La Déclaration d’Autrans 2008

Déclaration des 12èmes rencontres d’Autrans. Le web et l’environnement.

En 2007, alors que le « web 2.0 » prend son envol, les groupes de travail du « grenelle de l’environnement » :

  • d’une part ont déploré le manque d’information de la population et souligné le besoin de sensibiliser les jeunes générations,
  • d’autre part, paradoxalement, n’ont formulé aucune proposition concernant la manière dont les TIC pourraient contribuer à la résolution de cette question et des autres problèmes posés lors de ce « grenelle ».

Deux jours de travail permettent de tracer quelques pistes pour comprendre ce paradoxe et répondre à cet enjeu.

L’objectif affiché de ceux qui ont fait de l’Internet un réseau mondial est, depuis plus d’une vingtaine d’années, de donner et maintenir le pouvoir au bout de la ligne, autrement dit d’éviter qu’il soit capturé par des intermédiaires, tels que les grands médias. Le web actuel, avec les blogs, les wiki, la possibilité de publier non seulement des textes, mais aussi des images et des vidéos, de créer des réseaux sociaux et des univers virtuels, est une étape majeure dans la direction voulue et maintenue par ces fondateurs : le bout de la ligne devient un auteur à part entière, un agent économique, un animateur et un participant au fonctionnement de nouvelles intelligences collectives.

Dès lors, il n’est pas surprenant qu’Internet, bien qu’il ait été largement utilisé pour préparer le « grenelle de l’environnement », ait été le grand oublié de ses conclusions. Ce « grenelle » était en effet une négociation où ne participaient que des intermédiaires : les représentants des mouvements écologistes, ceux des entreprises, les administrations et le gouvernement. Il en est résulté une déclaration d’intention, accompagnée d’une grande opération de communication, au moyen de laquelle tous ces acteurs ont été valorisés dans leur rôle d’intermédiation. Rien d’étonnant à ce que bout de la ligne soit le grand oublié même si, dans les déclarations de principe, on affirme que l’essentiel repose sur les décisions des individus.

Plus généralement, l’ignorance du web par le « grenelle » est peut-être le signe avant-coureur d’une plus profonde crise de l’intermédiation. Car, si l’on essaie de se représenter une société où lagrande majorité des citoyens sont devenus familiers du web, ce qui devrait être le cas dans moins d’une génération, l’intelligence collective s’y manifeste dans des réseaux sociaux, des recueils de données et des débats ouverts et fluides. Le rôle des intermédiaires permanents actuels y est singulièrement réduit. Il ne s’agit pas d’une désintermédiation générale. L’expérience montre, au contraire, que l’intermédiation s’accroît quand de nouvelles communications se mettent en place, ne serait-ce que pendant la phase d’apprentissage. Mais il y a crise dans le sens que d’anciennes intermédiations disparaissent alors que de nouvelles se créent. Il n’empêche que, actuellement, les anciennes résistent. Leur combat d’arrière-garde se manifeste par exemple dans la mission Olivennes. À ce sujet, la société civile assemblée à Autrans :

  • conteste sur le fond, une analyse superficielle, et une orientation vers un système de répression d’inspiration totalitaire.
  • déplore qu’une conférence inclusive et participative n’ait pas été organisée, au lieu de consultations bilatérales.
  • conteste totalement le principe de l’établissement d’un système féodal de « basse justice », basé sur les relations contractuelles avec les FAIs, habillé sous le couvert d’une haute autorité. Ce système féodal est contraire aux principes fondamentaux de la République, et des libertés qu’elle incarne.
  • relève le vice du consentement des relations contractuelles avec les FAIs, car celles-ci n’ont été conclues que sous des pressions inéquitables, soit de leurs actionnaires s’immisçant directement dans leur gestion, soit sous la menace de ne pas obtenir de licence.

De même, le maintien de tarifs téléphoniques élevés, notamment pour l’accès Internet par GSM et pour l’international, après que les droits de douane et autres octrois aient été supprimés, alors que la voix et même la vidéo peuvent être transmis librement par Internet, est en contradiction flagrante avec l’objectif officiel, approuvé au niveau européen, de construction d’une « société de la connaissance » pour tous.

Enfin, on peut se demander si la crise financière qui a pris naissance avec les « subprimes » aux Etats-Unis pendant l’été 2007 n’est pas aussi une crise de l’intermédiation, on pourrait même dire une bulle au vu du gonflement indécent des effectifs et des rémunérations du tertiaire financier.

Dans ces conditions, nous recommandons vivement aux pouvoirs publics de faire leur métier, qui est de servir l’intérêt général, lequel ne se confond pas et se confondra de moins en moins avec l’intérêt des intermédiaires en place.

Le « grenelle de l’environnement » a mis en lumière la nécessaire mobilisation de la société pour aller vers des modes de production et de consommation plus soutenables. Pendant les trente dernières années, les systèmes d’intermédiation en vigueur ont engendré gaspillages et destructions de la nature. Dans le cas présent, il ne s’agit pas tant de faire, mais de ne pas empêcher de faire ceux qui sont en bout de ligne, et aussi de mettre à leur disposition gratuitement les outils et les informations qui pourraient leur être utiles.

À titre d’exemple, on peut citer :

  • 1. Le développement du télétravail, activité professionnelle du bout de la ligne. Le télétravail, entravé par divers règlements et négociations, est dix fois moins développé en France que dans le reste de l’Europe et vingt fois moins qu’aux Etats Unis. Un calcul rapide montre que si 15% de la population active se mettait au télétravail deux jours par semaine (ce qui est en pratique assez réaliste), l’émission de gaz carbonique dans l’atmosphère en serait diminuée de 20 à 30 millions de tonnes par an (l’équivalent de 6 à 8 centrales nucléaires). On ne peut pas dire que ce soit négligeable, au regard des objectifs du « grenelle ».
  • 2. Les informations cartographiques et les observations scientifiques, par satellite ou sur le terrain, de l’état de l’écosystème, acquises avec l’argent du contribuable, doivent être mises gratuitement par Internet à disposition du public. C’est indispensable, notamment, aux agriculteurs, qui ont à anticiper les effets du changement climatique. Par ailleurs, ces mêmes agriculteurs agissent sous l’emprise des conseils que leur donnent les vendeurs d’engrais et de pesticides, faute d’une mise à disposition gratuite des connaissances, souvent acquises sur fonds publics. Il en résulte des pollutions qui mettront peut-être plusieurs générations à se résorber. Cette recommandation rejoint ce qui a été écrit dans la déclaration d’Autrans 2007 au sujet des informations d’utilité publique à mettre à disposition par Internet gratuitement, structurées pour une consultation facile et dans des formats libres.
  • 3. Plus généralement, il est à prévoir que l’acquisition, le partage, la diffusion des connaissances et des savoir-faire seront profondément transformés par l’Internet. D’abord la surveillance de l’écosystème utilisera non seulement des moyens lourds centralisés tels que les satellites, mais aussi la compétence des citoyens en bout de ligne sur le terrain, comme le fait par exemple, « l’environment defense fund » aux Etats-Unis. D’autre part, la France dispose d’un enseignement public, c’est-à-dire au service de l’intérêt général, qu’il faut d’urgence mettre au travail pour concevoir et réaliser les outils pédagogiques du futur, de standard international, car le web ne connaît pas les frontières. Il est vraisemblable que la part de l’enseignement à distance augmentera, mais il ne sera pas le seul à évoluer. Le modèle comportemental de la salle de classe, qui a formaté la société depuis deux siècles, laissera place à autre chose, qui reste à inventer. Pour qu’une civilisation prenne soin de la nature, il faut que l’enseignement lui en ait donné l’envie et les moyens. Ce sont à la fois les outils pédagogiques et le contenu des enseignements qui devront contribuer à la préservation de l’écosystème voulue par le « grenelle ».

Il reste peu de temps. Ce ne sont pas les structures et les intermédiaires actuels, trop lourds et trop occupés à se maintenir en place, qui peuvent faire autre chose que ce qu’ils ont fait depuis trente ans. Ce sont les individus, au bout de la ligne, avec leur conscience, qui peuvent changer les choses.

Posté le 12 janvier 2008 par Michel Briand

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