L’utilisation d’Internet en campagne électorale : pour le meilleur et pour le pire !

Un article du Cefrio (Québec)

En 2006, la campagne électorale canadienne a marqué un tournant en ce qui concerne l’intégration d’Internet dans la stratégie globale des partis politiques. Des sites Web, des blogues, des vidéos humoristiques ont été utilisés pour séduire l’électorat canadien.

Si bien que le magazine informatique PC World a créé le palmarès Federal Election Digital Awards pour classer les divers outils Web des partis canadiens. Cet automne, la présence massive sur la Toile des candidats à la présidentielle de mi-mandat aux États-Unis a confirmé qu’Internet est dorénavant un incontournable en politique.

La France, qui est en période électorale, semble aussi au diapason en ce qui concerne l’intégration d’Internet dans les stratégies des candidats en lice.

Bilan des nouvelles implications d’Internet en politique en vue de comprendre ce qui nous attend lors des prochaines campagnes électorales canadienne et québécoise.

Repris d’un article publié par le Cefrio dans son bulletin Sistech

Lire l’article sur le site du Cefrio

Les stratégies électorales américaines

De toute évidence, un candidat qui se présente en politique a tout avantage à être vu et entendu le plus possible, et à ce propos, Internet offre une vitrine particulièrement intéressante. De fait, étant peu dispendieuse, facile d’accès et disponible en tout temps, la Toile offre une kyrielle d’outils de persuasion : publicité en ligne, mots-clés, podcasts, blogues, flux RSS, dons ou cotisations en ligne, courriels, listes de diffusion, etc. Selon un sondage mené cet automne aux États-Unis par Burst Media, 26 % des électeurs américains considèrent qu’Internet est le meilleur endroit pour s’informer sur les candidats, ce qui dépasse tous les autres types de médias, y compris la télévision et les journaux. Lors de la campagne électorale américaine de 2004, la proportion d’électeurs qui considéraient Internet comme le moyen privilégié pour s’informer sur la campagne était de 18 %1. Au détriment des autres médias, Internet a gagné plusieurs points de pourcentage en deux ans. Nombre de partis politiques et de candidats possèdent un site Internet présentant leur plateforme électorale, leurs positions sur certaines questions, offrant des podcasts audio et vidéo d’allocutions passées, affichant des blogues et enjoignant les citoyens à émettre leur opinion. Il s’agit en quelque sorte du volet sur lequel les prétendants au pouvoir ont le plein contrôle sur ce qui est dit et censuré.

Cela étant dit, les candidats n’ont pas le plein contrôle de l’information qui circule à leurs propos sur Internet. À titre d’exemple, The New York times reprend l’expression Google-bombing2 pour qualifier la stratégie mise en place par Chris Bowers, contributeur du Direct Democracy (mydd.com). En quelques mots, la stratégie avait comme objectif de faire sortir en tête de liste sur le moteur de recherche Google des liens de pages contenant des informations compromettantes sur certains candidats lorsque leur nom était recherché. En élaborant une stratégie de référencement sauvage ou abusif, Bower a réussi à mettre dans l’embarras plus de 50 candidats républicains. Ainsi, les premiers résultats de recherche affichaient des articles tirés de sites d’informations fiables ou encore des blogues qui faisaient mauvaise presse aux candidats. Par ailleurs, le site YouTube n’est pas en reste en permettant de visionner des vidéos mettant dans l’eau chaude certains candidats pris sur le fait lors de déclarations compromettantes.

Le cadre législatif français

Les événements survenus aux États-Unis durant la dernière campagne électorale démontrent qu’au-delà des avantages que présente Internet, les candidats et les citoyens doivent se montrer vigilants quant à l’information disponible. La France, dont la campagne présidentielle se déroule en ce moment, s’est dotée d’un code de conduite sur la propagande en ligne. En octobre dernier, la Commission nationale de l’information et des libertés (CNIL) a élaboré une recommandation sur la prospection politique par Internet. Cette recommandation indique qu’il est dorénavant interdit aux candidats et aux partis politiques d’utiliser des bases de données sensibles (aides sociales, taxes foncières, etc.) pour rejoindre par courriel d’éventuels partisans. Ainsi, les règles de la prospection commerciale s’appliquent maintenant au contexte électoral, exception faite qu’un parti ne peut posséder ses propres fichiers de données. De plus, les communications réalisées sur Internet doivent clairement identifier de qui origine le message, elles doivent être gérées par les organisateurs de campagne et déclarées à la CNIL.

En parallèle, le Forum des droits sur l’Internet (FDI) a effectué une mise à jour de la communication électorale sur Internet, règles datant de 2002. Ainsi, s’appliqueront à Internet les règles régissant les médias traditionnels, c’est-à-dire des délais comparables précédant le scrutin pour l’arrêt des diffusions publicitaires (par bannières ou autres liens sponsorisés) et d’une période de vingt-quatre heures avant le vote pour l’interdiction des sondages et des communications destinées à l’électorat (forums, système d’envoi automatique de messages). Reste à voir si ces balises sauront prévenir des incidents comparables à ceux survenus aux États-Unis.

Les électeurs sont-ils les gagnants ?

Mais doit-on réellement parler d’incidents ou d’un gain de pouvoir pour les électeurs ? Est-ce une augmentation de la liberté d’expression et de la pluralité d’opinions et de sources ? Encore, s’agit-il d’une dérive se rapprochant du fait divers ? Des candidats se cachent-ils derrière des internautes (blogueurs) se qualifiant comme de simples sympathisants ? Pendant que les victimes du Google-bombing crient au scandale, d’autres (dont l’auteur de la stratégie) clament l’importance de la transparence et du droit à l’information. Peu importe de quel côté on se positionne, il demeure qu’Internet est là pour rester et que son utilisation en période électorale est appelée à se développer davantage. Enfin, l’utilisation en contexte de campagne électorale d’Internet et des outils émergents du Web 2.0 impose une réflexion sur les limites et les avantages offerts. Il est à parier que les usages émergents (surtout les incidents) auront bientôt fait d’influencer l’élaboration des législations protégeant, d’un côté les candidats et de l’autre les électeurs, contre les abus… de pouvoir.


Notes

1 - Rainie, Lee, Michael Cornfield, John Horrigan. The Internet and Campaign 2004, Pew Internet and Americain life project, 6 mars 2005, p. i.
2 – Pour plus d’information sur le Google-bombing

Rédactrice : Sophie Poudrier, analyste-conseil, Direction des enquêtes et de la veille stratégique, CEFRIO

Sources :

Voir les liens actifs sur l’article sur le site du CEFRIO ->http://www.infometre.cefrio.qc.ca/loupe/sistech/1106.asp#3]

Carter, Bill, Jacques Steinberg. « Election night viewing includes Web’s bells and Whistles », The New York times, 7 novembre 2006.

Zeller JR, Tom. « THE 2006 CAMPAIGN ; A New Campaign Tactic : Manipulating Google Data », The New York times, 26 octobre 2006, p. 20.

Zeller JR, Tom. « Google-Bombing by the Netroots », le Blogue The Caucus, The New York times, 23 octobre 2006.

Pisani, Francis. La campagne électorale à coups de bombes... Google, Yahoo actualité France, 27 octobre 2006.

Le cyberespace joue un rôle important dans les élections américaines, Canoë, 26 octobre 2006.

Burns, Biff. Burst Media Survey : Voters Turn to Internet as Best Place to Learn About Candidates/Issues, 9 octobre 2006.

Rainie, Lee, Michael Cornfield, John Horrigan. The Internet and Campaign 2004, Pew Internet and Americain life project, 6 mars 2005.

Devillard, Arnaud. La Cnil régule la prospection politique en ligne, 01net., 18 octobre 2006.

Devillard, Arnaud. Le FDI fixe ses règles du jeu de la campagne électorale en ligne, 01net., 20 octobre 2006.

Cousin, Capucine. Le FDI ajuste ses recommandations sur la Net-campagne électorale, ZDNet France, 20 octobre 2006.

Guglielminetti, Bruno. « Technologie : Une campagne électorale plus branchée que jamais », [En ligne], Le Devoir, 23 janvier 2006.

Posté le 18 novembre 2006

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