicode permet de coder 65000 signes. C’est insuffisant pour coder tous les signes nécessaires aux 6 700 langues de la planète.
* Une langue compte au total environ 60 000 (environ 400 000 mots, dont 6 000 usuels. L’univers technologique compte 6 millions de référence. On dénombre entre 6 et 30 millions d’espèces animales et végétales...

... Et de leur côté, les ingénieurs et les "managers" enferment dans 400 mots une réalité qui s’y refuse. Ils prennent le pouvoir par la réduction du vocabulaire.

Aujourd’hui nous ne sommes pas dans une société de la connaissance mais dans une société de la désinformation, hallucinogène. Or l’économie classique suppose des agents informés, lucides, vigilants et rationnels.

L’économie cognitive est avant tout une économie de la REconnaissance. La notion essentielle dans la révolution cognitive n’est pas la connaissance, mais la reconnaissance (qui précède la connaissance, cf. Piaget La construction du réel chez l’enfant). C’est vrai pour les humains, mais aussi pour les machines, les collectivités... La reconnaissance est d’abord une reconnaissance de soi. Ce sont ces processus qui sont à la base du fonctionnement de l’internet. Il faut donc s’intéresser à la reconnaissance et à ses processus.

Quels « communs » dans la société cognitive ?

Il faut notamment reconquérir les "communs".

Il n’y a pas de société sans communs : pâtures communales dans une société agraire ; infrastructures de transport dans une société industrielle ; dans la société cognitive, quels sont ces « communs » ?

Ce sont par exemple : les connaissances des végétaux et animaux ; les connaissances nécessaires pour se soigner (ex. mise du Vidal dans le public, contre lequel se sont élevés les médecins) ; les résultats d’essais des objets commercialisés (cf. Laboratoire national d’essais)...

Quelques informations qui devraient être communes :

  • Les normes : le fait qu’elles soient à la fois contraignantes et payantes est scandaleux. Du côté des normes juridiques, la mise en ligne du JO dans les années 1990 par Adminet était un véritable acte de « reconquête ».
  • Les statistiques
  • Les images satellites (aujourd’hui achetées par les semenciers pour prévoir les famines et identifier ainsi leurs marchés lucratifs...)
  • Les images médicales...

La place centrale de la propriété intellectuelle

Dans la société cognitive, on assiste aussi à une modification des « territoires », des possessions stratégiques. Dans la civilisation agraire, l’important était la possession de la terre ; dans la civilisation industrielle, celle du capital. Dans la société cognitive, l’important est la place qu’on occupe dans le mental : d’où la bataille pour la propriété intellectuelle, les fréquences...

En plus, en matière de propriété intellectuelle, on est dans une logique "winner takes all". Or nous sommes aujourd’hui dans un capitalisme de la démesure : la fortune de la famille Walton (Wal-Mart) est équivalente au PNB de l’Egypte... Et les droits d’auteur ont joué un rôle central dans la constitution des principales fortunes mondiales.

La reconquête des communs pose donc la question de la propriété intellectuelle. Dans l’internet, cela se traduit par le débat sur les standards, les logiciels libres, les langages...

Cette reconquête pose également des questions de la "ville verte", pas à l’ancienne bien sûr.

La commune de Vaour(Tarn) compte 248 habitants et 12 abonnés. La parabole et l’antenne émettrice sont dans la vallée, un relais situé à 1 km et des boîtes de Ricoré permettent de rediffuser et capter le signal, pour que tous puissent accéder à l’internet haut débit. Coût total : de l’ordre de 7000 euros dont 1500 pour le matériel des abonnés... plus le temps de Didier Lebrun.

Réponses officielles et officieuses aux crises

Lorsqu’une société change de système technique, cela s’est déjà produit, c’est un processus lent qui s’accompagne d’une crise de jeunesse. Au début,la technologie rend des services, ça ne pose pas de problème ; puis elle commence a avoir des conséquences sur l’emploi, créant ainsi une crise sociale.

Les réponses officielles au XIXe siècle : les grands travaux et l’éducation pour tous. AU Xxe et XXIe : l’internet pour tous.

La réponse des plus défavorisés est différente : par exemple les Systèmes d’échange locaux (SEL). Mais plus largement, de l’autonomie villageoise aux logiciels libres, ce qui est recherché, c’est une sorte de capitalisme à taille humaine.

On peut penser, en prospective, que le XXIe siècle va vivre trois périodes différentes, d’environ 40 ans chacune :

  • 1980-2020 : Les désarrois de la Société du Spectacle
  • 2020-2060 : La Société d’Enseignement et de grands travaux - autrement dit, on reproduira les modes d’accompagnement de la révolution industrielle au
  • 2060-2100 : La Société de Création, ou "de l’Homo Coca-colensis à l’Homo Sapiens"...

Question : quelle guerre dans l’économie de la connaissance ?

Auparavant l’enjeu des batailles était la possession de la terre. Les batailles capitalistiques sont différentes, elles font des morts mais pas de la même manière - sauf les guerres pour l’approvisionnement en matières premières, qui sont les guerres d’aujourd’hui.

Aujourd’hui il y a également une bataille abstraite qui tourne autour de la propriété intellectuelle : nous la voyons se dérouler sous nos yeux, autour des contenus, des standards, des brevets...

La grande question est de savoir si le mouvement vers la liberté que représente la diffusion via l’internet va, ou non, favoriser l’effondrement du système de la propriété intellectuelle. C’est dans cet espace-là que se situe la bataille, dont l’issue ne va pas de soi. C’est une bataille coûteuse (en frais d’avocats notamment) : le ticket d’entrée pour se plaindre devant les tribunaux américains face à une contrefaçon évidente est de 2 millions de dollars... Est-ce que c’est atteignable pour les petites entreprises, pour les non-américains ?

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Posté le 15 janvier 2004

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