UpFing 07 : L’innovation les yeux bandés

Reprise d’un article publié par Internet actu
Dans : Opinions/ Usages/ Coopération - Par Hubert Guillaud le Dans : Enjeux, débats, prospective, Communautés, Communication interpersonnelle, Economie et marchés, Interfaces, Normes et standards, Coopération, Comptes rendus - Par Jean-Marc Manach le 5/06/2007

(magazine en ligne sous licence Creative Commons)

Conviée à intervenir sur le sujet de l’“innovation les yeux bandés“, Clarisse Herrenschmidt, chercheuse au CNRS, enseignante à l’INALCO et à l’Université de Paris 8, nous a offert un exposé magistral – et très drôle - sur l’invention de l’écriture (son intervention peut aussi être consultée en vidéo). Pour ceux qui souhaiteraient aller plus loin, Clarisse Herrenschmidt est aussi l’auteur de “L’Internet entre écriture, parole et monnaie ou l’étrange cadeau des Anciens“. Libération l’a récemment interviewée suite à un article consacré à son de ! rnier livre, Les Trois écritures, langue, nombre, code (Amazon, Fnac). Verbatim.

Je ne suis pas spécialiste d’informatique mais, “au contraire”, linguiste, philologue et anthropologue, et je travaille sur l’histoire et l’anthropologie des écritures. Les écritures comprennent trois aires d’application : les langues naturelles - celles avec lesquelles un enfant apprend la possibilité de signifier oralement avec son corps - ; les nombres - entités à double face, arithmétique et linguistique ; et le code qui transforme tout en nombres binaires.


Les inventeurs de l’écriture ? Des mecs qui comptaient les chèvres

Les langues naturelles (langues latine, grecque, chinoises, éthiopienne, etc.) connaissent plusieurs systèmes graphiques, qui sont d’une part des façons de dessiner, de l’autre des analyses de la langue (quelle est l’unité linguistique que l’on va privilégier dans le graphique : le mot, la syllabe, la consonne, les consonnes plus les voyelles ?), analyses qui ont été réalisées entre 3200 et 800 avant notre ère. On ne sait rien de ceux qui ont fait tout ce “boulot”, on sait par contre que, depuis, les humains de la région du monde dont je m’occupe (Moyen-Orient, Proche Orient, Grèce, Italie, Europe et ses extensions appelées ensemble Occident) se servent des acquis anciens depuis longtemps et ont manifesté une certaine tendance à compliquer les choses pour rendre l’apprentissage de l’écriture assez difficile — je pense à l’orthographe française.

Du point de l’écriture des langues, nous sommes donc modernes depuis 2800 ans (date de la naissance de l’alphabet grec complet notant consonnes et voyelles, dont nous dépendons). Mais les inventeurs de l’écriture des langues, en 3200 avant notre ère, à Suse en Iran et à Uruk en Irak (pour ne parler que des grandes villes), ne savaient diable pas ce qu’ils faisaient. C’étaient des scribes, des comptables, pas du tout des chamanes qui allaient voyager dans les signes, mais des types qui faisaient leur travail, en dénombrant des jarres de grain, des moutons et des chèvres. Ils étaient chargés du contrôle de l’économie et des populations, d’une forme de mainmise sur la vie sociale, sur les catégories de la hiérarchisation sociale dont ils dressaient des listes : mesures, titres sociaux, temps et dieux, puisque tout se faisait dans l’idée de la surveillance divine.

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Posté le 7 juin 2007