Entretien avec Mickaël Faivre, professeur documentaliste youtubeur

Nous avons interrogé Mickaël Faivre, professeur documentaliste dans l’Académie de Besançon. Mickaël a une chaîne YouTube Mikadoc
Voici comme il la présente “Cette chaîne a été créée afin de sensibiliser les élèves de collège et de lycée à l’Education aux Médias et à l’Information de manière simple et ludique (enfin, je l’espère !) ! Fake news, désinformation, théorie du complot, collecte de données, Big Data, identité numérique, recherche d’informations et plus encore !”
Nous avons voulu en savoir plus sur sa démarche et ses motivations.

Bonjour, merci d’accepter de répondre à nos questions. Pourriez-vous vous présenter et nous dire comment en êtes vous arrivé à publier des vidéos sur la plateforme YouTube ? Vous définissez- vous comme youtubeur ?

Bonjour, je m’appelle Mickaël Faivre, je suis professeur documentaliste dans la cité scolaire Jules Ferry à Delle dans le Territoire de Belfort.
Avant de passer le CAPES de documentation, j’ai été professeur des écoles pendant 7 ans.
J’ai toujours eu, depuis que j’enseigne, l’envie de partir des pratiques informelles des élèves pour transmettre des notions, des compétences lorsque cela est possible.
Ainsi, après avoir créé un compte Instagram du CDI, puis avoir mis en place le jeu Minecraft pour initier les élèves à la recherche d’informations, je me suis lancé sur Youtube en mars dernier, pendant la période du confinement, avec Mikadoc. C’était une bonne occasion puisque ça permettait de garder un lien avec les élèves et de leur faire passer quelques notions d’EMI par l’intermédiaire d’un média social qu’ils connaissent bien : YouTube !
Je ne me considère pas comme un Youtubeur mais plutôt comme un prof doc qui réalise des vidéos YouTube quand le temps le lui permet !

Quelques collègues professeurs et professeures documentaliste ont réalisé des vidéos notamment pendant le premier confinement voir par exemple

- Marie Doc à bord par Marie Guillet Nallathamby.
- Les Arpenteurs du Web par Bastien Coquart
- Livre-raison à domicile par Brigitte Decker.
- Olivier Barthez

En ce qui vous concerne, qu’est ce qui a guidé ce choix ? Au-delà, vous continuez à poster des vidéos : avec quel.s objectif.s ? Quels sont les thèmes de votre chaîne et qu’est ce qui guide le choix des thématiques ?

Même si j’ai créé ma chaîne pendant le confinement, l’idée me trottait dans la tête depuis un petit moment déjà ! J’ai eu une grande phase de réflexion avant de me lancer : est-ce que je montrerais ma tête ou pas ? Quels seraient les thèmes de mes vidéos ? Est-ce que mes vidéos seraient publiées publiquement ou en privé ?
Le confinement a juste été un élément déclencheur pour ma part, avec une volonté de me rapprocher le plus possible des pratiques des élèves et, ainsi, espérer susciter leurs intérêt sur des notions d’EMI, qui ne sont pas toujours abordées dans leur cursus scolaire.
Je continue, ainsi, à diffuser des vidéos sur cette plateforme avec comme objectifs d’en poster assez régulièrement (tous les mois environ) et de tenir sur le long terme afin d’aborder le plus de notions d’EMI possible !
Je tiens également à ajouter que beaucoup de professeurs de discipline sont présents sur Youtube alors que très peu de profs doc y sont représentés…
Je pourrais donc dire qu’un de mes objectifs est aussi de montrer que “oui, nous aussi on est présent sur Youtube !”.
Les thèmes de ma chaîne sont donc tous liés à l’EMI et je me réfère aux programmes pour me guider dans mon choix, et il y a de quoi faire !

Quels sont les conseils que vous donneriez aux collègues qui voudraient se lancer ? Quelles limites percevez-vous ?

Si je devais donner des conseils à un collègue qui hésite à se lancer, je lui dirais déjà qu’il ne doit pas se forcer à le faire mais qu’il doit en avoir envie ! C’est le moteur principal pour créer des vidéos ; si l’envie n’y est pas, ça va rapidement se ressentir et le projet va vite tomber à l’eau…
L’autre conseil important pour moi, c’est de créer du contenu qui lui plaise ! Le panel de possibilités est assez varié : valorisation du fonds documentaire en présentant des sélections, lectures coups de cœur, notions d’EMI, lectures illustrées, Unboxing littéraire, présentation de nouveautés, lectures ASMR, etc…
En ce qui concerne les limites dans la création de vidéos sur YouTube, je dirais qu’il ne faut pas être rebuté par le montage vidéo, même si ça s’apprend très vite ! Je suis parti de zéro et j’ai progressé rapidement en regardant des courts tutoriels qui présentaient les fonctions de base, puis, par la suite, en expérimentant par moi-même.
L’autre limite qui pourrait en freiner un grand nombre est le fait de se montrer en public et de se mettre en scène (même si on n’est pas obligé de tourner des vidéos "facecam"...).

Comment se prépare une vidéo ? Qu’est qui vous inspire ? Qui est ce qui vous inspire ? Au niveau technique : quel matériel vous semble nécessaire ?

Une vidéo se prépare en 4 étapes :
- le thème et le script écrit de la vidéo : généralement, lorsque des idées me viennent en tête, je les écris sur un brouillon, puis je réorganise
- le tournage : c’est un moment assez court mais qui va conditionner la qualité de votre vidéo. Plus on gagne de l’expérience avec le tournage, plus on gagnera du temps sur l’étape suivante
- le montage : c’est ce qui est le plus chronophage mais celui-ci peut être réduit à son minimum. J’utilise Shotcut et Audacity qui sont des outils gratuits et très simples à prendre en main.
- la création de la miniature YouTube (réalisé sur Canva), le titre et la description de la vidéo : à ne pas négliger ! C’est ce qui incitera l’élève à cliquer sur votre vidéo… Ou pas !
En effet, sur YouTube, le taux de défilement des miniatures des vidéos est très élevé ; ainsi, si l’élève voit défiler une miniature qui n’aiguise pas sa curiosité, il ne cliquera pas sur celle-ci et continuera le défilement… En fait, c’est un peu comme la couverture d’un roman : si elle ne nous plaît pas, nous n’ouvrirons pas le livre et nous passerons à une autre !

Mes inspirations, bonne question !
Je dirais que ce qui m’inspire, ce sont mes séances en EMI que je faisais en début de carrière et qui sont en stand by à cause du contexte sanitaire ou de la course aux programmes de discipline… mais également toutes les séances que je n’ai pas pu faire !
Une autre inspiration me vient des discussions que je peux avoir avec certains élèves : leurs interrogations, leurs méconnaissances sur certains sujets, leurs suggestions…
Qui m’inspire ? Pour les miniatures et les titres de vidéo, je dirais que je m’inspire de certains Youtubeurs qui sont plébiscités et regardés par les élèves (Squeezie, Amixem, Le Rire Jaune, etc…) : tenter de créer des miniatures et des titres qui intriguent, qui donnent envie de cliquer.
Pour le rythme de la vidéo, je me tournerais plus vers des Youtubeurs de vulgarisation scientifique comme Dr Nozman ou Nota Bene : un ton de voix assez sérieux, pas mal de coupures, de bruitages, d’images, histoire de garder l’attention de l’élève.
Enfin, pour les touches d’humour, ce serait plus du Norman ou Cyprien : des petites saynètes qui viennent couper le fil de la vidéo et amener un peu de légèreté au contenu.

Au niveau de la technique, pour tourner et monter une vidéo, il ne faut pas que ce soit un frein ! Pour ma part, au début, j’utilisais juste mon appareil photo Reflex, mon ordinateur portable avec le logiciel libre de droits “Shotcut” installé et un micro tout simple. Puis, au fil des vidéos, j’ai seulement investi dans un petit panneau à led portatif pour une lumière optimale et un micro adapté pour une prise de son optimisée.
Un smartphone avec une bonne qualité vidéo et un support stable ainsi qu’un micro cravate peuvent aussi très bien faire l’affaire dans un premier temps !

Vous dites que c’est une activité qui prend du temps ; comment gérez-vous cela ? Comment intégrez-vous la conception des vidéos dans votre travail hebdomadaire (30+6h) ?

C’est un fait : c’est une activité chronophage !
Cependant, j’apporte deux nuances :
La première se rapporte à l’expérience : du moment où le tournage et le logiciel de montage sont maîtrisés, un temps énorme est gagné !
La deuxième est de l’ordre du choix personnel : j’ai décidé, en effet, d’effectuer beaucoup de montage dans mes vidéos et de les faire durer de 9 à 14 minutes mais il est tout à fait possible de diminuer sensiblement les moments nécessitant un montage et de réduire la durée des vidéos !
Du coup, c’est sûr qu’il faut trouver le temps pour créer ce contenu ; mais si on a envie de le faire, ça ne posera pas de problème ! Pour ma part, même avec deux enfants, dont un en bas-âge, je trouve toujours un petit temps pour écrire ou monter ma vidéo. Je ne me mets aucune pression, je peux très bien mettre une vidéo de côté et la sortir 2-3 mois plus tard !
Il faut dire également que j’apprécie faire du montage, ça a un côté relaxant que je n’explique pas…
Bien sûr, une partie de la création se fait pendant mon temps de travail (lorsque je trouve le temps…) mais j’avoue que je fais le plus gros du travail à la maison.

Les commentaires sont-ils ouverts ? N’avez-vous pas peur des “dérapages” ?

Lorsqu’on crée du contenu sur Youtube, la plateforme nous donne le choix de vérifier les commentaires avant qu’ils ne soient publiés, de désactiver ceux-ci ou de les laisser sans vérification préalable (mais avec la possibilité de les supprimer après publication).
Pour ma part, j’ai choisi la dernière option. Je trouve que c’est très formateur pour les élèves d’être confrontés à certains commentaires de mes vidéos ! C’est l’occasion d’en parler avec eux et d’évoquer les réactions à avoir dans le cas où ça leur arriverait.
Certains élèves, par exemple, sont venus me demander des précisions sur certains commentaires de ma vidéo qui traitait des ingrédients des vidéos complotistes : c’était un moment d’échanges très intéressant !
En complément de ce système de vérification, le robot Youtube repère les injures et grossièretés que pourraient dire certains internautes peu recommandables. Pour ma part, j’ai eu seulement une situation dans laquelle Youtube n’a pas publié le commentaire après vérification : c’était un message d’insultes envers ma personne (toujours concernant ma vidéo sur les complots…).
Ainsi, les risques de dérapages dans l’espace commentaires sont très limités sur Youtube.

Comment les élèves perçoivent-ils ces vidéos ? Quels retours vous en font-ils ? Quelles plus-values et quelles limites pour eux par rapport à un cours en présentiel ?

Dans la très grande majorité, les élèves accueillent très bien ces vidéos ! Ils sont immédiatement intéressés vu que c’est une plateforme qu’ils connaissent, qu’ils utilisent souvent tous les jours pour regarder leur Youtubeurs préférés… Alors, voir son prof doc sur YouTube, ça attise leur curiosité !
Très régulièrement, des élèves m’interpellent pour parler de ma chaîne YouTube : des conseils pour faire des vidéos (beaucoup possèdent des chaînes sur cette plateforme…), des précisions sur des sujets traités ou simplement des informations sur le nombre de vues de mes vidéos ou le nombre d’abonnés…
Ainsi, un nouveau rapport se crée avec certains élèves et des échanges très intéressants voient le jour ! J’ai remarqué également que certains, que je n’avais jamais vu auparavant, commencent même à fréquenter le CDI !
Pour autant, soyons clair, les vidéos YouTube ne remplaceront jamais un cours en présentiel !
Mais, des plus-values existent, c’est indéniable : le fait que les élèves puissent regarder les vidéos n’importe où (au CDI, chez eux, dans les transports, et même quelquefois en heures de permanence…) et n’importe quand, qu’ils puissent également les regarder plusieurs fois, revenir en arrière s’ils n’ont pas compris ou s’ils ont juste envie de revoir et qu’il y ait la possibilité qu’ils les regardent avec leurs parents, ce qui pourra peut-être déboucher sur une discussion (j’ai eu quelques retours de parents dans ce sens). De plus, comme je le disais plus haut, je me sers de ce contenu pour engager des échanges avec les élèves, ce qui est, pour moi, une plus-value très importante !
J’ajouterais également que certaines vidéos sont pleinement intégrées dans mes séquences, comme celle sur l’identité numérique ou les données récoltées par Google (pour l’instant, d’autres viendront).
En ce qui concerne les limites de ces vidéos par rapport à du présentiel, il y en a plusieurs :
pas de remédiations immédiates ; certains élèves ne regardent pas les vidéos ou pas jusqu’au bout, ne nous le cachons pas ; la durée des vidéos YouTube doit être assez courte (moins de 15 minutes) sous peine de perdre l’attention de ceux qui la regardent. Enfin, les élèves peuvent très bien être distraits par d’autres occupations lors du visionnage (par des jeux, réseaux sociaux, sms, etc…), le fameux “multitasking” !

Vos vidéos sont publiques, savez-vous qui, à part vos élèves, est abonné à votre chaîne ? quels retours en avez-vous ?

J’ai une notification à chaque fois qu’un nouvel abonné se manifeste. Souvent, il s’agit de pseudonymes ou de noms que je ne connais pas. Après, on peut assez facilement deviner qui sont les abonnés en grande majorité en fonction des réactions, des commentaires ou des publications sur les réseaux : des élèves, des collègues de discipline, des professeurs documentalistes, des parents d’élèves et des personnes membres d’un groupe Facebook sur la réflexion critique.

Selon vous YouTube entraîne -t-il un nouveau rapport à la culture et aux savoirs scolaires ?

YouTube est une plateforme qui prend une place importante dans la vie des élèves et ça, qu’on le veuille ou non ! Je me suis aperçu que beaucoup d’entre eux s’informent et recherchent même des informations en visionnant des vidéos YouTube…
Il y a une nécessité d’éduquer à ce média pour leur expliquer que certains contenus ne sont pas adaptés pour tirer des informations fiables alors que d’autres, créés par des Youtubeurs reconnus qui citent leurs sources et qui donnent des informations fiables, peuvent être pris comme point de départ dans une démarche de recherche d’informations.
YouTube est un outil formidable pour faire découvrir une multitude de choses à nos élèves ! Il y a, en effet, énormément de contenus culturels et de savoirs scientifiques vulgarisés qui sont adaptés pour eux. Je pourrais citer de nombreuses chaînes YouTube mais celles qui me viennent à l’esprit, à l’instant, sont celles de Nota Bene, Dirtybiology ou encore Doc Seven.
D’ailleurs, le Ministère de la Culture a recensé une liste de 350 chaînes culturelles et scientifiques adaptées à un usage éducatif, mise à jour en 2018.
Cela montre bien que l’envie de sélectionner des contenus intéressants et fiables sur cette plateforme pour les jeunes est bien présente !
Alors est-ce que YouTube entraîne un nouveau rapport à la culture et aux savoirs scolaires ? Je ne sais pas mais il a forcément une répercussion sur les représentations qu’ont les élèves.
Beaucoup de Youtubeurs ne citent pas leurs sources ou ne croisent pas leurs informations et se fient à des sources non fiables. Cf la vidéo de Squeezie
qui traite du mystère des pyramides et qui totalise près de 9 millions de vues !
Je pense donc qu’il est important de former nos élèves, de les orienter vers des contenus YouTube fiables et sourcés et de leur faire comprendre qu’il faut se méfier de certaines vidéos. Et qui de mieux que le professeur documentaliste pour mener à bien cette mission ?

Est-ce que vous enseignez YouTube aux élèves ? Publiez-vous avec les élèves sur cette plateforme ? Avez-vous des exemples de séances à partager ?

Pour l’instant, je n’enseigne pas YouTube aux élèves. Il serait intéressant de créer un club YouTube car il permettrait d’aborder énormément de notions comme le droit à l’image, le droit d’auteur, les images libres de droits, les licences Creative Commons, l’algorithme YouTube, les sources, la recherche d’informations, le travail sur l’oral, etc…
Pour le moment, je ne publie pas avec les élèves sur cette plateforme mais si je le fais un jour, ce sera sur une autre chaîne que Mikadoc ; plutôt une chaîne dédiée au CDI avec des présentation de lecture coups de cœur, des déballages de nouveautés avec réactions à chaud ou des présentations de sélections faites par des élèves.
Actuellement, l’intégration de YouTube dans mes séquences est assez sporadique : j’utilise des extraits de mes vidéos en début de séance pour introduire les notions d’identité numérique et de collecte de données pour en parler par la suite (en guise d’introduction). J’aborde également cette plateforme lorsque je traite de la désinformation et des fake news avec les élèves : sources visibles ou pas en dessous de la vidéo ? Comptes certifiés ou non ? Mais également avoir la curiosité d’aller voir les commentaires et les autres vidéos du créateur si nous ne sommes pas sûr de la fiabilité de ce qui est dit et, bien sûr, recouper les informations ! J’aborde également les placements de produits et la monétisation (publicités) qui permettent aux Youtubeurs de gagner de l’argent.
Je compte, cependant, développer ces notions dans des séances plus formalisées dans un avenir très proche.

Pour compléter cet entretien :

Un prof doc sur Youtube, et pourquoi pas ? sur le site de l’académie de Besançon.

Docpour Doc

URL: http://docpourdocs.fr/
Via un article de Hélène Mulot, publié le 30 janvier 2021

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