Editions de textes en ligne : soirée débat à Paris

Vendredi 14 novembre, de 18h à 23h se tiendra à la BPI
Bibliothèque Publique d’Information, Centre Georges Pompidou
à Paris, une soirée d’étude sur l’éditions de textes en
ligne (revues, journaux, livres,...).

Texte diffusé par Hervé Le Crosnier, animateur de la première table ronde

La publication en ligne de textes ne se résume pas,
loin s’en faut, à un changement de support. Le basculement
du texte (et plus généralement encore du "document") vers le numérique touche les trois aspects du document :

  • la "forme" : le document numérique est doté d’ubiquité,
    on le stocke ici et on le lit partout sans empêcher chacun de le lire au même moment. Il est facile de le faire circuler,
    de lui associer des commentaires, des compléments, des images, des sons ou des vidéos. Il peut aussi contenir des "morceaux de code informatique", qui peuvent décider du mode de lecture
    (les DRM, systèmes d’auto-contrôle des usages d’un fichier
    numérique, ou encore "contrat commercial de lecture" caché
    à l’intérieur du document).

- le "sens" : un texte est avant tout indexé (par ses mots-clés, mais aussi par les stratégies éditoriales du journal, de l’éditeur ou de l’internaute qui le place sur le web). C’est
de cette insertion dans la Toile qu’il obtiendra ses lecteurs,
que le "paratexte" qui encadre sa signification pourra agir
comme une "pré-lecture". Mais, dès qu’il est placé sur le web, un texte est aussi la proie de robots d’interprétation
qui vont l’utiliser pour de nombreuses autres activités
(recherche de personnes, extraction de descripteurs ou de
connaissances, ou encore ré-utilisation dans d’autres
contextes, comme lorsque le système de news de Google crée un
"journal" par analyse automatique des articles des principaux
journaux édités).

- la "relation" que le document inscrit dans l’espace du réseau entre l’auteur, le lecteur et l’appareil d’édition et de
diffusion. Le "document" devient souvent un support à la
"communication", le contenu s’effaçant devant le mode de
circulation, le réseau social qui porte un document, le mode
d’édition de ce document, et notamment le modèle économique
qui préside à son édition numérique.

La table-ronde de ce soir cherche à évoquer les enjeux
juridiques, économiques et culturels de ce basculement vers
l’édition en ligne de documents numériques.

Et à poser quelques questions, dont la plus simple, peut être
celle qui résumera toutes les autres, est : "peut-on reproduire
dans le nouveau contexte les règles (économiques, juridiques, et
de valorisation culturelle) émanant d’un autre mode de
prodUCtion industrielle ? " Une question dont la réponse est
forcément très complexe. Une réponse qui se crée en avançant.
Il convient de garder les yeux ouverts et d’examiner les
pratiques des lecteurs comme des éditeurs, sans faire des
schémas a priori.

Le message majoritaire, mis en avant notamment par les éditeurs
de musique ou de vidéo, rejoints maintenant par les emetteurs
broadcast (les grand médias diffusés) et qui influence fortement
les éditeurs de textes (livres, journaux, revues, rapports, ...)
est que le seul mode de rémunération des auteurs, et de
l’appareil de production qui les accompagne (édition, diffusion,
attachés de presse et journalistes critiques,...) est dans le
contrôle des usages. Un fichier-document numérique doit être
vendu pour être respectable, et cette vente se réalise pour
quelques usages définis par avance par le producteur.
Ces usages sont enregistrés dans une forme de "contrat privé
numérique" dit DRM (Digital Rights Management) pour les fichiers
édités, et "flag" pour la diffusion broadcast.

En particulier, ce modèle limite :
- les ré-écoutes (on achète le fichier pour x lectures),
- les re-distributions (auprès d’un réseau social),
- la conservation personnelle (nouvelles tendance sur la
"copie privée"),
- la "lecture sociale (et les institutions qui l’organisent
comme les bibliothèques ou l’école),
- la ré-organisation (dans des dossiers documentaires)
- la ré-utilisation (les éléments de textes deviennent protégés,
comme les titres, les citations,... sans parler de la
difficulté à citer les sons ou la vidéo).

Le processus même de la numérisation, parce qu’il permet une
duplication et une circulation à coût marginal presque nul, crée
une forme d’abondance.

On peut critiquer cette "abondance" du point de vue culturel :
tous les textes ne se valent pas, et l’abondance peut masquer
les apports particuliers de certains textes. Nous avons un
spectacle quotidien de tout cela dans la façon dont circulent
les nouvelles d’actualité sur l’internet... ou même sur papier,
quand des "journaux" (je mets des guillemets à dessein) gratuits
remplis de dépêches masquent le travail des journalistes des
journaux édités. Il faudra trouver une nouvelle forme de
valorisation des documents qui permette à chaque lecteur de
trouver les documents adaptés à son besoin-désir.

Mais cette abondance appelle à imaginer une nouvelle forme
économique, et donc une nouvelle approche juridique, pour
qu’elle puisse donner ses fruits dans l’expansion de la
connaissance, de l’éducation et de la citoyenneté.

Ce ne sera pas forcément simple. Mais il semble plus
efficace, et lié à un projet d’une "société de transmission", de
raisonner ainsi dès maintenant. Même si les tendances inverses
(la reproduction dans le nouvel univers industriel des positions
acquises et des méthodes de l’ancienne industrie de l’édition)
sont encore majoritaires, les pratiques sociales d’ores et déjà
installées ne disparaitront pas rapidement. Il s’en suivra une
redistribution des cartes, une nouvelle donne de l’édition.

Puisse cette table-ronde faire avancer le débat, en évitant les
anathèmes. Disons-le d’emblée, je suis un franc partisan et
défenseur de l’édition comme industrie, comme moyen de
valorisation des oeuvres, et même comme outil essentiel à
l’auteur pour écrire en direction d’un public spécifique.

Mais l’édition doit changer, va changer... en fonction des
besoins de la société et aussi des opportunités techniques
du numérique.

Pour débattre, nous aurons autour de cette table :

- Ghislaine Chartron, professeure à l’INRP, et de longue date
une des spécialistes en france de l’édition scientifique et
médicale, aujourd’hui co-animatrice d’une action du CNRS sur
l’économie de la publication sur le web ;

- Bruno Patino, directeur général du site "lemonde.fr" qui
pourra nous transmettre l’expérience concrète d’un éditeur de
journal confronté à l’équation économique du numérique, et des
stratégies des auteurs pour trouver leur compte dans ce
basculement ;

- Olivier Blondeau, sociologue, co-responsable du site
"freescape" sur les documents libres et le mouvement des
logiciels libres, éditeur de revues et de livres ;

- Benoît Tabaka, juriste au sein du Forum des Droits de
l’Internet.

Hervé Le Crosnier

Posté le 12 novembre 2003

©© a-brest, article sous licence creative common info