Un article publié par Philippe Aigrain sur son blogue
Demain 14 juin 2006, le gouvernement doit décider de tenir ou non une seconde
lecture du projet de loi DADVSI à l’Assemblée Nationale et au Sénat ou au
contraire de persister dans son invocation de l’état d’urgence. La base de
cette décision repose sur le fait de savoir s’il existe entre les versions du
Sénat et de l’Assemblée des différences essentielles. Le Ministère de la
Culture a fait savoir qu’il considérait qu’il n’en était rien. Cette
affirmation est assez savoureuse.
L’assemblée nationale avait adopté
plusieurs éléments clé de limitation des dégâts pour encadrer les
dispositions extrêmes adoptées pour complaire à quelques lobbies (qui en
avaient établi le brouillon). Le Sénat les a fait passer à la trappe et
au-delà :
- La partie pénale de l’amendement "Vivendi-Universal" avait été assortie
d’un "bémol" protégeant les logiciels fondamentaux de l’Internet contre la
criminalisation à la demande. Le Sénat a retiré cette limitation.
- L’Assemblée avait voté presque à l’unanimité, en réaction au choc qu’avait
provoqué dans ses propres rangs l’adoption de l’amendement VU, un amendement
d’interopérabilité aux exigences fortes, réellement protecteur sur ce plan
des logiciels libres. Le Sénat a détruit ce dispositif, allant jusqu’à voter
des formulations qui ne permettront même pas l’interopérabilité entre les
systèmes propriétaires les plus restrictifs.
- Le Sénat a ajouté des dispositions additionnelles qui font obligation aux
internautes d’accepter d’installer des logiciels de filtrage qui lui seraient
prescrits par les fournisseurs d’accès pour filtrer l’accès à des oeuvres
protégées (article 14 ter A), allant ainsi un pas plus loin dans la mise de
la loi au service des détenteurs de stocks de droits.
Dans l’autre direction, le Sénat a adopté une exception - certes
insuffisante - pour la recherche et l’éducation sous une forme à laquelle le
Ministre de la Culture s’était fortement opposé en séance à l’assemblée
nationale. S’il pense que cela ne fait qu’une différence inessentielle, que
ne l’a-t-il dit plus tôt ?
Si le gouvernement décide malgré ce tableau que les différences entre les deux
textes ne justifient pas une seconde lecture, cela signifiera-t-il qu’il
accepte un texte combinant les dispositions d’interopérabilité forte et les
limitations (très insuffisantes mais vitales) à l’amendement VU adoptées à
l’assemblée avec l’exception recherche-éducation adoptés au sénat ? Ou bien
simplement qu’il estime que l’opinion se fatigue et qu’on peut l’avoir à
l’usure ? Un petit regard sur la Suède pourrait alors lui éviter de futurs
désagréments.