Place aux alterlocalistes, un article repris du webzine Montbouge

On connaissait les altermondialistes, nous inventons les alterlocalistes.

Non par simple transgression néologique mais pour qualifier une réappropriation du local par des habitants d’une ville ou d’une région, amplifiée par les technologies de communication qu’offrent l’Internet.

Nous avons demandé à quatre de ces alterlocalistes de nous apporter leur regard croisé de citoyens engagés localement et sur la toile :

  • Philippe Beury - second prix de la catégorie "expression citoyenne" du festival de Romans pour son site politique troyen Auboisementcorrect,
  • Gérard Leray de la Piquouse de Rappel - blog satirique et de résistance de Chartres - Lucé et de l’agglomération chartraine,
  • Chrystophe Oléon - responsable de la plateforme GreBlog - MonGrenoble
  • et Hubert Guillaud - journaliste et animateur de leRomanais. Le débat ne fait que commencer...

un article repris du webzine Montbouge

L’article avec les liens

publié mardi 13 février 2007, par Franck Henry

  • MontBouge : Quelle politique éditoriale avez-vous choisi pour votre site d’expression citoyenne ?
  • Hubert Guillaud : Je ne suis pas sûr que le terme "politique éditoriale" s’applique à ce que je fais sur leRomanais, parce que ce n’est surtout pas un site éditorialisé justement. Pas un site de journal, juste un regard de citoyen. Maintenant, on pourrait dire que le site a deux facettes. D’un côté, il essaime quelques analyses sur la vie politique et sociale locale à la manière d’un éditorialiste, dirais-je. De l’autre, il s’intéresse et catalyse ce qu’il se passe sur l’internet au niveau local, à Romans et alentour, à défaut de toujours pouvoir rendre compte d’expériences intéressantes en matière d’utilisation du web au niveau local, partout en France et tout autour du monde. Comment aujourd’hui, demain, l’internet prendra du sens au niveau local, comment les outils vont impacter les pratiques.... Tout en restant lucide sur la portée de tout cela.
  • Philippe Beury : J’ai créé ce site avec mon frère pour « dire ce qu’on ne dit pas ailleurs sur Troyes et l’Aube ». Les élus avaient pris l’habitude de dire et d’écrire n’importe quoi sans que personne ne critique leur discours. Les journaux locaux étaient…. proches ! Petit à petit des rédacteurs ont voulu nous rejoindre : nous sommes actuellement plus de 20 dont une dizaine d’actifs. Nous publions en moyenne deux articles par jour, nous avons un millier de visiteurs quotidiens restant 6 mn sur le site. C’est bien mais il faut savoir relativiser les choses… Au niveau politique, les deux frangins sont plutôt UDF, les autres viennent de partout sauf de l’UMP et du FN. Il y a une forte imprégnation centre, centre-gauche, verts… Mais il y a des rédacteurs « alternatifs », PC… Les rédacteurs envoient les articles et je décide de ce qui est publié… Je pratique le despotisme (mais éclairé comme le voulait Voltaire…). J’ai refusé un seul article sur 1400 en deux ans !
  • Gérard Leray : La ligne éditoriale qui anime la Piquouse est celle du Canard Enchaîné : une critique satirique de tous les abus commis par les élus et détenteurs de pouvoir(s). Ne pas oublier que la démocratie, c’est le pouvoir de dire "non".
  • Chrystophe Oléon : GreBlog MonGrenoble est une plateforme de publication participative et citoyenne collaborative de la ville de Grenoble et ses alentours. Ce blog local citoyen publie chaque jour un billet sur la vie locale. La moitié des billets relayent une information existante en ajoutant une opinion personnelle. L’autre moitié est une production nouvelle de contenu d’information sur le terrain ou un relais d’information en ligne qui ne s’y trouve pas toujours. Le but étant "d’amener une discussion" sur un sujet publié. GreBlog MonGrenoble est une plateforme indépendante, consensuelle, sans étiquette ni couleur politique.
  • Mb : Comment alliez-vous ancrage local (lien avec les associations, actions militantes de terrain…) et éditions citoyennes en ligne ?
  • G. L. : La Piquouse est une synthèse de différentes actions et de différents mouvements. Elle est un carrefour ouvert à toutes les expressions. C’est grâce à cela qu’elle progresse dans son audience, en ne faisant pas d’exclusive. Mais bien sûr, elle est complètement indépendante.
  • H. G. : Je ne suis pas un militant de terrain. J’aurais tendance à dire pourtant que le travail d’animation de l’internet local auquel je participe, permet justement de développer une nouvelle modalité d’ancrage local en donnant un nouveau mode d’expression et d’échange, forcément complémentaire.
  • C. O. : En tant que BlogMaster de GreBlog MonGrenoble, je suis amené à rencontrer de nombreuses personnes sur le terrain, responsables d’associations, sportifs, personnalités politiques de tout bord. Ce blog indépendant est un relais d’opinion pour tous. Il est une nouvelle forme d’expression citoyenne faisant parfois référence en matière d’information locale. Les méthodes rédactionnelles employées et les outils pour y parvenir sont parfois proches de celles du journaliste.
  • P. B. : Indépendant. Pour deux raisons : 1- Les associations auxquelles nous appartenons ne veulent pas apparaître trop liées à Auboisementcorrect (notre site apparaissant trop politique)… bien qu’elles nous demandent de relayer certains de leurs messages. Certains d’entre nous se sont fait virer du bureau ou du CA d’une association à cause de leur participation à Auboisementcorrect (mais sans le dire, bien sûr !). Difficile de demander une subvention avec des membres d’Auboisementcorrect dans le C.A. !!! 2 - Nous ne voulons pas mêler les associations à Auboisementcorrect pour rester indépendant d’elles… Car on ne peut reprocher aux journalistes d’être liés au pouvoir et reproduire un schéma similaire avec d’autres pouvoirs. Je me suis donc, personnellement, éloigné de beaucoup d’associations dont je faisais partie. Je ne suis plus encarté à l’UDF par exemple !
  • Mb : Quels regards critiques portez-vous vis-à-vis de la démocratie locale et de la démocratie participative en particulier ?
  • C. O. : Les collectivités locales ont du mal à communiquer auprès des citoyens. Un déficit de communication existe et les méthodes employées ne sont parfois pas les bonnes. L’information est souvent formatée, pragmatique et unidirectionnelle en direction des citoyens. Pourtant, la démocratie participative est un moyen de communication adapté, permettant le partage de connaissances et d’idées entres les différents acteurs de la collectivité.
  • P. B. : Ce n’est pas parce que l’on regarde souvent des pornos que l’on est un grand baiseur. Et surtout pas un bon baiseur… Ce n’est pas parce que les gens nous lisent et parfois nous apprécient derrière leur clavier que cela aura forcément des conséquences au niveau citoyen… Le net est, à mon avis, plus un reflet qu’un ferment. Tout le monde dit que le net a joué un rôle au moment du référendum en influençant les votes… Il n’a fait que refléter une réalité, une réalité non vue par les médias traditionnels (et c’est un problème) sans véritablement influencer qui que ce soit. C’est l’histoire de l’œuf et de la poule. Je pense que nous sommes plus l’œuf que la poule, plus le résultat que l’origine. Mais l’utilité peut être dans la synthèse, la construction, le passage du virtuel au réel… mais c’est difficile ! et long… On ne saura notre véritable influence qu’au moment des élections municipales dans un an… A condition de transformer notre bruit de fond en composition harmonique. Je n’ai pas l’ambition d’être le porte-voix de quiconque.
  • G. L. : La démocratie locale est une façade. Elle est au service des potentats qui en usent et en abusent. Justement, la Piquouse a vocation à servir de contre-pied. Permettre aux gens, aux citoyens, même sous couvert d’anonymat (c’est pratique) de critiquer les actions "formidables" entreprises par nos élus, dont la plupart n’ont qu’une idée en tête : la réélection. Et pour ça, le clientélisme fonctionne plein pot. J’ai beaucoup d’admiration pour les élus qui ne se représentent pas au bout de leur mandat, pour laisser la place à d’autres.
  • H. G. : Nous sommes encore loin d’une démocratie participative et plus encore d’une démocratie participative en ligne. Au plus avons-nous quelques conversations, quelques paroles qui s’expriment, quelques voix qui remontent. Bien modestement. Et de prolonger ce constat par la limite du pouvoir d’influence des propos, qui, s’ils parviennent jusqu’aux élus (qui sont souvent les premiers lecteurs), n’arrivent pas jusqu’aux citoyens. Reste que l’ignorance affichée, la non-réponse aux questions posées finit par limiter beaucoup la portée contestataire de l’outil. Sa force est ailleurs, dans la mise en réseau d’autres acteurs, dans la construction d’un web en action, un réseau de gens qui font des actions ensemble, en ligne, et qui demain, auront certainement un impact au-delà du seul réseau. Ce constat pourrait s’appliquer aussi à la démocratie locale à laquelle personne ne semble plus croire. Surtout pas les élus et encore moins les citoyens. Pourtant, qui seraient les mieux à même de participer à la décision des choses qui les entourent, les concernent ? Le pouvoir politique est confisqué. Les citoyens n’ont pas leur mot à dire. Au mieux, on fait semblant avec quelques réunions publiques où la plupart du temps, tout est décidé d’avance. Les actions locales sont souvent déconnectées du terrain, même là où elles doivent prendre place. La participation n’est pas naturelle. Il y a toute une éducation à faire et elle ne se fera pas en quelques jours. Nous ne sommes pas face à une révolution. Nous devrions toujours faire le maximum pour la participation : voilà la seule chose qui devrait animer les élus et les citoyens. Mais à force de confondre participation et communication... on risque de voir arriver le pire plutôt que le meilleur.
  • Mb : Comment Internet peut-il devenir un média de citoyenneté active ?
  • P. B. : C’est bien le problème… Ça se construit en ce moment. Mais c’est peut-être une bulle, un machin qui fera pschitt… Est-ce que les médias créent la citoyenneté active ? Ou est-ce que, à force de tout savoir, les citoyens ne deviennent pas de plus en plus passif ?
  • H. G. : J’ai encore des espoirs que cela ne se limite pas à une minorité sociale et culturelle, mais pour cela il faut développer et accompagner des pratiques différentes : passer par l’image plutôt que par le texte, proposer des modalités simples, des formations... Faire en sorte qu’il ne se referme pas sur quelques praticiens avancés. Autant dire que c’est assez difficile. Faire connaître une adresse web, faire en sorte que les gens y reviennent... voilà un travail de fourmi épuisant. Sans compter que la libre parole citoyenne est quelque chose que tout le monde regarde de travers. Il faut donc passer par des biais pour toucher, avec ces outils, d’autres publics, les faire participer, autrement, à la politique locale. Et là, tout est à faire. Faut innover. Chercher des pistes. Essayer. Recommencer. C’est un beau défi où chaque acteur a son rôle à jouer. Or il est dommage que sur l’internet, il manque du monde, notamment les institutions traditionnelles qui méprisent bien souvent ce mode d’échange. On y voit donc éclore essentiellement de la contestation, comme le dit Pierre Rosanvallon dans la Contre-démocratie. Heureusement, l’outil se prête aussi à construire des choses collectivement et n’est pas seulement un outil de défiance.
  • G. L. : Internet est déjà le meilleur moyen de la citoyenneté active ! Je connais des anciens qui s’éclatent devant leur écran. Dans quelques temps, il sera le premier. Pour cela, il faut développer le service Internet jusque dans les maisons de retraite. Il est l’outil le plus simple pour recréer le lien social. Que nos collectivités se le disent en systématisant l’ADSL.
  • C. O. : Il faut voir Internet comme un outil d’échange, un formidable vecteur de communication pour tous. D’une part, les collectivités ont du mal à proposer des services Internet auprès des citoyens car elles attendent un retour immédiat sur investissement. D’autre part, elles ont peur de ne pouvoir modérer et maîtriser les rouages et les flux d’échanges d’informations entre auteurs, lecteurs et contributeurs.
  • Mb : Les élus locaux sont souvent dans une posture de maintien et de pérennisation de leur mandat représentatif. Ils emploient, notamment, des moyens de communication conséquents pour asseoir le « bien-fondé » de leurs réalisations (bulletins municipaux, réunions de quartiers, mise sous dépendance du réseau associatif…). En quoi vos initiatives sont-elles un contre-pouvoir, voire un autre pouvoir de communication ?
  • G. L. : Les élus ne maîtrisent pas encore le Net. Ils n’ont pas le temps et cet outil leur fait peur. Dans leurs organes de propagande, ils fabriquent un monde parfait. Avec les blogs citoyens, on s’aperçoit qu’il est possible de casser la vitrine idyllique et les manipulations d’image et de texte. Quand l’élu majoritaire coupe le micro de l’opposant, la démocratie meurt. Avec les blogs, l’élu n’a plus ce pouvoir. Les blogs sont donc l’expression de la véritable démocratie et LE contre-pouvoir par excellence. A consommer sans modération !
  • C. O. : Un blogueur est souvent considéré comme un électron libre auprès des instances locales et des institutions. De ce fait, il est difficile pour ces dernières d’appréhender ou de contrôler les flux d’informations émis en direction des récepteurs. Le lecteur se sent parfois plus proche de l’expression citoyenne du blogueur que des canaux d’expression de la communication officielle locale.
  • P. B. : Je ne crois pas que les bulletins municipaux et cantonaux aient une quelconque influence… Ils sont mal faits et c’est difficile d’être « positif ». Reconnaissons que notre rôle de celui qui crie « Au loup ! » est beaucoup plus facile. Je ne sais pas si nous sommes vraiment un « contre-pouvoir ». Une « contre-information », c’est certain… un contre-pouvoir ? En démocratie élective, le pouvoir c’est l’élection. Je n’ai encore jamais vu, en France, quelqu’un élu grâce (ou à cause) d’internet… Un site citoyen doit pouvoir (devoir ?) rester indépendant… même de ses tentations… On est plus utiles à faire ce que nous faisons qu’à occuper les sièges des élus actuels. Car, si on occupe les sièges, qui fera notre travail ?
  • H. G. : Le contre-pouvoir est bien léger. La critique permet surtout de montrer la limite de la portée de leurs actions, d’analyser les discours de communication et de les confronter à d’autres avis, d’autres réactions. Cette nouvelle communication dérange, car les pouvoirs en place ne la maîtrisent pas et n’ont pas l’habitude qu’elle s’affiche aussi ouvertement. La presse locale est très suiviste dans son ensemble, se contentant de reprendre les communiqués de presse sans en faire d’analyse. La différence de ton intrigue. L’autre force, c’est la libération de la parole citoyenne. Des gens s’expriment, écrivent des choses, et ne répètent plus le discours officiel... Sur le fond, ça ne change pas grand-chose. Pas sûr non plus que tout cela arrive à transformer la société. Les nombreuses attaques que connaissent bien des blogueurs locaux (voir webcitoyen.com) montrent bien que la société ne bouge pas facilement. Emettre une critique ne fait pas changer le système, ni ne le fait toujours évoluer... dans le bon sens.
  • Mb : Quels conseils et quels retours d’expériences donneriez-vous à des personnes qui souhaiteraient monter un site ou un blog citoyen local ?
  • H. G. : Il faut faire sa propre expérience pour comprendre le fonctionnement de tout cela. Je pense en tout cas qu’il ne faut pas avancer seul. Si je n’avais pas trouvé d’autres sites locaux, d’autres personnes, à Romans, j’aurais certainement arrêté depuis longtemps. C’est la dynamique à plusieurs qui donne de la force. Reste qu’au bout d’un moment cet éclatement en plusieurs dizaines de sites commence à poser des problèmes (éclatement, redondance...). Il faut alors outiller, innover. Cette notion d’innovation me semble très importante en fait. Tous les blogs locaux se la posent : comment monétiser, comment développer de nouveaux outils,... Il y a deux choses importantes : ne pas rester tout seul et aller de l’avant avec de nouveaux outils, non pas pour eux mêmes, mais parce qu’ils peuvent être le moyen de mettre à jour d’autres pratiques, de toucher d’autres publics. L’essentiel de la force des blogs locaux reste en ligne. Ils ont et auront toujours du mal à toucher d’autres univers. Plutôt que d’essayer de passer par la presse locale qui n’apporte aucun visiteur, ou la communication officielle (même constat), il faut passer par des secteurs ressources pour développer son impact : trouver des relais dans le monde professionnel, associatif ou culturel local. Les vieux canaux de communication ne nous apporteront pas grand chose, à part la satisfaction d’un peu d’égo.
  • C. O. : La priorité : être et rester soi-même, rester transparent sur la présentation de son profil, ses objectifs et intentions éditoriales. Toujours chercher à amener une discussion ou la déployer.
  • P. B. : Ne jamais se lancer dans cette aventure car si ça marche, vous y consacrerez tout votre temps libre (même plus). Ne pas hésiter à se lancer dans cette aventure car il n’y a rien de plus agréable que de pouvoir écrire ce que l’on pense et d’être lu, critiqué, attaqué et aimé… pour ce qu’on écrit. Avoir un bon avocat capable de défendre une attaque en diffamation et de gérer un divorce. Ne pas écouter les conseils… Commencer et tout se fait facilement. Aimer sa ville, aimer les gens et travailler sans arrière-pensée et, comme le dit l’autre… « tout le reste vous sera donné en plus… ».
  • G. L. : D’abord constituer une équipe de deux ou trois personnes, dont un pro ou un amateur éclairé de la technique informatique : c’est vital pour la pérennité de l’entreprise. Ensuite, se blinder juridiquement en créant une association, en achetant un nom de domaine. Enfin, bosser comme des fous pour démarrer, publier régulièrement. Une fois que la machine est lancée, plus rien ne peut l’arrêter.

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Posté le 22 février 2007

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