« L’information, bien commun de l’humanité ou marchandise ? » Les médias africains face à la concentration des médias et à la convergence des technologies

Position du problème

  • Un principe admis à Tunis en 2005, lors du Sommet Mondial sur la Société de l’Information, et repris dans la Déclaration commune, est le caractère essentiel de la libre circulation de l’information, des idées et du savoir pour l’édification d’une Société de l’Information. Cette libre circulation de l’information est aussi reconnue comme bénéfique pour le développement. Mais, souligner l’importance de la libre circulation des flux d’information à l’échelle de la planète c’est pointer du doigt la réalité, qui est celle d’un accès restreint, contrarié, à l’information pour une part importante de l’humanité. C’est également mettre en évidence un déséquilibre dans la circulation de ces flux entre régions du monde face à l’avancée, dans le domaine de l’information et du savoir, de logiques marchandes. Face à l’idée d’un bien commun accessible à toute l’humanité, l’information s’impose dans sa qualité de marchandise, dont la détention et le contrôle procure richesse et/ou pouvoir à ceux qui y ont accès.

Principales questions et enjeux

  • Les évolutions technologiques caractéristiques des quinze à vingt années précédentes ont apporté une dimension nouvelle à l’écart qui existait déjà en matière d’infrastructures de communication et de médias, mais aussi de distribution de l’information entre les pays africains et ceux de l’hémisphère nord, ou plus généralement les pays développés. Une marginalisation que l’expression « d’info-pauvres », née dans le sillage de cette ère de l’information qui succède à l’ère industrielle vient confirmer.
  • Les progrès dans le domaine des technologies, qui fondent la convergence des secteurs de l’informatique, des télécommunications et de l’audiovisuel ont introduit des bouleversements dans les appareils de production. Ils ont également débouché sur des phénomènes de concentration des entreprises, par le bais de fusions et acquisitions, tout en autorisant l’élargissement des activités des entreprises d’un secteur de l’industrie de l’information et de la communication à l’autre, qu’il s’agisse de celui des équipements nécessaires à la production et à la diffusion de l’information, qu’il s’agisse des contenus, ou encore des services. L’information est devenue un secteur hautement compétitif avec des enjeux économiques énormes, et des enjeux de pouvoir. D’ailleurs l’idée de « soft power » ou pouvoir de séduction, qui traduit le leadership mondial de certains pays, notamment les Etats-Unis d’Amérique, repose sur le contrôle qu’ils ont des médias globaux, et plus largement des appareils de production et des canaux de diffusion des flux mondiaux d’information et de communication.
  • Du fait de ces évolutions, certaines des questions qui alimentèrent dans les années 70 à 80 les débats sur le rééquilibrage des flux mondiaux d’information, et l’accès aux technologies de production et de diffusion se posent avec une acuité nouvelle. Ces questions, et les problèmes auxquels elles étaient liées ne sont-ils pas toujours d’actualité ? Le problème du déséquilibre de l’information fut évoqué pour la première fois en 1973 à Alger, par les pays non alignés, qui dénonçaient alors l’impérialisme du Nord via la domination des médias, et réclamaient la réorganisation de systèmes et modes de communication hérités des réseaux coloniaux, qui entravaient l’échange des informations entre les pays de cet ensemble politique. Quelques années plus tard cette idée s’affirmera avec la dénonciation par les agences de presse des pays africains et arabes, de l’emprise des pays développés sur les moyens de communication, et des déséquilibres internationaux en matière d’information. Elle débouchera sur le concept de « Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication ».

Que constate-t-on aujourd’hui, avec le phénomène de convergence et de concentration ? Une même domination par le Nord, et au Nord, une concentration des entreprises et activités de communication et d’information, contrôlées par quelques groupes dominants, du point de la production, de la diffusion et donc des contenus. La majorité des informations qui circulent dans le monde sont toujours collectées, produites et distribuées (suivant le modèle de l’efficacité d’une chaîne économique), par de grands groupes de médias. Et bien évidemment, les informations privilégiées seront celles qui intéressent d’abord ces groupes, et seront traitées suivant la lecture du monde privilégiée par ces groupes.

  • Dans le domaine de l’audiovisuel, l’échange de programmes de télévision, et la pénétration en Afrique de chaînes globales diffusées par le satellite offre une illustration de cette domination, et de la circulation asymétrique des flux (verticalité du sens de circulation). L’Afrique est toujours extrêmement dépendante, y compris pour les informations qui la concernent, des pays du Nord. Pour être informé, dans un pays africain, sur ce qui se passe dans un autre, il faut le plus souvent recourir au relais d’un média étranger au continent. Autrement, cette information n’est pas disponible.
  • Le problème du positionnement des médias africains face à la convergence et aux dynamiques de concentration implique la prise en compte en amont de l’inégalité des moyens et infrastructures de collecte, de production et de diffusion de l’information. Ceux-ci reposent sur une architecture des réseaux de télécommunication, et un capital de technologies et de savoirs dont le continent est aussi, d’une certaine manière exclu.

Au demeurant, la convergence des secteurs et la concentration des groupes de médias remettent en avant la question de l’émergence de médias « panafricains » globaux pour informer sur l’Afrique et vers l’Afrique d’abord, mais au-delà, pour offrir un autre point de vue au monde, celui de l’intérieur, et ne pas toujours subir, importer ou se voir décrite par d’autres. Ces phénomènes conjugués conduisent également à repenser l’existence et la viabilité de médias à vocation de service public, garants d’une information accessible, et exprimant différentes sensibilités, en dehors de toute logique marchande.

Pistes de discussions possibles

  • Quelle place pour les médias africains face à la concentration et à la convergence ?
  • Les médias africains sont-ils condamnés à s’effacer pour laisser la place aux acteurs globaux dans un monde globalisé ?
  • Quels enjeux pour des médias de service public ?
  • Quels obstacles et quelles possibilités pour la création de médias panafricains (publics ou privés, chaînes de télévision ou radios) ?
  • Quelles responsabilités pour les pouvoirs publics nationaux et les instances d’intégration régionale ?
  • L’information doit-elle et peut-elle être régulée au niveau mondial ?
  • Doit-on laisser s’établir un équilibre du marché ?
  • Que peut faire la communauté internationale, organisations gouvernementales, non gouvernementales et société civile pour préserver la qualité de l’information comme bien commun de l’humanité ?
  • Quelles pistes de coopération peuvent être envisagées entre l’Afrique, le monde développé et les autres régions du Sud ?
  • Quelles réponses apporter au problème de l’écart technologique (les préalables infrastructurels) ?

Voir aussi :

Publié le dimanche 21 Janvier 2007, Nairobi

Sources de l’article, site de PANOS, Institut de l’Afrique de l’Ouest

Posté le 29 janvier 2007 par Valérie Dagrain

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