Intervention de M. Jacques Houdremont- Maison de la Formation de Grigny -
M. Houdremont propose de présenter le projet de la Maison de la Formation de Grigny, et
d’expliquer en quoi, après trois ans d’expériences, ce projet s’inscrit concrètement dans une
démarche d’Education Populaire.
La communauté de communes Rhône Sud est une petite communauté de communes implantée à 20
kilomètres en dessous de Lyon, entre deux villes à tradition ouvrière : Grigny et Givors (cités de
cheminots très importantes, forte industrie). Ces deux villes ont subi la « casse industrielle » de
façon assez dramatique depuis les années 70. Elles sont en pleine mutation et sont d’ailleurs
classées en « politique de la ville ».
La Maison de la Formation est un équipement public qui a ouvert récemment (2004). Une de ses
missions est d’animer un plan de développement des TIC en direction des populations ouvrières/
employées. Dans un territoire touché par des fractures sociales très importantes (deux REP sur un
territoire qui compte 28 000 habitants).
Dès 2002, la commande politique sur ce plan de développement des TIC était très claire. Le discours
était le suivant : « Aujourd’hui, si la collectivité territoriale ne s’empare pas de cette question,
elle sera confrontée dans les années à venir aux mêmes problèmes qu’elle peut rencontrer avec
certaines populations face à l’illettrisme, face aux ruptures culturelles, face aux ruptures de
société ». La commande politique fut donc très volontaire, dès le départ, dans le but de
sensibiliser des populations éloignées des TIC, autant pour des raisons financières que
culturelles.
Ce plan a été construit en trois mois, et la façon dont il a été construit s’inscrit déjà dans une
démarche d’Education Populaire : il n’a pas été construit par trois ou quatre « spécialistes » (« de
toutes façons il n’y avait pas de spécialistes sur la Communauté de communes Rhône Sud - d’ailleurs
sur les quatre personnes qui composent aujourd’hui l’équipe de la Maison de la formation, il y a
trois agents issus du développement social, et un seul informaticien arrivé un peu par hasard... »).
Le plan a donc été construit dans une démarche participative, associant près de 70 personnes
(associations, enseignants, commerçants, citoyens (« des personnes n’ayant pas de fonctions
particulières mais ayant des paroles à porter dans les quartiers ») ; tous néophytes dans le secteur
des TIC.
Le plan s’appuie sur 6 axes :
- Une sensibilisation aux usages dans le cadre d’une démarche de proximité (un des points
forts). « La politique choisie dès le début était de ne pas s’embarquer dans une démarche
de construction d’espaces publics numériques, mais d’aller au-devant des populations, à
l’image d’expériences positives qui s’étaient déroulées dans ce sens précédemment sur le
territoire (ex ATD Quart Monde et la bibliothèque de rue) ». - Une optimisation des équipements existants.
.. Une formation des animateurs (notamment des centres sociaux, des centres de loisirs). - La mise en place de réseau de parrainage (appel à l’intelligence collective, au partage des
savoirs et des savoir-faire). - La mise en place d’un pôle ressource sur les usages.
- Le tout étant très volontairement ancré sur une mission de service public.
Le plan a été mis en oeuvre 3 mois après sa conception, et un an et demi avant l’ouverture de la
maison de la formation.
Ce plan relève d’une démarche d’Education Populaire puisqu’il s’agit d’une action volontaire
adressée dès sa conception à un public éloigné des TIC.
Ce plan a été conçu et mis en oeuvre par les publics visés (dès le démarrage bien ancré dans la
population que les responsables voulaient toucher). Ce qui donné à ce projet une dimension
militante. Qui s’est illustrée très concrètement la première année de la mise en oeuvre. M.
Houdremont était à l’époque seul sur le territoire, il a pu compter sur un réseau d’acteurs d’une
centaine de personnes (volontés des associations de s’investir et de participer au projet), plus
de cinquante initiatives, plus de mille personnes touchées.
Ce projet s’inscrit également dans une démarche d’Education Populaire dans le sens où il est un
appel au vécu social, aux savoirs et aux savoir-faire des populations, un partage des
connaissances et une ouverture sur les autres. Dès le départ, les responsables du projet ont
souhaité examiner ce qui avait déjà été fait ailleurs (« il ne faut pas chercher à réinventer l’eau
chaude ») et prendre des contacts tous azimuts sur l’ensemble de la France.
La première dynamique enclenchée par ce plan fut une démarche de proximité, par la mise en
place « d’animations d’appartements » (des réunions chez l’habitant) - le principe des réunions
tupperware, mais sans démarches commerciales. Les responsables souhaitaient partir de l’intérieur
des appartements pour partir des préoccupations des populations.
Un déroulement type d’une animation d’appartements : une discussion détendue dans un premier
temps, dans le salon, sans déployer le matériel, pour repérer les attentes et les besoins. A partir
de là, une animation informatique « s’improvise », ce qui permet aux personnes qui n’ont jamais
manipulé un ordinateur de l’appréhender de manière détendue, de l’aborder en fonction de ce
qu’ils ont dans la tête (ex : faire mon CV, procéder à des recherches pour entretenir mon jardin,
faire des recherches pour mes impayés de loyers, etc).
Deuxième principe : l’appui sur des contenus. Ainsi, dès que les responsables ont des animations
extérieures à réaliser, ils sont systématiquement en partenariat avec des structures annexes
(soit une association, soit un service municipal, soit un groupement - qui maîtrisent les contenus),
dans le but de s’inscrire dans une dynamique où l’outil n’est pas au coeur de l’action. « Ce qui est
au coeur de notre action, c’est l’appropriation du patrimoine culturel humain ».
La Maison de la Formation a ainsi développé des projets à contenu solidaire : un portail de
solidarité, des échanges entre des collégiens du REP et un lycée francophone Ariga, des échanges
avec le Burkina Faso, la mise en oeuvre d’un jeu d’Education à la Citoyenneté réalisé par un conseil
d’enfants encadré par des enseignants et des animateurs spécialisés.
Ces différentes démarches impliquent les personnes, qui s’approprient peu à peu l’outil.
Notamment en utilisant divers outils comme Spip (présenté par le collègue de M. Houdremont dans
l’atelier Spip l’après-midi) : « des outils qui permettent de dédramatiser l’informatique et
l’Internet, et de rentrer dans cette problématique où non seulement on peut aller chercher de
l’information, mais aussi en donner... »
Un autre point souligné par M. Houdremont : la nécessité de prendre de la hauteur par rapport à
aux actions. En effet, les responsables se sont rapidement aperçus qu’être dans l’action, être au
plus près des gens, ne permet pas de lever le pied. Un conseil scientifique de personnes très
diverses et reconnues a donc été créé, avec pour mission d’accompagner le projet et de
rechercher à l’extérieur les bonnes pratiques, pour s’en inspirer (M. Houdremont cite notamment
les démarches de @-Brest).
Avec ce petit héritage, la Maison de la Formation a ouvert, un an et demi après, dans une belle
euphorie. Le succès a été immédiat, près de 350 personnes issues de milieux populaires se sont
appropriées la structure, se sont emparées de l’équipement.
La Maison de la Formation apparaît davantage comme un équipement de développement social
que comme un équipement destiné à la sensibilisation, l’initiation et l’appropriation des TIC. En
effet, les ateliers mis en place dans un premier temps sont des ateliers très simples
d’appropriation de l’outil. Dans un deuxième temps, la Maison de la Formation fait appel au
partage des savoirs et de savoir-faire : concrètement, des réseaux d’entraide ont été mis en
place. Par exemple, la personne qui sait manipuler un appareil photo numérique donne son savoir
aux autres - les animateurs n’étant là que pour injecter à un moment donné un peu plus de savoir
ou de savoir-faire (grâce à de l’expérience ou de la veille), pour faire progresser les personnes dans
l’usage de l’outil et dans les projets qu’elles développent.
La Maison de la Formation se présente également comme un équipement d’activité sociale dans le
sens où elle est régit par un comité d’usagers qui valide les programmations, les modifie, fait des
propositions.
C’est un équipement qui engage également des débats sur des enjeux de société, comme la loi
Dadvsi récemment (une réflexion a été menée notamment sur les pratiques individuelles des
personnes).
L’équipement est également approprié par des groupes structurés, notamment autour du logiciel
libre (groupe Linux, etc).
Le développement actuel de la Maison de la Formation s’oriente vers la volonté de s’intégrer
davantage dans les pratiques de transformation sociale.
Actuellement, la Maison utilise son savoir-faire en terme d’animations d’appartements ou de
présence sur les quartiers pour accompagner la ville de Grigny sur la constitution du budget
participatif. La ville est engagée dans ce projet depuis un an. La Maison utilise son savoir-faire pour
permettre aux gens, à travers un site web, de s’exprimer sur les choix qui peuvent être faits en
matière budgétaire, de faire des nouvelles propositions et d’engager le dialogue avec des élus.
La Maison de la Formation a également été amenée à travailler avec la Fédération Rhône Alpes des
Francas. Lors des premières sessions de travail, différentes questions sont apparues : lors de leurs
formations, comment les animateurs peuvent-ils s’approprier les enjeux de société liés au
développement des TIC ? (notamment ceux qui vont agir dans le champ de l’Education
Populaire ?) Comment peuvent-ils s’approprier eux-mêmes l’outil ? (les jeunes animateurs ont
traditionnellement des usages informels et individuels, et ont de grandes difficultés à imaginer
ce que peuvent être des usages collectifs au service d’un projet collectif, pour des enfants par
exemple). La Maison de la Formation va donc mettre en oeuvre différentes formations liées à ces
questionnements, en lien avec la Fédération des Francas.
Sans oublier une fonction de Pôle ressources, s’appuyant sur les logiciels libres, pour permettre
l’accès à tous.
Comme le précise M. Houdremont, la Maison de la Formation est désormais reconnue comme pôle
ressource sur les usages au niveau de la région Rhône Alpes. L’équipe est majoritairement
constituée de praticiens (et non de théoriciens ou d’universitaires). Et lorsqu’ils font le bilan des
quelques années d’expériences, il apparaît qu’une grande force du projet a été de s’inscrire dès
le départ dans cette dynamique d’Education Populaire, et de travailler avec le public pour
lequel ils avaient été mandatés.
Question de l’animateur : « On retient que les informaticiens doivent rester à l’écoute des usagers,
et que le pouvoir est aux utilisateurs, aux projets, et au sens. Dans votre projet, le pouvoir
d’expression a été clairement donné à la population (cf vos réunions d’appartements), selon-vous
n’y avait-il pas le risque latent que ce pouvoir revienne aux techniciens ? »
M. Houdremont : « Cela ne pouvait pas arriver, car il y avait un portage politique très fort. La
volonté politique était clairement affirmée dans le sens d’une participation maximale de la
population, en veillant aux usages. Les élus étaient très vigilants. Nous veillons à ne jamais nous
laisser déborder par la technique (même s’il y a des frictions de temps en temps), ou qu’elle ne
devienne un obstacle à la démarche d’Education populaire ».
Question de l’animateur : « Comment se déroule une collaboration avec une grande organisation
comme les Francas ? N’y a-t-il pas plusieurs niveaux de lectures, de connaissances, de pratiques ? »
M. Houdremont : « Pas trop. Dès le début, nous avons été sur la même longueur d’ondes : le
portage politique, la vision de la formation et de l’accès pour tous, le désir de s’appuyer sur des
valeurs humaines, le goût de l’effort, le partage des savoirs, l’appropriation du patrimoine
culturel humain. Et le fait de se dire « oui, les TIC sont une évolution majeure de la société, il
faut trouver le juste équilibre entre ce qu’est cette évolution majeure et le fait que ça reste un
outil.... »
Question de l’animateur : « Pouvez-vous nous citer quelques exemples de projets qui n’auraient
pas eu lieu sans la Maison de la formation ? »
M. Houdremont : « Parmi les exemples récents je peux citer un projet d’échange de Patrimoine
entre des jeunes collégiens de notre ville (un collège placé en REP) et une ville en Lituanie. Dans ce
projet, les jeunes ont d’abord été attiré par l’usage des ordinateurs ; mais le bilan a permis de
montrer que l’apport était beaucoup plus large. Leur intérêt pour leur patrimoine local a
considérablement évolué au cours de ce projet. D’après les enseignants, dans une approche
classique, nous aurions eu du mal à les sensibiliser à ces thèmes (par rapport à la lecture, à la
recherche, etc). En partant d’une préoccupation de la jeunesse (l’utilisation des ordinateurs),
les jeunes ont dérivé vers l’appropriation de leur patrimoine local, c’est cela qui est
important ».
Question de l’animateur : « Selon-vous quel est l’impact de la Maison de la formation en terme de
démarches d’équipement des ménages ? »
M. Houdremont : « Nous faisons du conseil en équipement, pour éviter par exemple que les gens
achètent au-dessus de leurs moyens. Lorsque nous les conseillons, nous le faisons sur la base de
l’usage qu’ils souhaitent en faire ».
Réaction du public - M. Walter Bonomo, Université de Nantes : « Pourriez-vous revenir sur la mise
en place du conseil scientifique : comment est-il organisé ? A quoi sert-il ? Sur quelles valeurs les
membres se retrouvent-ils... ? »
M. Houdremont : « Ce sont des membres volontaires, bénévoles, attachés à la Maison de la
Formation, à l’ambiance, à l’esprit d’équipe (équipe « militante »). Deux chercheurs viennent
de l’école polytechnique fédérale de Lausanne (une personne est spécialisée sur la web sémantique,
l’autre est issue du secteur privé). Une personne appartient à VECAM et propose une réflexion sur
l’Internet citoyen et solidaire. Un autre membre a longtemps été formateur à la fédération des
maisons rurales et familiales, et est « fanatique » de l’usage du Blog et des aspects culturels liés
aux TIC. Et deux économistes (l’aspect économique étant au départ la faiblesse du plan).
Ce groupe est donc composé de personnes très diverses, avec des discours très variés. Un chercheur
par exemple s’est impliqué dans le projet en disant « en tant que chercheur, je suis dans ma bulle,
95% du travail ira à la poubelle, 5 % seront peut-être utilisés avec la population, je ne sais pas,
nous verrons ce que ça donne. Mais si je peux vous aider à prendre de la hauteur, à formaliser ce
que vous faîtes, à théoriser ce que vous faîtes, je participe... »
M. Houdremont précise en outre que le projet a évolué beaucoup plus vite que prévu. « Il y a
encore trois ans, je n’aurai pas pu intervenir comme aujourd’hui et présenter le projet. Nous avons
besoin du conseil scientifique pour nous poser, nous repositionner, et surtout ne pas perdre le
sens initial du projet - que le public reste au centre de nos préoccupations ».
Question de l’animateur : « Où se situe exactement la Maison de la formation ? A côté de quels
équipements ? »
M. Houdremont : « La Maison est située à Grigny (une ville de 8 000 habitants), dans un quartier
classé politique de la ville. Il s’agit de l’équipement structurant du quartier - qui lui a permis de
s’ouvrir (parfois des populations viennent d’assez loin). Il s’agissait d’un quartier très renfermé sur
lui-même, très isolé. La Maison de la formation a aidé au rayonnement du quartier, de Grigny,
de Givors, mais aussi de l’agglomération ».
Question de l’animateur : « De quels financements disposez-vous ? »
M. Houdremont : « C’est un très bel équipement, financé à 76% par le FEDER et par le Conseil
régional. L’équipement a été récompensé par une Marianne d’or. Du point de vue architectural,
c’est aussi assez beau à voir. En terme de budget de fonctionnement, la communauté de
communes assure la base - le socle du financement (notamment les quatre salaires). Peu de
budget de fonctionnement car la Maison utilise les logiciels libres. Et le complément de budget
vient de la recherche de subventions (la Maison a notamment été retenue il y a quelques années
dans le cadre de l’appel à projets sur les usages de l’internet porté par le Ministère de la
Recherche). Quelques inquiétudes relatives au financement perdurent, mais ces incertitudes sont
propres en général à ce type de structure ».