Reprise d’un article publié par Internet actu
Dans : Opinions , Usages , Coopération - Par Hubert Guillaud le 7/12/2006
(magazine en ligne sous licence Creative Commons)
Bien souvent, utilisateurs comme non-utilisateurs doutent de son impact réel. Ce qu’il se passe dans le virtuel ne concernerait que quelques allumés, ultraconnectés, n’aurait un impact bien souvent que relatif, limité au “cyberespace”, quand ce n’est pas à quelques blogueurs qui se pâment d’importance, et encore…
Pourtant, si les exemples qui montrent le contraire ne manquent pas - le plus emblématique étant certainement la célèbre affaire Kryptonite -, force est de constater qu’il est difficile de les rassembler. Passé notre utilisation quotidienne qui nous fait passer des rendez-vous, des contrats, des achats qui déclenchent des actions pourtant bien réelles… comment quelques actions collectives en ligne ont un impact sur la réalité, notamment auprès de non-utilisateurs ou de gens qui ne sont pas familier du même réseau ? Comment certains groupes se mobilisent ainsi, qui ne se seraient pas mobilisés autrement ? Quels sont les phénomènes de masse ou les signaux faibles, qui, si on enlève l’internet, ne se produiraient pas ?
Cet impact est inconstant. Certains sujets, certaines actions, ne dépassent pas le cadre de l’internet ou peinent à rebondir dans le “monde réel”. L’audience de la plupart des blogs reste très faible et leur impact au-delà d’un cercle d’amis ou d’initiés, nul. Pire, certains semblent accablés par l’idée que l’expression des gens sur l’internet puisse avoir un impact, comme l’exprimait récemment le conseiller politique de Tony Blair. Pourtant, s’ils n’en avaient pas, est-ce que les institutions ou les sociétés s’essayeraient au slapping ?
Je vais prendre un exemple qui m’a intéressé la semaine dernière. Peut-être le trouverez-vous modeste, anecdotique, insignifiant… mais il me semble pouvoir être emblématique du moteur que constitue l’internet dans son impact du monde réel. L’affaire, racontée par Place de la démocratie et tirée du Times, a eu lieu sur FaceBook, le réseau social étudiant. Il a consisté en une simple mobilisation d’étudiants contre l’extension à plusieurs universités britaniques d’un cours testé par l’université d’Edinbourgh, censé promouvoir la vision biblique du couple et détourner les étudiants de l’homosexualité. 1400 étudiants se ! sont mobilisés en ligne pour réclamer l’abandon du cours moralisateur, sans contenu pédagogique, et financé par leurs frais d’inscription. Ils ont obtenu gain de cause. Bien sûr, cet exemple est anecdotique, mais il montre la puissance - même relative - du réseau, jusqu’à des petites choses de tous les jours. Comment ces étudiants auraient-ils pu faire entendre aux plus grandes universités britanniques (dont beaucoup conservent un caractère confessionnel, quoique discret) que ce cours ne leur paraissaient pas utile, sans ce moyen d’action ? Par un sit-in ? Une grève ? Une manifestation ? Une pétition ? La forme souple et légère du réseau est incroyablement efficace. Elle montre en tout cas, que bien plus qu’une collection d’espaces personnels, le web est un réseau d’action.
Reste qu’on ne sait toujours pas pourquoi certaines actions passent à l’échelle et d’autres pas (peut-être que cette tentative expérimentale nous apportera une réponse - ouf, je ne savais pas comment j’allais arriver à placer ce lien sur Internet Actu). Il faudrait lancer un répertoire de ces histoires, de ces petits exemples édifiants, quand le web a un impact au-delà du numérique, y compris - voire surtout - sur ceux qui ne l’utilisent pas. Les collecter patiemment. En faire un réservoir pour s’en servir comme autant d’exemples de bonnes (ou mauvaises) pratiques. Peut-être pourrions-nous ainsi mieux comprendre pourquoi elles fonctionnent, comment elles infusent ? Encore faudrait-il s’intéresser plus aux effets de dissémination qu’aux effets d’agrégation, plus faciles à obse ! rver.
Comme le souligne André Gunthert, en évoquant un usage personnel d’internet qui n’était pas possible il y a encore quelques temps, il nous faudrait consigner au fur et à mesure “ces déplacements mineurs dont la somme fait la matière du changement” et qui nous semblent beaucoup plus significatifs que les prophéties que développent bien des apôtres du réseau.
Hubert Guillaud