Un article de Gérard Giraudon, chercheur à l’IN
RIA, a publié sur le site Interstices
Cette publication sur Interstices est illustrée de dessins dessins réalisés par François Cointe
Cet article est organisé en 3 parties distinctes :
- La problématique du logiciel libre et ouvert
- Le logiciel libre, objet de recherche et de transfert
- CeCILL, une famille de licences de droit français
Une publication en licence CC : Paternité - Pas d’utilisation commerciale - Pas de modification
En sciences de l’information et de la communication, le logiciel libre est d’abord un moyen privilégié de collaboration et d’échange entre chercheurs. Il permet d’expérimenter facilement une idée. Il favorise la diffusion d’un résultat, au même titre qu’une publication. Sa réutilisation contribue à l’accumulation de savoir et savoir-faire.
Par ailleurs, en facilitant l’incorporation immédiate de code issu de la recherche dans les solutions utilisées dans le monde socio-économique, le logiciel libre est également un moyen de raccourcir le transfert. C’est un moyen de transformation des connaissances en technologie puis en produits ou solutions.
Qu’il s’agisse de recherche ou de transfert, l’exigence de qualité sur l’architecture et le code du logiciel est croissante. Nous sommes en tant que chercheurs conduits à professionnaliser notre approche sur le développement logiciel, avec une ambition forte de diffusion internationale et un souci constant de qualité favorisant la réutilisation.
Il faut passer de la création d’un logiciel par un procédé « artisanal », consommateur de la matière grise d’un individu, à un processus qui peut impliquer plusieurs dizaines ou centaines d’individus. La solution est de maximiser la réutilisation des logiciels en s’assurant de leur interopérabilité grâce au respect des standards ouverts.
Rendre le logiciel libre permet le partage des efforts et facilite l’accès et la mutualisation de technologies. Obtenir un retour des utilisateurs doit permettre de valider le travail et de faire émerger de nouvelles problématiques de recherche.
Un positionnement pragmatique
Avec le logiciel libre, vu ici au niveau de l’Europe, il est possible de prévoir l’élaboration d’un modèle économique intelligent et économe, créateur de valeur et d’innovation. On crée aussi une réelle indépendance commerciale face à des produits logiciels parfois en situation de monopole. En effet, on crée un écosystème où les utilisateurs sont au centre et ne sont plus passifs. Développer des logiciels n’est pas gratuit. Alors, dans ce modèle, les coûts de développements sont partagés par une communauté qui profite du travail collectif et les coûts de tests et de mise au point, partagés avec les utilisateurs du système développé. Le coût se mesure ici surtout en temps. Participer au développement, donc à la vie d’un logiciel libre et ouvert, ne signifie pas travailler bénévolement. Bien au contraire, proposer des services multiples à l’utilisateur et des logiciels applicatifs basés sur des modules logiciels libres existants est une manière très efficace de développer une activité économique.
Cette approche n’est pas idéologique. L’open source est un excellent outil de valorisation lorsqu’il s’agit de renforcer l’interopérabilité et de mutualiser des infrastructures pour élaborer de nouveaux standards. Mais cela ne veut pas dire que tous les logiciels développés par les chercheurs doivent être diffusés sous licence open source. Il ne s’agit pas d’opposer à tout prix logiciel libre et logiciel « propriétaire ». Dans de nombreux cas, les licences d’exploitation ad hoc restent préférables. Cette approche est pragmatique, avec un seul objectif : maximiser l’impact des résultats des recherches. Il n’y a pas de chemin unique.
Mutualiser les efforts
Pour mener à bien un projet de développement de logiciel, un environnement de travail collaboratif peut être mis en place. Une telle « forge » logicielle met à la disposition des scientifiques et des développeurs une grande panoplie d’outils, pour la gestion de versions du logiciel, le suivi de bogues et des améliorations, la gestion des tâches de développement, ainsi que des outils de communication (listes de diffusion, forums, pages de documents, etc.). Ces outils sont gérés de façon intégrée via une interface web, comprenant un espace public et un espace privé. L’environnement de travail évolue et s’adapte en fonction du projet. Cela favorise de bonnes pratiques de travail collaboratif et facilite la diffusion du logiciel.
Parmi les nombreuses forges existantes, sourceforge document externe au site est sans doute la plus connue. Autre exemple, bugzilla document externe au site est la forge logicielle associée au logiciel libre Mozilla document externe au site. Et on peut aussi citer LibreSource document externe au site, environnement collaboratif issu d’une plate-forme financée par le RNTL.
Associer les utilisateurs à l’évolution d’un logiciel, c’est garantir qu’il est réellement adapté à leurs besoins et évolue en fonction d’eux. Une solution est de créer un « consortium », auquel adhèrent ces utilisateurs. Ce modèle de développement a été choisi pour développer la communauté open source du middleware avec ObjectWeb document externe au site et pour développer le logiciel de calcul numérique scientifique Scilab document externe au site. Il facilite la transition du logiciel libre de l’« objet de recherche », déconnecté des enjeux du marché, vers un « objet de transfert », intégré aux logiques industrielles sans renier la démarche de recherche scientifique. Il y a plusieurs modèles de gouvernance et de développement pour ces consortiums. Par exemple, pour le consortium Scilab, une équipe dédiée au développement du logiciel s’appuie sur les compétences et le support de tous les membres du consortium et sur des ressources externes. L’équipe de développement offre un support et un vrai service. La sécurité juridique est également assurée. De quoi gagner la confiance de plus en plus d’utilisateurs !
Des applications de plus en plus larges
Les entreprises comme l’administration publique commencent à déployer des solutions fondées sur des architectures open source. Elles y voient surtout un moyen de faciliter l’interopérabilité par la standardisation de l’infrastructure logicielle. Facilité de déploiement des innovations, rapidité de mise en œuvre des solutions client, mise en concurrence et maîtrise des coûts font partie des conséquences espérées.
Dans ce contexte, de nombreux acteurs industriels ou associatifs (comme l’AFUL document externe au site, Association Francophone des Utilisateurs de Linux et des Logiciels Libres) sollicitent les instituts publics pour travailler sur le sujet, car cette dynamique rencontre encore des réticences, à cause surtout des questions de pérennité, de qualité et de garanties juridiques. La réponse à ces questions est la priorité afin de créer la confiance nécessaire aux succès des modèles économiques fondés sur des logiciels libres et ouverts. Par leur engagement, les instituts publics sont en mesure de contribuer à garantir la pérennité. Il est surtout nécessaire de définir un cadre juridique clair.