La « chaîne du livre » à la croisée des chemins

Entamé depuis plusieurs années, le débat sur l’avenir du livre à l’ère du numérique semble s’accélérer en ce moment en France. Alors que récemment, la commission des affaire culturelles du Sénat examinaitle rapport Valade sur « La galaxie Gutenberg face au « big bang » du numérique », à quelques jours d’écart, la Société des Gens de Lettres organisait un forum sur « une nouvelle dynamique de la chaîne du livre ».
Repris de l’article publié par Homonuméricus
site sous Contrat creative Commons

L’accélération du rythme de la réflexion est provoqué par la conjonction de multiples facteurs qui viennent s’entrechoquer :

Des facteurs techniques tout d’abord, avec l’arrivée promise, programmée de lecteurs numériques (ebooks) de bonne qualité. Après les échecs des années 2000, beaucoup d’acteurs se disent que cette fois sera la bonne. L’expérimentation lancée par Les Echos depuis la rentrée rend beaucoup plus concrète la perspective d’un basculement massif vers une lecture numérique [1]

Du coup, l’attention portée par les acteurs de la « chaîne du livre », comme on dit, aux évolutions possibles de leur modèle d’affaire devient plus aigüe. Or, ce qui est en train de se passer dans le secteur de la musique, considéré, à tort ou à raison, comme précurseur pour les autres secteurs des industries culturelles, n’est pas pour rassurer ces acteurs. Les récentes décision d’artistes de purement et simplement quitter le navire des labels pour s’auto-distribuer sur Internet encouragent ces inquiétudes. Par ailleurs, l’explosion en cours du paysage de la presse, que nous signalions récemment, fait paraître la menace encore plus proche.

Sur le plan politique et juridique maintenant, des grandes manoeuvres semblent se dérouler dans les coulisses de différents ministères. La récente tribune de Valérie Pécresse, sur le mode du toujours plus de tuyaux, toujours plus d’ordinateurs, apparaît en léger décalage par rapport à la réalité des enjeux. Les enjeux, ce sont les négociations engagées dans le sillage de l’adoption de la loi sur les Droits d’Auteur et Droits Voisins dans la Société de l’Information (DADVSI). Cette loi doit en particulier avoir d’importantes répercussions sur les politiques de numérisation des ouvrages dans les bibliothèques mais aussi, sur les usages des contenus numériques dans l’enseignement et la recherche. Un excellent dossier, publié récemment par l’Association des Professionnels de l’Information et de la Documentation tente d’éclairer la réflexion. Le moins que l’on puisse dire, est que la situation post-DADVSI n’est pas moins compliquée que celle qui l’a précédée. Une chose ressort assez bien de ce dossier toutefois : la DADVSI, et les accords sectoriels qui l’accompagnent ouvrent la porte à des transferts monétaires massifs depuis l’Etat vers le secteur privé de l’édition, pour « compenser » des usages dont le champ, la définition et l’extension sont pour le moins problématiques.

Quid des usages justement ? Du côté des bibliothèques, et de leurs programmes de numérisation, la rencontre entre la Ministre de la Culture, Christine Albanel et le président de Google France a jeté un trouble. Après les initiatives sur un air de croisade anti-Google des années précédentes, le changement de pied est assez radical. Sans doute faut-il y voir le passage de témoin d’un Président à un Autre. Pendant ce temps, la British Library vient de s’engager, avec l’aide de Microsoft, dans un important programme de numérisation, limité, il est vrai, au domaine public.

Du côté de l’édition, les choses avancent assez peu sur le plan des réalisations concrètes. L’exposé d’un spécialiste de la question au cours d’un séminaire intitulé « Création et réception en ligne : quels déplacements dans la chaîne éditoriale ? » fut éloquent. Pour David Douyère, le positionnement des éditeurs face au numérique, est pour le moins « paradoxal ». Euphémisme académique pour dire qu’il est faible, hormis dans quelques secteurs très limités. Il semble bien que nombre d’éditeurs, et pas des plus marginaux, consacrent davantage d’énergie à courir les tables-rondes, conférences et autres consultations pour adresser à la puissance publique leur inquiétude concernant la stabilité de leurs revenus futurs qu’à expérimenter en entrepreneurs qu’ils sont pourtant, de nouveaux services permettant de les assurer dans un environnement en complet bouleversement.

L’expression de « chaîne du livre », très employée dans tous ces débats est assez particulière, car elle a tendance à faire sortir de la réflexion les deux derniers maillons qui la composent, à l’un et l’autre bout : les auteurs d’un côté, les lecteurs de l’autre. Or, ce sont ces deux maillons précisément, souvent subordonnés par les acteurs de ladite chaîne, qui trouvent, avec les technologies numériques, de nouvelles opportunités pour s’adonner à leur passion : lire, écrire. Peut-être faudrait-il songer qu’à l’heure des réseaux numériques, le modèle même de chaîne, qui renvoie à un mode d’organisation et de division sociale du travail daté, a peut-être perdu de sa pertinence.
Notes

[1] Voir à ce sujet les modulations qu’il convient d’apporter à ce point de vue, ainsi que les indispensables réflexions d’Alain Giffard sur le sujet

Posté le 13 octobre 2007

©© a-brest, article sous licence creative common info