Le logiciel de dessin vectoriel Xara Xtreme (concurrent de Adobe Illustrator) devient libre

Interview de Charles Moir, Directeur Exécutif de Xara

article repris du site Framasoft

Le 11 octobre 2005, la société Xara annoncait son intention de passer sous licence GPL son logiciel de dessin vectoriel Xara Xtreme (concurrent de Adobe Illustrator) et de le porter sur les systèmes GNU/Linux et MacOS...

Quelques mois de travail plus tard, la version GNU/Linux de Xara LX que nous avons pu tester est déjà impressionnante [1].

Pour en savoir un peu plus sur les coulisses de cette libération, Veni, Vidi, Libri -un collectif dont on est pas peu fier et qu’on ne se lasse pas de présenter- nous offre une très interessante interview de Charles Moir [2], Directeur Exécutif de Xara X.

Reprise d’un article publié par Framasoft
sous Contrat creative Commons par Veni, Vidi, Libri
le 29 juillet 2006


Veni Vidi Libri : Qui êtes-vous ?

Charles Moir : Charles Moir, Directeur Exécutif de Xara, et je suppose que je devrais également être appelé Architecte en chef de Xara Xtreme (et maintenant Xara LX). J’ai été longtemps développeur (j’ai programmé les produits originels de la société Xara, il y a 25 ans, ou plus. Tout était alors en assembleur). Désormais je ne programme plus, mais je supervise l’ensemble du projet.


VVL : Comment décririez-vous votre travail de développeur ?

C.M. : Voir ci-dessus. Je ne suis plus vraiment un développeur actif.

VVL : Comment avez-vous connu le libre ?

C.M. : Je l’ai connu et suivi depuis ses premiers jours. Nous développions déjà des logiciels au début des années 1980, et nous avons par conséquent vu la naissance de Linux. D’un point de vue professionnel, cela représente des challenges intéressants, ainsi que des opportunités. Nous avons, évidemment, passé beaucoup de temps à étudier tout ceci avant de nous lancer sur la route de l’open-source. Il y a de vrais dangers à oeuvrer ainsi, et ce n’est pas certain que nous puissons avoir un retour en agissant de la sorte. Certainement pas dans le court, ni dans le moyen terme. D’un autre côté, le marché de Linux est très largement ouvert, et incroyablement pauvre en bonnes applications graphiques. Le bureau Linux a énormément mûri ces deux dernières années, et nous pensons que nous pouvons avoir un très grand impact en apportant sur le marché une application de très haute qualité, très propre et complète.

VVL : Quel âge à Xara ?

C.M. : Xara Xtreme a déjà fait une longue route. Cela a commencé sur des ordinateurs Acorn Archimedes 32-bit RISC, à la fin des années 1980, avec un produit nommé Artworks. Celui-ci a gagné de nombreuses récompenses, y compris contre les grands acteurs du marché Windows et Mac que sont Adobe et Corel. De nombreuses personnes nous demandèrent alors de porter l’application sous Windows ou sous Mac, ce que nous fîmes au milieu des années 1990. En réalité, la première version pour Windows était une réécriture complète en C++, et ne partageait plus aucun code avec Artworks. Mais le plus vieux code dans Xara LX est agé probablement de 12 ou 13 ans. Ceci dit, il s’agit d’une architecture C++ très propre, nous n’avons aucune raison, ni envie, de faire le moindre changement fondamental, même après tout ce temps. Et parce que nous en étions à notre deuxième tentative de créer un programme de dessin opérationnel, nous nous sommes assurés que l’architecture était bonne.

VVL : Quelle licence libre avez-vous choisi, et pourquoi ?

C.M. : GPL. Nous avons considéré beaucoup d’autres licences, y compris l’idée de créer notre propre licence, mais finalement, l’acceptation universelle de la licence GPL a été l’une des raisons pour laquelle elle fût choisie. Oh et le principe du Copyleft, qui est fondamental pour nous, c’est-à-dire que le fait qu’aucun de nos concurrents commerciaux ne pourra utiliser la moindre ligne de code, sans passer à leur tour sous licence GPL nous donne un degré de sécurité qui devrait nous prémunir de retrouver notre code dans des produits commerciaux concurrents.


VVL : Depuis quand Xara est-il libre ?

C.M. : Nous avons annoncé notre intention de publier Xara Xtreme sous licence libre l’année dernière [ndr : 2005], il me semble que c’était en octobre. Cela a généré un intérêt énorme. Cela nous a pris des mois pour rendre le code publiable (c’est-à-dire que nous avons du le compiler avec GCC, supprimer des morceaux de code propriétaires, et remplacer le framework de MFC par celui de wxWidgets. Oh et nous avons déménagé sur un dépôt public de code Subversion). Cependant, le 19 Mars de cette année, nous avons publié la première et principale tranche du code source, qui représente probablement 90 % des millions de lignes de code. Depuis lors, nous avons continué activement à travailler au portage du code avec l’aide de personnes extérieures.

VVL : Quelles ont été les principales réticences à passer sous licence libre ?

C.M. : Eh bien, la simple question de comment nous pouvions possiblement ne pas engranger de bénéfices de cela. Nous avons passé 14 ans à développer ce produit. Il y a approximativement un million de lignes de code source, et nous avons investi des millions à les développer durant toute cette période. Le code source est le joyau de la courronne de la société - en effet, il inclut quelques uns des codes graphiques les plus avancés sur la planète. Il contient un meilleur moteur graphique que ce qu’a pu développer Adobe, Microsoft, Corel, ou n’importe qui d’autre n’a jamais développé. Et là, nous parlons de sociétés pesant plusieurs milliards de dollars.

Donc, nos première pensées étaient, pourquoi diable voudrions-nous donner tout cela, gratuitement, librement, et ne même pas être sûr d’en obtenir le moindre retour ?

VVL : Qu’est-ce qui vous a décidé / aidé à passer outre ?

C.M. : Eh bien, il s’agit d’un énorme enjeu pour notre société, il n’y a aucun doute là dessus. Mais nous avons pour ambition de devenir l’un des principaux acteurs et une véritable menace contre la domination de Adobe et Microsoft, et c’est afin de le devenir que nous avons besoin de quelques petites choses.Premièrement, avoir une solution multi-plateforme, sur les trois principales plateformes que sont Linux, Windows et Mac. Deuxièmement, nous avons besoin d’augmenter notre base de développeurs, et de le faire rentablement. Et l’une des manières de le faire est, nous espérons, d’enrôler des développeurs de la communauté Open-Source. La réalité est assez simple. Nous fournissons le code source à la plateforme Linux, afin d’avoir l’un des meilleurs produits graphiques sur cette plateforme - mieux que tout ce qui a déjà été vu auparavant. Nous le faisons entièrement sous GNU/GPL, de sorte que la communauté ait la vraie liberté de faire ce qu’elle veut avec. En retour, nous espérons attirer des développeurs qui puissent nous aider à faire avancer le produit dans le futur, afin de réellement concurrencer Adobe et Microsoft.

VVL : Avez-vous été réticent à l’ouverture du code ? De rendre possible un fork sur votre produit ?

C.M. : Bien sûr, c’est un risque. Mais seulement si nous ne modifions pas le produit dans la direction dont la communauté le souhaiterait. Chacun est conscient des risques et des dommages potentiels qu’un fork peut avoir. En fait, les gens sont réticents de le faire, et cela arrive habituellement seulement lorsque il y a une très bonne raison. Donc, nous espérons que tant que nous continuerons à faire évoluer le projet, celui-ci sera perçu comme un dictateur bienveillant.

VVL : Aujourd’hui, pouvons-nous tirer un bilan sur la vie et la diffusion de XaraX ? Depuis qu’il est libre ? Avant qu’il ne le soit ?

C.M. : Le logiciel date de 1995, lorsqu’il a été en premier lieu créé pour Windows. En fait, il existait déjà avant. Une première version, appelée Artworks, était disponible sur les ordinateurs Acorn RISC, le premier ordinateur 32 bits de RISC, mais limité au Royaume-Uni. Le logiciel a remporté de nombreuses récompenses, en compétition avec Adobe et Corel, et dans le début des années 1990, nous avons décidé de créer entièrement une nouvelle version qui puisse être un jour mult-plateforme (c’était avant que n’apparaisse Linux). C’est devenu Xara Studio, et elle fut également distribué par Corel sous le nom de CorelXara. En l’an 2000, nous reprenions les droits sur Corel et nous avons fait une mise à jour : Xara X. Depuis, il y a eu beaucoup de mises à jour, dont la plus récente est Xara Xtreme.

Nous continuons à faire le portage de la version Linux, il est donc trop tôt pour dire quoi que ce soit sur la diffusion sur Linux, mais nous avons l’espoir que Xara puisse être inclus sur les principales plateformes, en supposant que nous ayons créer un assez bon produit. Et il se porte très bien jusqu’ici.


VVL : Comment s’est déroulé le passage de propriétaire à libre ?

C.M. : Eh bien, nous sommes actuellement toujours en plein process. Cela prendra certainment plusieurs mois, peut-être des années, avant que nous sachions s’il est pratique de le supporter pour notre société, d’un point de vue économique, ou pour le monde Open Source de Linux.

VVL : Quels sont les avantages/inconvénients d’un logiciel libre, selon vous ?

C.M. : Un avantage important, pour nous et nos utilisateurs, est que une fois le le produit libéré, cela ne pourra plus être fermé. Les utilisateurs de MacroMedia Freehand souffrent maintenant de bugs, parce que Adobe (et les concurrents de MacroMedia) a racheté la société et agissent comme s’ils avaient abandonné le produit Freehand. Donc, des dizaines de milliers d’utilisateurs de Freehand ont été floués par le rachat de Adobe, et leur application graphique favorite n’a plus aucun futur. Si le programme avait été open source, cela ne serait pas arrivé. Même si quelqu’un rachetait Xara, et fermerait tous les supports de Xara LX, le produit continuerait après nous.

Les autres avantages sont les plus connus : plus le nombre de développeurs est important, plus vite les bugs sont résolus. Nous espérons que le produit évolue et se développe plus rapidement dans le futur que par le passé.

Les inconvénients ? Il est loin d’être sûr que nous fassions le mondre bénéfice avec cette manoeuvre. Nous espérons que ce sera le cas et que nous pourrons par la suite réinvestir dans ce projet. Mais actuellement, il est trop tôt pour avoir une quelconque retombée financière. Nous espérons qu’un jour nous aurons des millions d’utilisateurs et qu’un petit pourcentage sera disposé a acheter des versions premium, des add-on propriétaires, le support clientèle et même des produits comme des manuels ou des CD. Nous avons seulement besoin d’un petit nombre achetant quelque chose pour que cela en vaille la peine.

VVL : Si c’était à refaire, opteriez-vous pour du Libre à nouveau ?

C.M. : Il est trop tôt pour le dire. Reposez-moi la question dans un ou deux ans.

VVL : Recommenderiez-vous à un développeur de rendre son logiciel libre ? Pourquoi ?

C.M. : Je ne recommenderais pas encore nécessairement cela à un autre développeur. Il est trop tôt pour dire si cela nous sera profitable.

VVL : Quel(s) conseil(s) donneriez vous à quelqu’un désirant placer son logiciel sous licence libre ?

C.M. : Choisir la GPL et aucune autre licence. Les querelles sur la création de différentes licences sont vaines et ces licences ne seront jamais acceptées par la communauté aussi bien qu’une simple GPL. La GPL fournit aussi une protection contre des concurrents commerciaux utilisant votre code.


VVL : Pourquoi préférer un logiciel libre, par rapport à un propriétaire ?

C.M. : Eh bien, en tant qu’utilisateur, je ne suis ni lié, ni attaché à une société commerciale pour le futur de ce produit. Je sais qu’il a un futur garanti (en supposant qu’il a un nombre d’utilisateurs raisonnable). Je peux modifier le code moi-même, ou payer quelqu’un pour le faire.

Ce qu’il y a de mauvais pour une licence libre ? Eh, bien, en tant qu’utilisateur, je crains de devoir dire que la qualité générale des produits libres est bien en-dessous de nombre de produits commerciaux. Les développeurs open-source travaillent généralement de manière à obtenir quelque chose qui fonctionne juste suffisamment, jamais plus. Il y a peu ou pas d’incitation à dépenser énormément de temps à tester et à créer un produit vraiment abouti (beaucoup d’investissement pour très peu de retours pertinents). Deuxièmement, le travail ‘ennuyeux’ a tendance à ne jamais être fait. Troisièmement, les produits sont rarement ‘finis’. Dans le monde commercial, les logiciels ont beaucoup plus de de versions distribuées. Peut-être une fois par an. La plupart des logiciels open-source ont des nouvelles versions produites constamment, et arrivent rarement à une version 1.0. En tant qu’utilisateur, il y a des avantages et des inconvénients.

Nous espérons qu’en étant une entreprise commerciale, nous pourrons apporter le meilleur des deux mondes. Nous avons des développeurs que nous payons pour faire le travail fastidieux, que le monde de l’open-source refuse de faire. Nous avons des utilisateurs payants, qui recquièrent et attendent (et sont habitués à nos versions) un logiciel très stable, très propre, très rapide et très facile à utiliser, et nous espérons continuer à le faire ainsi.


VVL : Si vous deviez développer un nouveau logiciel maintenant, quelle serait sa licence ?

C.M. : Cela dépend du type de logiciel. Il y a des produits de niche, qui appellent uniquement des utilisateurs professionnels, et cela n’a pas énormément de sens de le développer en libre. Les aspects commerciaux ne rendent pas forcément intéressant de développer un tel logiciel sous licence libre.

D’un autre côté, s’il s’agit de quelque chose véritablement utile, s’adressant à un public large, et sur lequel vous ne pouvez pas vous permettre d’y consacrer un nombre important de développeurs, et que vous êtes sûrs que cela aura un grand impact sur nombre d’utilisateurs, alors, il sera intéressant d’opter pour une licence libre.

Un grand merci à Charles Moir d’avoir joué le jeu des Questions/Réponses.

Framasoft tient aussi féliciter toute l’équipe de Veni Vidi Libri pour le super travail qu’elle effectue, ainsi que Tolosano pour cette interview.

[1] Voir quelques captures d’écran, ou mieux, essayez le logiciel ;-).

[2] Vous trouverez la version originle de l’interview en Anglais ici sur le site de Veni Vidi Libri.

Posté le 14 octobre 2006

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