Publications scientifiques financées par la pub... on y est

Il y a longtemps que cela fait partie des peurs,
certainement irrationnelles n’est-ce pas, de ceux qui
regardent l’évolution du secteur économique des publications
scientifiques....

Une tribune reprise d’un texte d’Hervé Le Crosnier

Mais c’est fait. Ce week-end, Elsevier, numéro un
mondial de la publication scientifique, vient d’ouvrir
le premier site spécialisé financé par la pub.

OncologySTAT (http://www.oncologystat.com/) vise
les cancérologues en leur apportant toute l’information sur
leur discipline, et l’accès gratuit aux publications
de Elsevier (et aux autres, si elles sont aussi
d’accès gratuit).

Financement : la publicité et la gestion des profils
des cancérologues.

"The New York Times" aujourd’hui :
"Elsevier hopes to sign up 150,000 professional users within the
next 12 months and to attract advertising and sponsorships,
especially from pharmaceutical companies with cancer drugs to
sell. The publisher also hopes to cash in on the site’s list of
registered professionals, which it can sell to advertisers."
http://www.nytimes.com/2007/09/10/b...

Ce nouveau portail est la tentative de Elsevier de faire face
au croisement des courbes d’usages. Une enquête de Manhattan
Research indique que le nombre de médecins et pharmaciens qui
lisent les revues en ligne a augmenté de 27 % dans les deux
dernières années, alors que la lecture des versions imprimées
décline de 14%.

C’est une tendance générale : les individus, dans toutes les
professions s’habituent à la lecture sur écran, et peuvent donc
de plus en plus aisément appréhender des textes, parfois fort
longs, sur ce médium. Et imprimer à la demande les textes qu’ils
jugent les plus important, grâce au format pdf.

Comme la musique aujourd’hui, l’heure des revues imprimées est
comptée. Editeurs et bibliothéques scientifiques doivent se
préparer à ce grand chambardement.

Mais le web est de son côté en train d’évoluer vers un système
global de gestion de l’identité. Nos profils valent, et les
systèmes capables de les enregistrer et les valoriser auprès
de tiers intéressés à un contact ciblé sont en train de devenir
le nouveau filon d’or pur du réseau.

Quand nous devons nous décrire pour accéder "gratuitement" aux
revues scientifiques de Elsevier, nous offrons beaucoup :

  • la possiblité d’être contacté (influencé donc) par les
    marchands... en l’occurence les vendeurs de médicaments
    anti-cancéreux
  • nos yeux pour lire (subir ?) la publicité qui est sur le site
  • la trace de nos actions sur le site (i.e. les "mises en
    relations, en correspondance qu’un chercheur effectue quand il
    croise ses propres lectures)
  • la liste de nos mots-clés, de nos équations de recherche, tous
    instruments pour anticiper sur les travaux... une mine pour la
    fouille de données, qui ne permet pas seulement d’améliorer
    notre profilage, mais aussi de découvrir des "fronts de
    recherche" et d’anticiper. Je n’ai pas encore dit "espionage
    industriel", mais j’y pense fortement ; il faudra suivre de
    près....

Enfin, toutes les interrogations qui existent déjà sur la
validité des publications scientifiques dans le domaine des
médicaments, très fortement soumises à la pression des grands
laboratoires, vont se trouver reposées. Soyons réalistes : si
l’industrie de l’influence investit dans la publicité au point
de soutenir la croissance d’un mastodonte économique comme
Elsevier, c’est bien qu’elle en espère des retombées sur sa
propre activité.

La science peut-elle y gagner quelque chose ?

L’indépendance des recherches est-elle encore nécessaire ? Si
nous croyons que oui, que la science est une activité qui met en
cause l’ensemble de l’organisation sociale et qu’elle est trop
sérieuse pour devenir un quelconque "programme" susceptible de
capter l’attention des "tranches de cerveau [spécialisé]
disponibles"... alors il est temps, et plus que temps, de
réfléchir au modèle qui se met en place.

Le libre-accès aux publications scientifiques, tel qu’il a été
défendu par les chercheurs depuis plus de dix ans, et qui est
défini dans l’Appel de Budapest de 2000 ne peut pas se
confondre avec "l’accès gratuit financé par la pub et le
profilage".

Le "gratuit" n’est pas toujours "libre". De moins en moins
d’ailleurs, avec la mainmise de l’industrie de l’influence sur
le réseau informatique.

Caen, le 10 septembre 2007
Hervé Le Crosnier


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Posté le 10 septembre 2007

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