Reprise d’un article publié par Internet actu
Dans Communication interpersonnelle, Débats, Opinions, Santé, longue vie, upfing, par Jacques-François Marchandise, le 31/01/2008.
(magazine en ligne sous licence Creative Commons)
Que nous réserve l’avenir ? Nous savons déjà que nous vivrons plus longtemps, et dans un monde bien plus connecté. Il n’est pas certain que nous ayons encore vraiment réfléchi à toutes les interférences entre ces deux tendances. Nous savons aujourd’hui beaucoup de choses sur deux questions : “quelles sont les pratiques des seniors internautes ?” (voir par exemple l’interview de Jean-Marie Nazarenko, directeur de Notretemps.com) et “comment le numérique peut-il outiller le maintien à domicile et la télémédecine ?” (c’est le cas, notamment, du projet de recherche TAPA mené en 2004 par Hélène Trellu et Philippe Cardon, portant sur la téléassistance pour personnes âgées dépendantes). Ces questions, importantes, doivent être approfondies, mais elles ne sont pas les seules : les seniors ne sont pas seulement un segment de marché et des solutions clés en mains ne suffisent pas à prendre en compte des changements sociétaux d’une telle importance. Qui plus est, elles ne nous aident pas à comprendre où se situent nos choix, et comment nous vivrons plus vieux dans un monde plus connecté. Pour enrichir l’approche que nous, acteurs du développement numérique, avons de ces évolutions démographiques, comme pour nourrir de nos apports les réflexions et les travaux des spécialistes de ! ces questions, la Fing a ch ! [oisi de faire de la “longue vie” le thème de sa prochaine université de printemps et de son troisième programme d’action.
Si nous portons notre regard vers l’avenir en nous extrayant un instant des questions numériques, l’évolution démographique due à l’accroissement de l’âge moyen est, avec les bouleversements environnementaux et énergétiques, l’un des facteurs marquants des prochaines décennies : l’allongement de l’espérance de vie se combine avec le départ à la retraite des baby boomers. Le nombre de personnes dépendantes s’accroît, mais aussi le nombre de retraités en bonne santé, dessinant une réalité contrastée entre seniors à fort pouvoir d’achat et personnes âgées précaires, entre territoires plus ou moins “vieillissants” (parce que leurs résidents vieillissent ou parce qu’ils accueillent ! les seniors), et promettant de grands écarts intergénérationnels. Comme le relève un récent rapport de la Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires (Diact), “tous les aspects de la vie sociale seront affectés par ces phénomènes : la transmission des patrimoines et celle des connaissances, le fonctionnement des services publics et celui des institutions politiques, le marché des voyages comme celui des cosmétiques ou encore l’immobilier, l’urbanisme, le management des grandes entreprises et la vie des PME.”
Vers la 5G, civilisation à cinq générations
Nous sommes là pour nous occuper de l’avenir, pour tenter d’anticiper les changements que produira le développement numérique, mais aussi ceux auxquels il sera confronté. Or la rencontre entre les horizons prospectifs numériques et sociétaux a du mal à se faire. C’était déjà le constat de départ du premier programme d’action de la Fing, Villes 2.0, engagé depuis un an : ceux qui réfléchissent à la ville de demain ne voient les TIC que comme une variable unique parmi plusieurs dizaines, sous-estimant probablement son importance et sa diversité ; et réciproquement, les spécialistes des TIC ont longtemps réduit la ville aux réseaux et aux sites web, qu’il ne s’agit pas de négliger néanmoins. Pourtant, un changement n’arrive jamais seul.
Pour avancer, il va donc falloir nous poser des questions non-numériques, avec l’aide de ceux qui travaillent continuellement sur ces sujets. Une idée directrice nous anime : l’allongement de la durée de la vie ne concerne pas les seuls seniors, ils ne sont pas une catégorie étanche et homogène. Les jeunes arrivent dans un monde plus âgé, où leurs aînés tardent à quitter la vie active. Dans les familles, les quadra et quinquagénaires sont en position pivot entre les deux générations qui les suivent et les deux qui les précèdent. Dans les entreprises, le départ à la retraite a parfois de nouveaux visages, dès lors que l’on ne part pas vraiment, qu’on reste en lien avec son “réseau”, ses collègues, ses métiers, se ! s projets, que la connaissance que l’on détient est valorisée. Dans les territoires, on ne considère pas simplement le vieillissement comme un problème, on commence aussi à identifier les seniors actifs comme une richesse. Cette démarche de décloisonnement (les seniors ne sont pas seulement un segment) nous conduit à des questions de civilisation : la relation d’une société à ses aînés en dit long sur cette société. C’est évident pour les sociétés non-occidentales, ça le (re)devient pour la nôtre. Ce sont donc ces questions de relations, de liens, que nous souhaitons d’abord explorer : le voisinage, l’isolement, la dépendance, l’interculturel, l’intergénérationnel, et bien d’autres. La connaissance de ces liens et ces fractures éclaire notre compréhension du lien social numérique, de ses fertilitées e t de ses limites.
Vie quotidienne
Dès que l’on parle d’espace, d’habitat, de géographie, nous nous trouvons confrontés à de fausses évidences et à de vraies questions. Les seniors sont-ils plus nomades ou plus sédentaires ? Ou les deux ? Faut-il absolument les maintenir à domicile ? Non, tant qu’ils peuvent avoir le choix, faire autrement ; oui, s’il s’agit de leur éviter les hospitalisations inutiles, les fins de vie déshumanisées. La maison connectée est-elle l’horizon ultime ? C’est à juste titre qu’elle intéresse et qu’elle inquiète, mais il semble que les travaux et innovations concernant l’habitat des personnes âgées, dépendantes ou non, tels que les mènent architectes et designers, aient encore peu convergé avec les propositions techniques des industries numériques.! Quelle sera la place de l’internet dans la vie quotidienne des seniors ? Certainement, souvent, un PC connecté dans un coin du salon, posant des questions d’appropriation, d’interfaces, d’instabilité de l’innovation, de médiation ; et à cet égard, de très bonnes études territoriales ou internationales nous en apprennent déjà long sur les pratiques et les difficultés.
Mais l’internet de demain, c’est aussi un ensemble d’objets connectés, fixes ou nomades, capteurs passifs ou dispositifs interactifs, proposant un autre registre d’expériences que celui de l’”internaute”. Dans tous ces cas de figure, les questions de choix apparaissent : comment ne pas subir cette hyperconnexion ? Comment en tirer parti ? Comment choisir d’être soigné à distance ou non, d’être “contrôlé” à domicile ou non ? Et comment ne pas penser que confrontés aux réalités économiques des comptes sociaux, certains décideurs publics et leurs opérateurs pourraient avoir tendance à développer des dispositifs préférant la distance à la proximité, l’automatique à l’accompagn&eacut ! e ;, le contrôle à l’écoute ? Et comment ne pas s’interroger sur l’apparition progressive de quartiers et communes “spécialisés”, ressemblant aux Sun Cities américaines ?
Vieillir augmenté
Parmi les horizons technologiques, le plus impressionnant n’est pas le moins plausible, c’est celui de l’”homme augmenté”, au coeur des visions NBIC portées notamment par la figure du soldat américain invincible sur le champ de bataille, mais dont la deuxième figure emblématique est le senior. Et pourquoi pas ? Quand j’aurai 90 ans, je veux être un cyborg, je veux que ma mémoire défaillante ait le renfort des outils de connaissance interfacées avec mon cerveau, que ma vue augmente au lieu de baisser, et mon audition également, que ma mobilité ne soit pas empêchée, que le monde entier me soit accessible pour les projets de mes 40 prochaines années. Bref, que mon espérance de vie soit une espérance plutôt qu’une déchéance. Faut-il donc que je sois très riche ? Serai-je alo ! rs un monstre ? Les fantasmes comme les tabous empêchent, en la matière, de s’enthousiasmer ou de s’inquiéter, l’effroi diffère l’échange.
Dans ce domaine comme dans d’autres, les questions du “souhaitable” (les questions politiques, donc) doivent être posées, mises en perspective des réflexions éthiques, nourries de l’imagination des innovateurs.
C’est à ces échanges que nous vous invitons dès maintenant et pour les prochains mois, en ligne et à Aix-en-Provence, pour notre université de printemps, les 4 et 6 juin prochain.
Jacques-François Marchandise