Qu’est-ce que le Web 2.0 ? Comment on fait la différence avec le Web 1.0 ?

Entrevue avec Serge Proulx , Questions de Corinne Fréchette-Lessard

Entrevue avec Serge Proulx
Questions de Corinne Fréchette-Lessard

Le 29 octobre 2006

Qu’est-ce que le Web 2.0 ? Comment on fait la différence avec le Web 1.0 ?

L’expression « Web 2.0 » a été forgée en 2004 en Californie. C’est une notion polysémique qui réfère à trois grands types de définitions.

  • La définition la plus médiatisée concerne la nature des sites Web qui sont produits : les sites Web 2.0 sont des sites dont le fonctionnement est fondé sur la participation d’un grand nombre d’internautes.

Les internautes ne sont plus de simples utilisateurs de services, ils deviennent des producteurs d’information. Par exemple, sur le site MySpace, chaque internaute qui s’inscrit peut disposer de son propre espace et d’outils numériques automatisés faciles à utiliser, et donc créer un profil qui affiche ses intérêts et ses envies. Ce profil personnel est offert à quiconque se rend sur le site.

Des réseaux d’échange se constituent ainsi autour des intérêts ou des envies partagés. Certains parlent de formation de « communautés » : il s’agit d’une acception vraiment très floue du mot « communauté » quand on pense qu’il y a plus de 100 millions d’inscrits sur le site MySpace ! Pour décrire ce genre de sites qui suscitent les échanges et les rencontres, les analystes parlent de « médias sociaux ».

  • La deuxième définition du Web 2.0 renvoie aux outils qui sont utilisés par les développeurs pour créer de tels sites, de même qu’aux outils qui sont mis à disposition des internautes pour qu’ils créent eux-mêmes leurs propres univers cybermédiatiques.

Je pense par exemple aux outils collaboratifs Wiki qui permettent à des internautes amateurs d’intervenir directement dans le processus de création de pages Web. La manifestation la plus connue d’usage de ce type d’outils est le site Wikipedia. Il s’agit de la première encyclopédie en ligne, qui est construite essentiellement par des contributions de milliers d’amateurs dans un processus d’auto-organisation. Le site existe maintenant en une centaine de langues. La version anglaise du site comporte plus de 1.3 millions d’entrées (alors que la version numérique de l’encyclopédie Britannica offre aux alentours de 100 000 entrées). Ce site Wikipedia a été l’objet de plusieurs polémiques en raison de définitions qui comportaient des erreurs ou des points de vue trop orientés. Il existe certains mécanismes de contrôle des définitions proposées mais le site est victime de son très grand succès : il n’y a pas assez de contrôleurs en regard du très grand nombre de contributeurs qui proposent en permanence de nouvelles entrées.

  • La troisième définition du Web 2.0 renvoie aux modèles d’affaires qui sont mobilisés dans ce genre de sites. Comment ce genre de sites deviennent-ils rentables ? Alors qu’au début d’Internet, les analystes se demandaient si Internet pouvait être intéressant pour générer des revenus publicitaires, des modèles d’affaires se sont constituées et stabilisées au fil des ans. Il s’avère que ces sites de médias sociaux sont une source de très grands profits.

D’une part, les bannières publicitaires qui y figurent sont payées par les commanditaires soit à travers une logique de comptabilité des « impressions » (c’est-à-dire des apparitions des images publicitaires sur les écrans des internautes), soit selon une logique de comptabilité des « clics » des internautes vers les sites des commanditaires.

D’autre part, le système Internet permet de recueillir des informations sur les comportements des internautes (leurs préférences, leurs sites favoris mémorisés dans leurs signets). Ces informations sont fédérées et permettent de tracer des portraits précis des profils des consommateurs. Cela entraîne des possibilités de ciblage toujours plus sophistiqué des consommateurs. Plus un internaute surfe sur le Web, plus il se trouve enfermé sous l’emprise d’une logique de la consommation.

Il me faut aussi mentionner le fait de la plus-value qui est produite par les connaissances apportées par les collectifs d’internautes eux-mêmes. Par exemple, toutes les critiques et suggestions apportées par les lecteurs-consommateurs sur le site commercial Amazon à propos de tel ou tel bouquin, contribuent à produire une plus-value dans la stratégie commerciale de cette librairie en ligne. Nous retrouvons cette même logique dans le monde de l’industrie logicielle où sur certains sites de dépannage, ce sont la masse des utilisateurs qui apportent des réponses à d’autres utilisateurs qui rencontrent des difficultés dans leur usage des progiciels. Ce sont aussi ces mêmes usagers qui feront des suggestions pour améliorer les produits. C’est ici la logique du monde du logiciel libre qui est récupérée par l’industrie logicielle propriétaire.

Comment le rôle de l’internaute s’est-il transformé de simple consommateur en producteur de contenu ? Peut-on parler d’une révolution culturelle ? Pourquoi ?

Quant à la différence entre Web 2.0 et Web 1.0, je dirais qu’il s’agit d’une évolution accélérée d’Internet et de la Toile. Je ne parlerais pas de révolution parce que nous sommes dans la même logique de développement depuis la première vague de dissémination du Web à partir de 1995. Depuis, le développement des réseaux haut débit, la diminution du coût des équipements et de l’accès aux serveurs, la multiplication des logiciels qui sont mis à la disposition des internautes, tout cela a permis de franchir une nouvelle étape dans la réalisation de l’utopie de l’accès aux savoirs universels des premiers inventeurs d’Internet.

Avec le Web 2.0, n’importe quel internaute peut dorénavant être visible à l’échelle de la planète. Des encyclopédies se construisent collectivement, sans le recours à l’autorité des experts, et sont mis à la disposition de quiconque prétend chercher.

Toutefois, quelque chose de vraiment neuf est en train de naître : cette démocratisation de l’accès aux outils du Web favorise une intensification et une accélération des échanges. La communication de masse prend un nouveau sens. Il s’agit bien d’une explosion de la communication de masse.

De nouvelles formes de communication surgissent : à côté des interactions entre individus (téléphone, courriel), à côté des communications de groupe qui se multiplient (chat, forums, listes de discussion), de nouveaux patterns apparaissent grâce à ces nouveaux médias sociaux, des individus peuvent se rendre visibles instantanément et parler à la masse à l’échelle globale. Ces phénomènes s’avèrent particulièrement visibles à l’occasion des actions terroristes ou des catastrophes naturelles : ainsi, ce sont les bloggeurs qui peuvent transmettre les premiers des informations et des photos (prises avec leur téléphone portable) à partir des lieux des sinistres. On assiste de plus en plus à une intrusion des amateurs dans le monde des professionnels du journalisme.

Le Web 2.0 annonce la communication des masses, la communication de la masse à la masse. La logique du grand nombre prend une nouvelle importance en regard de l’autorité des experts. Certaines élites médiatiques pourraient être ébranlé par ce mouvement informationnel explosif.

En même temps, les hiérarchies de pouvoir perdurent dans ce monde d’entreprises fondées sur les réseaux. Les médias sociaux représentent des enjeux économiques mirobolants, de sorte qu’assez rapidement après leur création, les grands acteurs capitalistes d’Internet (Google, Yahoo !, Murdoch, Microsoft) achètent à des coûts astronomiques ces sites qui sont des machines à produire des dollars. MySpace a été acheté par Rupert Murdoch ; Blogger et YouTube par Google ; Flickr par Yahoo ! Il reste Wikipedia qui poursuit son utopie à l’écart de ce monde des rachats capitalistes. Mais pour combien de temps ?

Serge Proulx


Serge Proulx
Directeur du Groupe de recherche sur les usages et cultures mediatiques(GRM) http://grm.uqam.ca/
Directeur du Laboratoire de communication médiatisée par ordinateur

Professeur titulaire, Ecole des medias, Faculte de communication,
Universite du Quebec a Montreal,
C.P. 8888, Succ. Centre-ville, Montreal, QC, Canada H3C 3P8

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  • e-mail : proulx.serge@uqam.ca
Posté le 17 novembre 2006 par Valérie Dagrain

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