Le défi numérique des territoires : Avons-nous besoin de services publics 2.0 ?

Ce texte est le second d’une série d’articles consacrée à quelques questions nées de la préparation de l’ouvrage Le Défi numérique des territoires qui vient de paraître aux éditions Autrement (Amazon, Fnac). Ce livre, dirigé par Christian Paul, député de la Nièvre et animateur de la commission TIC de l’Association des Régions de France, a été initié et réalisé en partenariat avec l’Association des Régions de France (ARF) et la Fondation internet nouvelle génération (Fing), qui a largement contribué à son contenu. Sans se substituer à sa lecture, il nous semblait int&eac ! ute ;ressant de vous faire partager certains des éclairages qui l’alimentent et qui ne manqueront pas d’alimenter vos propres réflexions

Reprise d’un article publié par Internet actu
Dans : Opinions , Politiques publiques, gouvernance , eAdministration , Territoires - Par Invité extérieur le 27/04/2007

(magazine en ligne sous licence Creative Commons)

Services publics 2.0 ? Il serait tentant avec cette formule de se lancer dans une description du web 2.0 appliqué à l’internet public et à l’administration électronique : une évolution vers des sites plus participatifs, prenant le meilleur de Flickr ou de Technorati, tirant davantage parti du blog, du podcast ou encore des wikis. Cet exercice pourrait être intéressant - et s’avère de toute façon indispensable : dans ce domaine, la tendance est à des approches modulaires et multipolaires, dans laquelle chaque acteur public pourra assembler des “briques” de contenus et de services en ligne, tout comme l’agent pourra composer lui-même son bureau virtuel, et le citoyen sa propre interface avec l’administration.

Mais s’agissant de penser la “prochaine génération” de services publics, l’enjeu ne se résume pas à mettre plus de numérique - fusse-t-il 2.0 - dans les politiques publiques, mais plutôt à concevoir autrement des services publics différents.

Une autre façon de penser les services publics

En appeler à une nouvelle façon de les concevoir ne signifie pas qu’il n’y ait pas d’innovation au sein des services publics, bien au contraire : c’est plutôt la difficulté du système à intégrer les améliorations qui pose souvent problème. La courroie de transmission est distendue un peu partout entre les acteurs : entre l’idée initiale et sa mise en pratique, entre le concepteur et l’utilisateur, entre le stratège et les agents en première ligne, entre les grandes politiques descendantes et leur mise en oeuvre sur le “terrain”. Souvent, les projets parachutés échouent, et le gisement d’innovation local ne remonte pas. Bien entendu, certaines structures ont la capacité de résoudre ce problème elles-mêmes, mais ça n’est pas le cas du plus grand nombre. Il manque, à tous les étages, entre les organisations et en leur sein, une nouve ! lle culture de l’amélioration continue, de nouvelles fonctions d’intermédiation dépassant les tutelles habituelles, et une vraie communauté d’acteurs en réseau. C’est aussi à ce prix qu’on verra des applications informatiques plus évolutives, rendant mieux service à leurs utilisateurs, et s’ajustant mieux à leurs besoins.

La culture du libre, aux portes de l’Administration

Les premiers pas du libre dans l’administration fournissent une intéressante illustration du fossé qu’il nous faudrait franchir. On pourrait dire, d’un côté, que le logiciel libre a plutôt bien réussi sa percée sur les ordinateurs des administrations. En revanche, la culture et les principes simples qui le sous-tendent (”libre utilisation, libre étude, libre modification et libre redistribution”) sont restés au niveau des informaticiens, mais n’ont pas encore inspiré les décideurs en charge de l’organisation administrative. Les notions de communautés de développement, d’interopérabilité, de formats ouverts, de mutualisation, de réseaux sociaux…, toutes mériteraient de dépasser les frontières informatiques et numériques. Gageons que la bonne application du R&eac ! ute ;férentiel général d’interopérabilité (le RGI, nouvel esperanto des données publiques) passe non seulement par les bases de données, mais parvienne aussi et surtout à gagner les esprits et les comportements, par l’adoption de nouvelles façons de travailler “de façon interopérable”, d’améliorer collectivement l’organisation administrative. Penser “formats ouverts” ne concerne pas que les services numériques, mais bien l’ensemble des équipements physiques situés sur l’ensemble du territoire, depuis l’accueil de la préfecture jusqu’à la maison de l’emploi.

Les services publics de demain ont besoin de former les acteurs à cette culture de l’innovation publique, à refléter ces décloisonnements dans les organigrammes, à imaginer de nouvelles modalités de travail en réseau. Il y a là matière à de nouvelles réflexions. Dans le Défi numérique des territoires, nous avons tracé quelques pistes pratiques : doter tous les projets publics d’un “bac à sable”, une zone d’expérimentation permanente, comme dans tout bon projet logiciel ; généraliser le “blog de projet public”, pour inciter les agents en charge de projets publics à publier des données sur leur mise en oeuvre, à “ouvrir le capot” sur ce ! qu’ils font, une sorte d’accès au “code source” de leurs projets ; systématiser la publication des rapports publics en Creative commons pour accélérer leur diffusion au plus grand nombre ; construire plus de projets évolutifs, à la façon de briques logicielles, pour y associer plus facilement les utilisateurs : imaginer des guichets d’accueil ajustables, mobiles, de proximité, pouvant plus facilement se combiner/se dissocier, s’adapter aux besoins des usagers…

Connecter tous les chantiers de modernisation publique

Penser autrement les services, c’est aussi reconnaître la convergence qui s’opère entre tous les chantiers de modernisation actuels : il n’y a plus lieu de cloisonner les politiques en matière de modernisation publique et d’administration électronique, d’innovation sociale et de démocratie participative, de développement durable et de politiques culturelles, ou encore d’urbanisme et de “design de services publics”. Les réussites tendent à combiner sans complexe les disciplines, à les faire interagir de façon créative. Pour un “modernisateur public”, il y a autant à apprendre dans les actions participatives menées par le think-tank anglais Demos, que dans la plate-forme d’administration électronique eBourgogne, la mise en oeuvre de l’Agenda 21 du Département de l’Essonne, le travail sur les réseaux sociaux promus par l’opération Tout Rennes Blogue, ou encore dans l’implication de designers dans la rénovation des quartiers de Montréal…

Des valeurs dans les politiques numériques

Reste à savoir quels sont les services à transformer en priorité. Jusqu’à présent, en matière d’administration électronique, les politiques s’en sont largement remis aux techniciens pour faire les arbitrages. Ces dernières années, par exemple, les élus n’ont guère débattu pour savoir s’il était plus urgent de dématérialiser le contrôle de légalité, ou bien les procédures liées aux prestations sociales… Les grands thèmes techniques d’aujourd’hui, comme l’interopérabilité des données publiques, les enjeux de l’identité numérique, ou encore ceux de la neutralité de l’internet, ne passionnent pas non plus nos élus.

Dans le champ de l’administration électronique, faute de vision politique, le risque est permanent de céder aux sirènes du business électronique et de produire une forme un peu vaine de marketing des services. Une fuite vers des services en ligne “bouton-poussoir”, en somme, qui oublie souvent de nourrir des valeurs plus fortes, qui fondent l’intérêt général : la transparence, la confiance, la solidarité, l’éthique, la durabilité, ou encore l’éco-responsabilité. Des valeurs qui ne sont pas théoriques, mais renvoient au contraire aux problèmes quotidiens des organisations : réduire l’infopollution et maîtriser les énergies, développer la transparence, améliorer la qualité de l’accueil et le traitement des demandes, responsabiliser les citoyens, etc. Après 15 ans d’administr ! ation électronique, il est frappant qu’on puisse payer son stationnement par SMS dans certaines villes, mais qu’il n’y ait toujours aucune transparence sur toute la chaîne des subventions. Un service dont l’effet levier serait pourtant d’une portée majeure sur la confiance dans l’action publique…

Stéphane Vincent

Directeur associé du cabinet de conseil Proposition, Stéphane Vincent travaille depuis 13 ans sur les politiques publiques territoriales et numériques pour le compte des collectivités territoriales, des services de l’Etat et de leurs partenaires.

Lien permanent et réaction en ligne : http://www.internetactu.net/?p=7022

Posté le 28 avril 2007

©© a-brest, article sous licence creative common info