Reprise d’un article publié par Internet actu
Dans : Interfaces, Communication interpersonnelle, Usages, Articles - Par Hubert Guillaud le 17/12/2007
(magazine en ligne sous licence Creative Commons)
Le programme de recherche Vidi (Video in disguise que l’on pourrait traduire par “vidéo en camouflage”), piloté par Annie Gentes, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Ecole nationale supérieure des télécommunications (Enst), s’est interrogé longuement sur les pratiques, les imaginaires, les limites légales de l’image de soi, essentiellement autour des systèmes de visiophonie. Si les systèmes de vidéo temps réel semblent avoir envahi nos imaginaires depuis longtemps (voir la courte étude .pdf de Nicolas Thély sur la visiophonie d ! ans les dessins animés des années 70-80), quelles sont réellement leurs conditions d’acceptation ? Quels types de relations ces dispositifs favorisent-t-ils ?
Le projet est parti de l’observation des technologies en situation, en partant par exemple de l’offre de Logitech qui consiste à adjoindre un logiciel à ses webcams permettant aux gens de se déguiser lors de tchats vidéo. Les observations ont montré que passé l’amusement des premières minutes, les utilisateurs avaient rarement envie de prolonger l’expérience. “Comment penser une expérience innovante et non pas anecdotique en s’appuyant sur les webcams ?”, se sont alors interrogés les auteurs de l’étude. Le déguisement sert-il la conversation ? Pour quels médias le déguisement a-t-il du sens ?
La webcam entre intimité et exposition publique
“La webcam est à la fois un objet personnel, qui permet de se livrer, de donner en pâture aux autres son visage dans un rapport face à face, mais dans de situations collectives, l’enjeu n’est plus le même”, explique Annie Gentès. “Il y a au moins deux familles d’objets et d’usages en un : le moment d’intimité, où notre visage à nu peut être la porte de notre émotion et de nos affects et le moment d’exposition public. Entre les deux, il y a des degrés de dévoilement progressifs, un peu comme dans un jeu de séduction.”
D’où l’idée d’articuler des études sur le contexte d’utilisation des webcams à une démarche créative. Les auteurs montrent ainsi que malgré les soit-disant échecs de la visiophonie, la vidéo s’insère dans un nombre considérable d’usages, non pas comme une application en tant que telle, mais comme une fonctionnalité supplémentaire dans des services déjà structurés autour de l’écrit, de la parole ou du partage. “La vidéo apparaît non pas comme une killer application, mais comme un objet technique infra ordinaire, comme le dit Georges Perec “qui fait bascul ! er la pratique dans le trivial” : une innovation diffuse. Un usage invisible qui contraste avec sa forte présence dans l’imaginaire : la vidéo est l’outil naturel des interactions.”
“Il se vend chaque année des centaines de milliers de webcams dans le monde, or nous n’avons pas de données quantitatives sur leurs usages. C’est un objet infraordinaire, qui est désormais installé d’office sur nos ordinateurs, dans nos téléphones mobiles… et qui est très peu étudié quantitativement et qualitativement.”
L’acceptabilité de la webcam est encore un champ d’études
“L’idée qui a motivé notre étude était de dépasser les problématiques traditionnelles de la visioconférence qu’étudie très bien Marc Relieu notamment pour s’attarder sur l’utilisation des webcams”, nous explique Annie Gentès. “Pour les webcams de villes par exemple, la question était de savoir qui pose ces caméras ? Qui les regarde et pourquoi ? Pourquoi le Grand Lyon met-il une webcam qui peut être pilotée à distance, sur le toit de la Tour du Crédit Lyonnais ? En quoi le fait de se filmer ou de filmer son envir ! onnement a un apport dans une situation de communication précise comme regarder un match de foot ensemble, partager un déplacement avec quelqu’un de distant… Notre souci était de recontextualiser la question de la vidéo dans la communication : à quoi sert-il d’avoir de la vidéo “en plus” ?”
“Or on connaît mal l’acceptabilité de ces services”, poursuit-elle. “Une partie de mon travail par exemple a consisté à faire une étude sur les webcams de ville. J’ai récolté des récits personnels incroyables comme celui d’un homme, qui, pour avoir une idée du temps, de l’espace et du lieu où vivait sa petite fille à l’étranger, regardait les webcams de l’endroit où elle vivait. Non pas dans l’espoir de la voir passer devant l’objectif, mais bien comme un moyen de se sentir plus proche d’elle en partageant quelque chose de l’atmosphère de l&rsq ! uo ;endroit où elle vivait. Par rapport à une photographie qui fige un instantané, un passé : la webcam représente un présent partagé. Quand on évoque un endroit où l’on doit aller, il n’est pas rare que les gens donnent le lien vers une webcam, afin de mieux rendre compte de l’endroit où ils se rendent. La webcam amplifie le présent : on sait si c’est le jour ou la nuit, on voit si ça change, on est là en même temps que d’autres personnes. La webcam, c’est le présent partagé. Elle permet de mieux partager ce qu’on fait, ce qu’on montre, ce qu’on est, ce qu’on fait ensemble.”
Quels sont les contextes qui font qu’on accepte de montrer son image ?
Une partie de l’étude a porté sur l’analyse des implications juridiques et montre une tension croissante entre la recherche d’une sécurisation croissante de son identité et de son image, et le souhait de pouvoir en disposer librement (voir l’étude .pdf de Raruca Gorea et Wassan al Wahab). Si l’image permet de plus en plus de s’identifier, elle est aussi souvent la marque de l’usurpation d’identité : c’est par notamment par l’image ou son détournement qu’on affiche un faux profil. L’image est de plus en plus un attribut de la personnalité, même dans le virtuel. Le désir de la maîtriser contraste avec les pratiques de modification, de reproduction et d ! e communication libre et sans autorisation. En tout cas, relèvent les auteurs, observer les usages montre que le droit doit basculer d’une logique de protection à un cadre permettant une meilleure création et exploitation de l’image de la personne.
“Pourquoi la visiophonie ne marche pas ? Pourquoi a-t-on un écran sur nos téléphones mobiles et pas sur nos téléphones fixes ? Pourquoi un lieu fixe n’a-t-il pas besoin de proposer une image ? Soit, répondent les sociologues : nous n’avons pas envie de donner à voir notre image, de montrer notre tête au réveil : on ne veut pas d’intrusion dans notre espace intime ! Même si on peut couper la fonction vidéo, on sait que la refuser signifie des choses pour nos interlocuteurs. La vidéotéléphonie n’est pas fonctionnelle nous disent-ils. Mais alors pourquoi Skype avec la webcam fonctionne-t-il ? Pourquoi la téléprésence de Cisco ou d’HP semble-t-elle concluante ? Il y a certainement là quelque chos ! e qui n’est pas étudié, qui passe en dessous de notre regard. Faut-il en chercher la raison dans la différence qu’il existe entre des objets personnels que sont la webcam de notre ordinateur ou la caméra de notre téléphone mobile par rapport au téléphone fixe qui reste et demeure l’objet du foyer ?”
La webcam va-t-elle encore servir à nous montrer ?
Le rôle de la webcam évolue. D’objet porteur d’une image de soi, qui permet une tractation, entre notre image et l’image de l’autre (je te montre mon visage si tu me montres le tien), la webcam devient de plus en plus un nouveau moyen d’interaction. La caméra ne sert plus à se montrer, mais à interagir avec l’autre, comme le montre l’Eye Toy de la Playstation de Sony. On peut d’ailleurs se demander si l’image de soi qu’elle véhicule n’est pas appelée à disparaître pour ne laisser que nos traces : de nos yeux, de nos mouvements, de nos expressions faciales ?
C’est en tout cas ce que montre la dernière partie de l’étude qui a consisté à créer de nouveaux scénarios d’usages en partant de la technique et de ses potentiels sociaux. Les étudiants de l’Ensci et de l’Enst ont ainsi imaginé plusieurs propositions, comme Atome, un projet de Yoan Ollivier et Audrey Richard-Laurent qui consiste à la fois à rendre disponible les images des webcams dans leur environnement immédiat et à les enrichir de messages de ceux qui passent à proximité. Une autre proposition, imaginée par Laure Duchaussoy et Victor Fromond, a consisté en un tchat scénarisé, qui modifie votre image selon votre degré de relation avec votre interlocuteur, pour mieux maîtriser son image et structurer l’espace d’échange, avec des silhouettes de vous-même qui s’éclaircissent selon votre degré d’implication dans un échange. Enfin, le projet image et conversation de Grégory Lacoua, Matthew Marino et Denis Pellerin a consisté à imaginer comment la vidéo peut générer des subtilités de langage appropriées sans prendre le pas ! sur la conversation. Ainsi, ils ont imaginé un Open Di ! splay, c ’est-à-dire un système qui permet de partager l’objet de la conversation : deux internautes regardent un match de foot à distance et le système permet autant de voir son interlocuteur que le match, car les réactions et l’émotion de ses amis participent complètement au plaisir de regarder le match. L’instant Video Messenger permet, lui, d’accéder à une série de clichés de soi dans différentes attitudes pour montrer à l’autre une posture correspondante à l’échange, tout en maîtrisant son image et en utilisant un procédé moins intrusif que la vidéo. Enfin, ils ont également proposé un répondeur vidéo pour messagerie instantanée : car converser en différé ne réduit en rien le caractère spontané de l’échange et permet ! même de développer une nouvelle narration de soi.
Quelles vont être les suites de Vidi ? “Les suites au projet Vidi se concrétisent avec MyLife3D, un projet soutenu par le RNTL, sur lequel travaillent Catherine Pelachaud de Paris VIII, spécialiste de la modélisation des émotions, avec Gérard Chollet de l’Enst, Patrick Horain de l’INT qui travaille sur des interfaces simples de capture de mouvement ! et de l’expression, et la société i-maginer. Notre idée est d’aller plus loin en mettant en place une situation où l’apprenant, sous forme d’un avatar, est en discussion avec un directeur des ressources humaines pour s’entraîner à l’entretien d’embauche en faisant varier les profils du DRH (autoritaire, piégeur…). Comme on le voit, notre problématique est de mettre en scène des dispositifs 3D temps réel qui prennent en compte, via la webcam, nos expressions. A la suite des travaux de Nicolas Auray, on sait ce qu’on projette dans nos avatars, mais on souhaite aller encore un peu plus loin, avec un personnage toujours plus fid ! èle à ce qu’on veut lui faire ressentir, ! ce qu&rs quo ;on traverse comme épreuve. La webcam est assurément un moyen de raccourcir la distance entre ce qu’on donne à la machine et la manière dont elle le rend.”