Lutte contre le piratage : permis à point sur Internet

Repris de l’article publié par Homonuméricus
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Si l’offre légale sur Internet ne parvient pas vraiment à endiguer le piratage, ce n’est pas faute de chercher les formules. Si possible magiques comme l’espèrent les industries culturelles. Paiement à l’unité, systèmes d’abonnement, recettes publicitaires pour payer les ayants droit, tout le monde traque frénétiquement la pierre philosophale.

Mais qui sont ces pirates, ces "hors-la-loi", si l’on reprend les termes de notre cher président (voir son discour) ? Quel est ce "Far Ouest high-tech", cette "zone de nom droit" numérique ? La situation demeure complexe. Un individu qui s’abonne à des formules d’accès à Internet haut débit est tout aussi bien un consommateur de produits en ligne, qu’il faut donc choyer, qu’un pirate en puissance, capable de télécharger toutes sortes de contenus.

Le gouvernement s’est ainsi lancé à l’abordage du piratage, aux côtés des industries culturelles. En septembre dernier, Christine Albanel, ministre de la Culture, confie à Denis Olivennes, PDG de la Fnac, une double mission : lutter contre le piratage et développer l’offre légale. Les conclusions du "rapport Olivennes" sont tombées hier, accompagnées d’un accord tripartite (Etat ; professionnels de l’audiovisuel, du cinéma, de la musique ; fournisseurs d’accès à Internet).

En résumé, l’accord prévoit :

  • des mesures de filtrages des contenus sur Internet,
  • l’envoi de messages d’avertissement aux internautes fraudeurs,
  • et en cas de récidive, une suspension, voire une résiliation de leur abonnement Internet. En échange, les ayants droits et majors s’engagent à quelques concessions :
  • l’abandon total des DRM (mesures de protection qui empêche de lire sur plusieurs terminaux un morceau de musique acheté en ligne),
  • la sortie des films en VOD sera désormais alignée sur celle des DVD (6 mois après la sortie en salle, contre 7 et demi actuellement).

Alors que l’industrie du disque a enregistré une nouvelle baisse de son activité de 22 % sur les neuf premiers mois de l’année et que les ventes de DVD commencent à baisser dans l’Hexagone, le gouvernement fait le pari, en se basant sur des exemples étrangers, que de simples avertissements suffisent dans la majorité des cas à dissuader les internautes de s’adonner à des pratiques illégales de partage de fichiers (P2P). Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, les messages d’avertissement expérimentés par Time Warner Cable ou British Telecom auraient suffi dans 90 % des cas à mettre fin à ces pratiques.

Après un échec relatif de l’application de la loi DADVSI, qui prévoyaient des peines de prison pour les contrefacteurs, le nouveau gouvernement préfère désormais une approche graduée avec des peines civiles et non plus pénales. Il s’agit d’une nouvelle mouture inspirée notamment de la politique mise en place pour le permis de conduire : deux messages d’avertissement puis le passage aux sanctions. Le rapport prévoit une première suspension de l’abonnement de dix à quinze jours en cas de récidive puis, stade ultime, une résiliation du contrat de l’abonné et son inscription dans un fichier d’internautes radiés, sorte de "liste noire", pendant une durée qui pourrait tourner autour d’un an.

"C’est un accord important par ses mesures, et surtout l’unanimité", a assuré M. Olivennes. Pourtant, l’Adami (société de gestion collective des droits des artistes-interprètes) regrette "que les organisations représentant les consommateurs et le public n’aient pas fait partie des négociations de cet accord, alors que l’efficacité des dispositifs destinés à lutter contre la gratuité dépend aussi du consentement du public et donc de son adhésion aux objectifs poursuivis".

"Nous n’avons jamais dit que nous allions éradiquer le piratage, conclut Olivennes ; mais seulement le rendre plus compliqué et plus coûteux pour les petits téléchargeurs ordinaires." Presque immédiatement, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer des mesures répressives, leur inefficacité démontrée et la systématisation des sanctions à travers la mise en place d’une autorité administrative indépendante toute-puissante. "Je veux bien que l’on m’accuse d’être liberticide, ironise M. Olivennes, mais quatre avertissements pour en arriver là, ça ne me paraît pas être un régime de sanctions digne de la Chine ou de la Corée du Nord."

"Surenchère répressive", "police privée du Net", "justice parallèle". Le mots fusent. Les associations de défense des internautes, comme la ligue Odebi, rappellent qu’il est "inacceptable que le pouvoir du juge soit transféré à une autorité dotée des moyens humains et techniques nécessaires à l’avertissement et à la sanction, et chargée d’appliquer le mécanisme de la riposte graduée".

Les industriels de la musique font un pas vers l’ouverture et s’engagent à abandonner les DRM sur les œuvres françaises dans l’année suivant l’instauration de ce dispositif de riposte. Les industriels de l’audiovisuel et du cinéma offrent quant à eux une contrepartie et sont prêts à réduire le laps de temps entre la sortie en salle et la distribution en vidéo à la demande. C’est toujours ça de pris. Mais le jeu en vaut-il la chandelle ?

Force est de constater l’impossibilité juridique des mesures envisagées, notamment à cause des réseaux Wi-Fi, trop perméables qui ne permettraient pas de savoir qui a réellement utilisé la connexion Internet filaire. De plus, quant à la mise ne place de systèmes de filtrage, comment accepter que des personnes privées puissent filtrer et vérifier des échanges privés, licites ou non ? Ensuite, le fait, en cas de récidive du pirate, de devoir couper la connexion à Internet ne réjouit aucun fournisseur d’accès. En débranchant Internet, on risque de couper aussi le téléphone et la télévision pour les abonnés aux offres triple play.

Cerise sur le gâteau, le discours prononcé par le président de la République, lors de la remise officielle de l’accord. La vision d’Internet exprimée par Sarkozy donne à penser : "C’est à une véritable destruction de la culture que nous risquons d’assister." "Pourquoi le citoyen ordinaire, habituellement respectueux de la loi, préférerait s’approvisionner dans des entrepôts clandestins." "(…) des comportements moyenâgeux, où, sous prétexte que c’est du numérique, chacun pourrait librement pratiquer le vol à l’étalage." Et enfin, ma préférée : "La France va retrouver une position de pays leader dans la campagne de civilisation des nouveaux réseaux." (nostalgie de l’époque coloniale ?…)

Ces propos ont immédiatement fait réagir l’April (association française de défense et promotion du logiciel libre), qui considère Nicolas Sarkozy totalement incompétent dans le domaine : "Il parle de comportements moyenâgeux, de vol, mais c’est son discours qui est d’une autre ère et montre qu’il n’a pas compris les différences fondamentales entre biens matériels et créations immatérielles".

Concernant le calendrier de mise ne place de cet accord, le Parlement ne débattra manifestement qu’après les municipales et l’autorité indépendante n’aura sans doute de vrais moyens qu’en 2009. Quant au chef de l’Etat, il a donné rendez-vous dans six mois aux signataires de l’accord "pour faire le bilan" de son application et si besoin est, faire évoluer l’accord. Denis Olivennes nous prévient cependant que le système "ne sera efficace que si son application es massive et systématique". A bon entendeur…

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Posté le 2 décembre 2007

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