Disséquer l’amitié en ligne

Reprise d’un article publié par Internet actu
Dans : Brèves , Usages , Communication interpersonnelle - Par Hubert Guillaud le 28/12/2006

(magazine en ligne sous licence Creative Commons)

“Es-tu mon ami ou pas ?” Pour danah boyd, cette question existentielle qui parcourt les cours de récréation, est une clé pour comprendre le fonctionnement des réseaux sociaux en ligne. Dans le fonctionnement de Friendster ou MySpace qu’elle a particulièrement étudiés, les participants doivent sélectionner qui ils autorisent à être “leur ami”, c’est-à-dire à les inscrire dans leur liste personnelle (et souvent publique) de contacts de prédilection. Ce choix, public, structure la participation en réseau, explique-t-elle dans la dernière livraison de First Monday. “La fonction d’”amitié” permet aux utilisateurs de produire des communautés au sein des sites de réseaux sociaux. [Leurs] participants y exprimen ! t qui ils sont et se situent eux-mêmes d’un point de vue culturel.” Mais l’article est surtout intéressant lorsqu’il montre l’émergence de normes de socialisation nouvelles, liées aux caractéristiques propres des réseaux sociaux en ligne : “Les normes qui régissent l’’”Amitié” sont apparues en réponse aux tensions sociales qu’engendraient les limitations techniques des sites. Elles reflètent de bien des manières les normes sociales traditionnelles mais, parce que l’architecture des sites de réseautage est fondamentalement différente de celle des espaces sociaux sans médiation, ces sites produisent un environnement profondément nouveau.”

“Ce sont principalement les non-participants qui perpétuent la croyance qu’une liste d’amis en ligne n’est rien d’autre qu’une liste de ses meilleurs amis dans la vie.” Pourtant, cette sociabilité est différente, explique la chercheuse. Elle en apporte pour preuve le succès des faux profils, des fakesters (des profils non plus de personnes, mais d’émission de télés, de personnages publics réels ou fictifs, de marques qui se sont démultipliés sur ces réseaux, et qui sont le fait de fans ou de sociétés elles-mêmes cherchant…). Les listes d’”amis” se composent donc à la fois d’amis véritables, de relations distantes – qu’on n’ose pas toujours refuser d’inscrire dans sa liste – et de célébrités qu’on admire, le tout produit au terme de processus de négociations parfois complexe. danah boyd pointe le cas des “Meilleurs amis”, ou To ! p friends , qui permet de lister dans l’ordre de son choix une sélection d’amis, un choix qui peut prendre, pour les plus jeunes, une importance dramatique. Cette importance décroît en revanche avec l’âge ou l’habitude d’utilisation de ce type de fonctionnalité. Mais dans tous les cas, le choix de ses “amis” n’est pas uniquement personnel : car chaque choix, étant public, a le potentiel de compliquer des rapports avec des amis, des collègues, des camarades de classe, et des petit(e)s ami(e)s.

En tout cas, il y a dans ces exemples-là, la marque de l’apprentissage de véritables processus de négociation, et de l’émergence d’une sociabilité numérique aux caractéristiques propres.

Dans ces réseaux, l’amitié est donc un acte social, visible par tous, qui permet surtout de forger son identité. Le choix des “amis” est l’une des manières les plus significatives et reconnues de personnaliser son “profil” : les amis sont premiers, les centres d’intérêt viennent ensuite. Sa communauté se définit d’une manière égocentrique.

“Les participants d’un réseau social veulent que leur réseau soit public car public signifie une interaction supplémentaire avec tous ceux qui ont des goûts similaires ou qui peuvent leur apporter des informations ou des divertissements qui leur sont proches.” “Les jeunes utilisent MySpace pour échanger avec leurs amis mais aussi pour s’inspirer du comportement de leurs aînés afin de définir les leurs”, rapporte Jean-François Ruiz après avoir entendu danah boyd lors de la conférence LeWeb3.

“En pensant aux pratiques en matière d’amitié dans les réseaux sociaux en ligne, il est crucial de les évaluer dans leur contexte, en identifiant le rôle de la technologie et de la navigation sociale, plutôt que de les considérer simplement comme une prolongation des réseaux d’amis habituels, fonctionnant en temps différé”, conclut non sans raison la chercheuse.

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Posté le 5 janvier 2007

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