Le logiciel libre et ouvert : révolution ou évolution ? 1. La problématique du logiciel libre et ouvert

Une question fondamentale pour la communauté de la recherche, et plus particulièrement pour quelqu’un qui s’occupe de réussir le transfert des résultats de la recherche, est de comprendre, au-delà des clivages idéologiques, en quoi la dynamique du logiciel libre et ouvert facilite la création d’un dialogue permanent entre recherche, industrie et société.

Un article de Gérard Giraudon, chercheur à l’IN
RIA, a publié sur le site Interstices

Cette publication sur Interstices est illustrée de dessins dessins réalisés par François Cointe

Cet article est organisé en 3 parties distinctes :

  • La problématique du logiciel libre et ouvert
  • Le logiciel libre, objet de recherche et de transfert
  • CeCILL, une famille de licences de droit français

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1. La problématique du logiciel libre et ouvert

Quelques mots d’histoire permettront de mieux comprendre l’origine de cette problématique. Au début, jusque dans les années 1960, le monde de l’informatique était peuplé de machines, des calculateurs lourds et peu rapides pour lesquels il fallait aménager des « cavernes » adaptées. L’informatique signifiait lampes, circuits, fils et transistors. Le logiciel bien sûr existait, mais n’avait pas de personnalité propre ; d’ailleurs, le constructeur ne facturait pas le logiciel qu’il livrait avec la machine. En ce temps-là, les constructeurs régnaient en maîtres sur la planète informatique, dans un éco-système peuplé de tribus quasiment incapables d’échanger des données ou du logiciel si elles n’étaient pas marquées du même totem vénéré. Échange, communication, interopérabilité en dehors de sa tribu étaient des mots vides de sens, et la seule solution semblait le monopole du dominant.

Puis sont arrivés, durant la décennie des années 1970, deux projets révolutionnaires. Le premier est celui d’un réseau informatique longue distance, robuste et pouvant connecter tout type de machine ; le deuxième est celui d’un système d’exploitation (abrégé OS pour « Operating System » en anglais) indépendant du matériel. Le premier donna naissance à la révolution Internet, avec comme premières applications le courrier électronique ou « mail » (sendmail) et le transfert de fichier (ftp) ; le deuxième fut l’aventure Unix. (Cette genèse est très bien décrite par Diane Revillard dans son livre blanc sur « Organisations et Logiciels Libres »). On s’aperçoit rétrospectivement que la réussite de tels projets de développement de logiciel tenait au fait qu’ils étaient « open source ». Cette dénomination n’existait pas à l’époque, et encore moins celle de logiciel libre. Comme Monsieur Jourdain, les chercheurs faisaient de l’open source sans le savoir, simplement parce que c’était le mode naturel pour partager un projet de développement de code dans la sphère académique. (On remarquera bien sûr qu’il y en a eu d’autres, par exemple les débuts du projet Matlab.) De ces aventures, il nous reste l’exemplarité, la compréhension des mécanismes et une licence, la BSD, la première du monde du logiciel libre et ouvert.

Face au pouvoir des éditeurs

Au début des années 1980, la diffusion en masse de l’informatique auprès de cibles à profil non technique, et la prise de conscience de la valeur intrinsèque du logiciel en tant que tel se sont traduites par la montée en puissance d’une nouvelle espèce d’acteurs : les éditeurs de logiciel. Ceux-ci avaient pour ambition de devenir les acteurs dominants, avec comme conséquence, une protection du savoir et du savoir-faire par la vieille technique du secret.

Il a fallu attendre 1984 pour qu’en réponse à la fermeture et à la réappropriation des codes sources qui était possible avec la licence BSD, Richard Stallman, un chercheur en informatique du MIT, lance avec la licence GNU GPL l’aventure du « free software » qui devient logiciel libre en français. Est-ce à dire que le code source d’un logiciel diffusé avec la licence BSD était moins libre ? Non bien sûr, mais on voit immédiatement qu’au-delà de l’accès au code source, ce sont les droits et obligations que confère la licence avec laquelle le logiciel est diffusé qui font la différence d’appréciation de cette liberté. La conséquence immédiate a été que les informaticiens fervents partisans du logiciel libre et de l’open source se sont mis à mieux comprendre le droit de la propriété intellectuelle et, notamment en France, le droit de la propriété littéraire et artistique auquel est rattaché le logiciel... et même pour certains jusqu’à en devenir des spécialistes.

Quelles libertés ?

À partir de la fin des années 1990, deux courants de pensées du libre - « logiciel libre » et « logiciel open source » - vont coexister mais en partageant un socle commun de principes. Ces principes, transcrits dans la licence, garantissent un certain nombre de libertés aux utilisateurs du logiciel, dont la première est celle de pouvoir accéder au code source afin d’étudier son fonctionnement et de l’adapter à leurs besoins. Viennent ensuite la liberté de l’utiliser et de l’exécuter pour quelque usage, la liberté d’en redistribuer des copies et enfin la liberté de l’améliorer et de rendre publiques les améliorations, de telle sorte que la communauté toute entière en bénéficie.

En restant très schématique, la différence entre les courants « logiciel libre » et « logiciel open source » tient essentiellement dans les acceptions du mot « liberté », qui dans la GNU GPL se traduit parfois par obligation de redistribution. Pour les tenants de l’approche lancée par R. Stallman, il ne peut y avoir, en dehors des logiciels diffusés avec la licence GNU GPL, d’autres « logiciels libres », traduction de « free software ». (En l’occurrence, l’expression française est plus précise dans l’esprit que l’expression anglaise, puisque que free peut aussi se traduire par gratuit... or l’utilisation de la GNU GPL n’interdit pas une diffusion du logiciel payante.) Pour d’autres (voir le site de l’Open Source Initiative document externe au site), la dynamique du logiciel libre ne peut se réduire à la seule utilisation de la licence GNU GPL... la preuve en étant que le mouvement a été lancé avec l’utilisation de la BSD. Ce sont ceux qui parlent de logiciel « open source », sans qu’une traduction se soit imposée en français, même si l’on pourrait parfaitement parler de logiciel ouvert.

Pour plus de détails, je renverrais à lecture du livre blanc document externe au site de Diane Revillard ou aux définitions sur wikipédia, celle du logiciel libre document externe au site et celle de l’open source document externe au site. Il me semble cependant que le plus simple serait de parler de « logiciel libre et ouvert » et rapporter les courants de pensée aux licences utilisées, que l’on peut schématiquement ramener à une analyse d’un tableau à 4 entrées : diffusion virale ou non, liberté héréditaire ou non héréditaire (ce tableau a été établi par un groupe de travail interne à l’INRIA en 2002). Le choix d’une licence est primordial, nous y reviendrons en 3.
Créer une dynamique

En quoi la dynamique du logiciel libre et ouvert est-elle une révolution ou une évolution pour faciliter le dialogue entre recherche, industrie et société ; en quoi le logiciel libre et ouvert crée-t-il une dynamique facilitant la transformation d’une part de l’expression de besoins socio-économiques en questionnements scientifiques et d’autre part de résultats technologiques en produits ou solutions pour les entreprises et les citoyens ?

Au dix-neuvième siècle et durant près d’un siècle et demi, la révolution industrielle s’est majoritairement construite sur des « secrets » de fabrication et des brevets donnant un droit de monopole. Jusqu’à présent, l’’industrie de l’informatique s’est construite aussi sur les mêmes principes. Parce que l’informatique est tout à la fois une science, une technologie et une industrie, le passage à l’ère numérique et l’entrée de nos civilisations dans la société de l’information donne à l’informatique et surtout au logiciel une importance toute particulière.

Selon les tenants de la GNU GPL, l’enjeu réel du logiciel libre est avant tout social, car le mouvement lancé par R. Stallman prend racine dans un idéal qui postule la liberté et le caractère universel du savoir et de l’information. D’autres courants « open source » sont plus pragmatiques, moins idéologiques, et considèrent que le logiciel libre et ouvert est un nouveau mode de relations entre les entreprises, les clients, les citoyens et les chercheurs.

Mais au-delà de ces distinctions, il est essentiel de garder à l’esprit que dans le secteur de l’informatique, les notions de communauté d’utilisateurs, de partage d’information et d’ouverture des codes sources représentent une longue tradition.

Posté le 30 mai 2006

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