Livre blanc sur la démocratie participative et le débat public utilisant internet

Sopinspace rend aujourd’hui public son Livre blanc sur la démocratie participative et le débat public utilisant internet.

Sopinspace, qui est l’un des acteurs de référence du domaine, entend avec ce livre blanc clarifier sa stratégie et défendre l’usage d’internet comme outil pour la citoyenneté. Le livre blanc contribue au débat général sur la démocratie participative et rappelle la façon dont elle s’articule avec la démocratie représentative dans

Cette ouverture aux commentaires publics s’effectue au moyen d’un prototype fonctionnel du logiciel o-ment, développé par Sopinspace.

Table des matières

  • 1. L’espace public : un survol de l’histoire récente
  • 2. La nature de la crise démocratique actuelle
  • 3. Participer à quoi ?
  • Etat des lieux et identification des problèmes
  • Identification des enjeux et évaluation des priorités
  • Identification des options possibles pour l’action publique
  • Formulation et délibération législative des textes politiques
  • Appropriation et mise en oeuvre concrète des politiques publiques
  • Evaluation des politiques publiques
  • 4. Les formes de la participation
  • Démocratie des personnes et débat des arguments
  • Nombre, diversité et représentativité des participants
  • 5. Les procédures
  • Animation de l’espace public
  • Identification d’enjeux et appels à propositions
  • Délibération citoyenne
  • Débat thématique
  • Elaboration de propositions
  • Appel à commentaires publics
  • 6. L’articulation avec la démocratie représentative et les pouvoirs exécutifs
  • 7. La Commission Nationale du Débat Public
  • Un modèle précieux
    ... mais inabouti
  • 8. La place d’internet dans la démocratie participative et le débat public
  • La question de l’accès
  • L’individuel et le collectif
  • L’enrichissement de la démocratie
  • 9. Le lien entre démocratie participative, débat public et logiciels libres

Les questions de démocratie participative ont fait une irruption remarquée dans les médias et les déclarations politiques. Cette irruption est bienvenue : elle attire l’attention sur des initiatives et des procédures qui le méritent, même si le débat à leur sujet se développe dans une grande confusion. Le risque est cependant qu’on en reste à des conclusions hâtives, ignorant des aspects importants des enjeux démocratiques. Sopinspace, qui est l’un des acteurs de référence de la démocratie participative et du débat public, entend avec ce livre blanc clarifier sa stratégie en la matière. En particulier, nous voulons défendre le rôle que nous donnons à internet dans cette stratégie, contribuer au débat général sur l’intérêt des différentes modalités de la démocratie participative et rappeler la façon dont elle s’articule avec la démocratie représentative dans notre approche.

1. L’espace public : un survol de l’histoire récente

Toute démocratie se construit sur un fond d’expression des personnes et des groupes et par l’échange d’arguments et d’idées entre eux. Même avant que n’apparaissent des médias au sens moderne, cette sphère avait une existence propre. Il n’y a jamais eu coïncidence totale entre l’espace de délibération politique (de législation, prise de décision ou désignation de représentants) et l’espace des expressions. La distinction entre espace politique et espace public éclate au grand jour à la renaissance avec la naissance de l’imprimerie et des réseaux de correspondance, puis surtout à partir du 18ème siècle avec le développement des médias de presse. Depuis cette époque, penser et agir la démocratie passe par la mise en relation entre espace public, représentation et délibération. Au 19ème siècle, la grande innovation des démocraties modernes, le suffrage universel, bientôt complété par le rôle des partis, est inséparable de la capacité de chacun à lire et écrire.

Au 20ème siècle, l’apparition des médias de flux (radio et télévision) a bousculé le fragile équilibre alors esquissé. Les mises en relation entre espace public et délibération sont devenus plus problématiques et ont fait l’objet d’un grand nombre de propositions et pratiques tout au long de cette période. Déjà à la fin des années 1920 une première controverse (voir encadré ( 2 )) se développe aux Etats-Unis. Elle oppose les critiques d’une possible instrumentalisation de l’opinion publique (emmenés par Walter Lippmann) aux promoteurs d’un renouveau de la démocratie s’appuyant sur la participation ( 3 ) et l’« enquête sociale » (emmenés par John Dewey).

Encadré 1.1 : Démocratie participative : la première controverse

En 1922, Walter Lippmann publie son livre "Public opinion" puis 3 ans plus tard « Phantom Public ». Ce n’est que 13 ans plus tard que George Gallup fonda aux Etats-Unis son "American Institute of Public Opinion" (qui devint Gallup). Les livres de Lippmann se présentent comme une critique féroce d’un gouvernement de l’opinion publique. Dénonçant la capacité des "leaders", des médias et de la propagande à "sculpter" l’opinion, Lippmann affirme que les citoyens n’ont aucun sens de la réalité objective et plaide en faveur d’un gouvernement représentatif assis sur les conseils des experts. John Dewey s’oppose à cette vue dans des articles commentant les livres de Lippmann et se décide à écrire son livre "Le public et ses problèmes" dans les années qui suivent. Aiguillonné par la dénonciation par Lippmann de toute possibilité de démocratie participative, il redéfinit le public lui-même, distinguant le citoyen informé par son effort de comprendre les faits et de construire avec d’autres un espace de sens commun du citoyen manipulable à merci de Lippmann. Pour Dewey, les citoyens, lorsqu’ils s’engagent dans cet effort sont une partie du "public" au même titre que ce qu’il appelle les "officers", ceux qui détiennent des mandats politiques ou des fonctions administratives.

Sans aucune idéalisation des connaissances ou capacités de chacun, Dewey définit les conditions de processus et d’institutions qui vont favoriser l’autoconstruction du public par lui-même : enquête sociale, espaces de débat, rapports entre communautés locales et universelle. Dès cette époque, il affirme que le public et les moyens qu’il se donne sont sans cesse à réinventer, car ils sont inévitablement instrumentalisés par des groupes d’intérêt s’ils se figent dans des formes (un point qui devrait faire réfléchir tous ceux qui idéalisent telle ou telle procédure ou jettent l’anathème sur d’autres). Bien sûr il ne peut alors imaginer les nouvelles formes d’espace public qui seront rendues possibles par internet et le Web.

Depuis cette époque, la place des médias, intérêts économiques, experts, partis et citoyens dans l’espace public a connu des évolutions majeures. Les grandes crises (1929, seconde guerre mondiale) ont conduit à la mise en place dans les démocraties ( 4 ) de gouvernements où l’expertise et les procédures technocratiques jouaient un rôle clé. L’espace public politique demeurait alors dominé par la presse, malgré la diffusion de la radio et le développement progressif de la télévision.

Entre la seconde guerre mondiale et 1970, un équilibre s’établit entre gouvernement technocratique de l’économie et du changement technique et animation de la négociation entre partenaires sociaux. Mais, après avoir ainsi donné raison à Walter Lippmann, l’histoire va confirmer l’analyse de John Dewey. Comme celui-ci l’avait prévu, l’expertise est instrumentalisée par les intérêts économiques ou techniques industriels et vise de plus en plus la reproduction de son propre pouvoir. En parallèle, la place croissante de la télévision et des sondages dans l’espace public montrent que le gouvernement appuyé sur des experts, loin d’être un antidote aux dérives d’une possible démocratie d’opinion, est en réalité parfaitement compatible avec ses formes les plus caricaturales. L’espace public est dominé par la télévision : caractérisée par un petit nombre de sources et vivant de la capture de l’attention de son public, celle ci recherche naturellement ce qui fait sensation. Enfin, la participation des corps intermédiaires (syndicats notamment) au gouvernement technocratique finit par les vider de leur propre représentativité et transforme leurs dirigeants et permanents en une forme particulière de technocrates.

Dans les années 1980 et 1990, la financiarisation de l’économie et l’optimisation mondiale des profits creusent les inégalités entre un groupe mondial de « très riches » et le reste des populations. Cette nouvelle « classe » hyper-privilégiée est suffisamment nombreuse pour constituer un groupe puissant. Une part significative des classes moyennes se sent menacée dans son devenir social alors que les privilégiés de l’éducation et de l’information parviennent à maintenir pour leurs enfants l’accès aux positions enviables dans le contexte d’une certaine forme de mondialisation. Les relais d’opinion de toute sorte sont perçus comme défenseurs de ce cours des choses ou comme impuissants à l’orienter. Des critiques commencent à s’élever contre le gouvernement oligarchique, la pensée unique, l’indistinction entre pouvoir médiatique, politique et économique. Certaines prônent des régressions identitaires, - nationales ou religieuses - et s’appuient sur une démagogie anti-intellectuelle. Cela permettra d’ignorer longtemps la profondeur de la crise démocratique, supposée relever d’un simple hoquet populiste. Les autres voix critiques développent une position dénonciatrice dont la portée reste limitée car elle n’investit pas un nouvel espace public et manque de propositions concrètes dont la mise en oeuvre paraisse crédible. Il semble alors que Lippmann et Dewey ont eu tous deux raison dans ce qu’ils dénonçaient comme risques potentiels et tous deux tort dans leurs espoirs. L’espace politique se réduirait-il donc à la dénonciation réciproque de l’oligarchie et du populisme, alors qu’apparaissent de nouvelles générations de politiciens qui entendent servir la première en utilisant le second ?

Pourtant, une autre évolution est à l’oeuvre. Elle est le produit d’un remarquable succès de l’état-providence : le développement d’une éducation qui donne à une proportion très accrue de la population la capacité de démêler des enjeux complexes, y compris lorsqu’ils ont une composante technique, pour peu qu’existent des médiations qui le facilitent. L’éducation dont il s’agit n’est pas celle des savoirs spécialisés, même si ceux-ci peuvent jouer un rôle important dans les acquisitions correspondantes. Il s’agit d’instrumenter la capacité essentielle à l’enquête sociale, à cette fragile compréhension de l’état des choses, des besoins et des possibles qui forme la base des décisions politiques. Dewey affirmait en son temps qu’il n’est pas nécessaire que le public lui-même (les citoyens) « dispose de la connaissance et de l’habileté nécessaires pour mener les investigations requises ; ce qui est nécessaire est qu’[il] ait l’aptitude à juger la portée de la connaissance fournie par d’autres sur les préoccupations communes » ( 5 ). Sans doute serons-nous aujourd’hui plus exigeants, car ce jugement sur la portée des connaissances expertes réclame une capacité à construire collectivement de l’expertise, faute de quoi il y a risque de manipulation.

Dans les années 1920, il restait difficile de fonder des processus démocratiques sur cet accès des citoyens à l’éducation, d’ailleurs bien plus réduit à l’époque. Les médiations nécessaires pour transformer la capacité virtuelle des citoyens à s’affronter à la complexité de la « grande société » (mondialisée, technique, industrielle et gestionnaire) en processus réels ne semblaient pas à portée, ou bien étaient trop susceptibles d’être en réalité des canaux d’influence de la propagande. Dewey doit à l’époque développer toute son ingéniosité pour faire face au « besoin essentiel [...], l’amélioration des méthodes et conditions du débat, de la discussion et de la persuasion ». Il ne peut alors enraciner les méthodes correspondantes que dans les communautés locales. Nous avons aujourd’hui des possibilités accrues d’interaction médiatisée entre citoyens, avec des outils et des procédures qui élèvent le niveau auquel l’intelligence de chacun peut opérer. Elles ne nous dispensent pas de nous souvenir de l’avertissement final de Dewey lorsqu’il envisageait la possibilité de telles médiations : « la publication est partielle, et le public qui en résulte n’est que partiellement informé et formé, tant que les significations que les publications convoient ne circulent pas de bouche en bouche ». Mais le public qui se mobilise, y compris dans les échanges face à face, l’intelligence elle-même qui s’y investit, s’appuient de manière croissante sur l’usage des techniques d’information et de communication

2. La nature de la crise démocratique actuelle

C’est une propriété, presque une définition de la démocratie que d’être perpétuellement en crise, en tension vers un état meilleur, en déception face à ses insuffisances. Parler de sa crise actuelle, ce n’est donc pas regretter un état supposé meilleur qui l’aurait précédé mais simplement prendre la mesure des défis actuels auquel fait face l’ambition démocratique.

L’approche proposée par Sopinspace repose sur l’analyse que les difficultés propres à l’époque ne proviennent pas à proprement parler d’une crise du gouvernement représentatif, mais d’une crise plus large du politique. Cette crise du politique se manifeste par des symptômes très divers :

  • crise des relations du politique avec l’organisation économique et l’orientation du changement technique ;
  • difficulté à identifier des options possibles pour les politiques publiques à différentes échelles ou sur différents sujets, impression d’une absence de marges de manoeuvre même sur des sujets où en réalité des politiques très actives sont conduites « par défaut » ;
  • doutes des citoyens sur la possibilité de conduire des politiques publiques ou d’animer des actions sociétales ayant un impact significatif sur les domaines essentiels de la vie sociale (par exemple : pauvreté, exclusion, inégalités, divergence entre mesure du « progrès » économique et qualité de vie, rôles respectifs du travail et des autres activités dans la construction d’une identité sociale des individus, envahissement de l’espace public par des activités ou messages commerciaux) ou des enjeux majeurs de notre époque (par exemple environnementaux) ;
  • fossé entre les espaces de débat politique (principalement nationaux) et les enceintes de décision portant sur les règles du jeu qui influent sur l’état des sociétés (principalement européennes ou internationales) ;
  • multiplication des niveaux de pouvoir politique résultant en une dispersion des énergies, une complexité des divers lieux de décision et d’exécution, une dilution parfois des responsabilités ( 6 ) ;
  • découragement de ceux qui se sont investis depuis longtemps dans des actions thématiques collectives (solidarité locale, coopération internationale, accès aux connaissances, vie culturelle, expression publique, etc) et qui ont le sentiment d’être porteurs de solutions auxquelles le politique n’ouvre pas un espace de réalisation ;
  • etc.

Dans des espaces de débat s’expriment à la fois de forts éléments de ressentiment à l’égard du politique et une réelle estime pour le travail des élus notamment locaux. De même, la crise du politique n’empêche pas la qualité de certains débats parlementaires nationaux ou européens d’être remarquable, en particulier lorsque les débats de société émanant du tissu associatif de terrain et des expressions publiques sur internet y sont réinjectées par des élus. C’est dire que l’animation du débat public et d’une participation des citoyens à toutes les étapes des politiques n’est en rien contradictoire avec le principe du gouvernement représentatif. A vrai dire, seuls en doutent une petite minorité de politiques attachés à un impossible isolement des enceintes représentatives et de rares promoteurs d’une démocratie directe absolue clairement inadaptée aux situations démographiques et d’interdépendance de nos sociétés. Mais comment organiser une interaction entre espace public, décision représentative et mise en oeuvre des politiques qui permette à chacun de jouer au mieux son rôle ?

Il n’appartient pas à un opérateur de débat et de processus de démocratie participative comme Sopinspace de proposer les solutions possibles aux différents éléments de crise du politique listés plus haut. Mais nous pouvons espérer ouvrir un espace à la recherche de ces solutions en expérimentant des procédures et des outils adaptés. La première étape dans cette direction consiste à bien identifier différentes étapes allant de l’élaboration et de la formulation des politiques à l’évaluation de leur impact.

3. Participer à quoi ?

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© Sopinspace, 2007. Ce texte peut être utilisé selon les termes de la licence Creative Commons Paternité-Partage des conditions à l’identique 2.0 FR . Il a été rédigé par Philippe Aigrain avec l’aide de membres de l’équipe de Sopinspace ( 1 ).

Ce texte est ouvert aux commentaires publics à compter du 19 mars 2007 à l’adresse suivante :
http://www.co-ment.net/text.xhtml?tid=10 .

Une version pdf est également disponible.

Posté le 21 mars 2007 par Michel Briand

©© a-brest, article sous licence creative commons cc by-sa

Nouveau commentaire
  • Septembre 2008
    17:26

    Livre blanc sur la démocratie participative et le débat public utilisant internet

    par Xavier Gillet

    Peut on avoir le texte complet ou un lien qui y mêne ?

    Sur le même sujet j’ai écrit l’article "La possible démocratie" donné en lien. Je serais intéressé par des échanges avec les auteurs du livre blanc.

    Voir en ligne : La possible démocratie