La souveraineté : le nouvel argument d’autorité pour refuser la transparence des frais parlementaires

Le Conseil d’État vient de rendre sa décision sur notre demande de transparence des frais de mandat aux députés de la précédente législature. Camouflet pour la CADA et le tribunal administratif de Paris dont les analyses sont balayées, cette décision s’avère également une douche froide pour la transparence de la vie publique. Souveraineté nationale, circulez, il n’y a rien à voir !…

En mai 2017, nous avions sollicité, avec le soutien de près de 300 citoyens, tous les députés de la 14ème législature pour leur demander communication des relevés de leurs comptes bancaires dédiés aux frais de mandat et des déclarations sur l’honneur de bon usage de cet argent public. Une dizaine de parlementaires avaient alors répondu favorablement et fait acte de transparence. Face aux refus des autres députés, nous avions alors entamé un marathon judiciaire dans l’espoir de faire évoluer positivement la transparence sur les frais de mandat.

Accès aux documents administratifs parlementaires : le juge administratif et la CADA compétents

Durant ces deux années de procédure, nous avons du nous défendre face à des arguments juridiques contradictoires : dans un premier temps, la CADA a jugé que notre demande ne pouvait aboutir car les députés ne seraient pas chargés d’une mission de service public. Plus d’un an plus tard, le tribunal administratif de Paris écartait ces arguments, tout en se déclarant à son tour incompétent, sur le fondement cette fois de la « séparation des pouvoirs ». Quant à l’Assemblée nationale (qui a pris en charge financièrement la défense des députés), ses conseils n’ont eu de cesse de changer de défense sans que leurs arguments soient réellement jamais repris.

Notre pourvoi en cassation associé à une demande de Question Prioritaire de Constitutionnalité a permis au Conseil d’État de clarifier la situation. Sa décision publiée le 28 juin balaie les analyses juridiques de la CADA et du tribunal administratif de Paris (TA) et clarifie le statut des documents produits ou reçus par les députés au regard du droit administratif. Au vu des missions de service public des députés et du Parlement, la haute juridiction administrative confirme que la CADA et le TA sont parfaitement légitimes à se prononcer sur une demande de communication de documents administratifs parlementaires, validant ainsi les arguments que nous défendions sur ce point : la séparation des pouvoirs ne saurait s’opposer à la transparence démocratique.

Souveraineté nationale, l’ultime argument pour protéger l’opacité des députés ?

En revanche, sur le fond, la décision du Conseil d’État est plus inquiétante : sans que l’argument soit étayé dans sa décision, ni dans les conclusions prononcées par la rapporteure publique, le Conseil d’État estime que la communication de ces documents doit s’analyser au regard de la souveraineté nationale. Le statut de député est avancé ici comme une forme d’écran empêchant aux citoyens l’accès aux dépenses des députés. En effet, le Conseil d’État estime que puisque les frais de mandat sont destinés à couvrir des dépenses liées à l’exercice du mandat de député, ils se rattachent à leur statut de députés, et relèvent donc de l’exercice de la souveraineté nationale, écartant de fait toute obligation de transparence et de redevabilité. Reposant ainsi sur ce seul argument d’autorité, cette décision est une nouvelle atteinte au droit de savoir assez alarmante.

Elle met en effet en danger le cadre juridique, déjà très bancal, de la gestion de l’argent public alloué aux députés : si le statut du député empêche les citoyens de connaître de l’usage fait des deniers publics, en est-il désormais de même lorsqu’un différend émerge de l’usage de ces ressources ? Le conseil des prud’hommes pourrait-il se voir opposer le même argument de souveraineté nationale lorsqu’il juge des différends entre un député et ses collaborateurs ? Les tribunaux sont-ils toujours aptes à arbitrer du conflit entre un député et le propriétaire de sa permanence parlementaire ?

En affirmant la compétence du juge administratif en ce qui concerne la communication de documents relatifs aux frais de mandat, tout en opposant ensuite le statut de député comme un écran opaque à la communicabilité de ces documents, le Conseil d’État entérine une situation absurde par laquelle l’exercice d’un droit constitutionnel ne trouve pas d’application légale. Nous allons donc voir avec notre avocat, Maître Olivier Coudray, quelles suites donner à cette action, par exemple devant la Cour européenne des droits de l’homme, pour parvenir à rendre effectif le droit de chacun à la transparence de l’usage de l’argent public par les députés et au sein du Parlement.

Résumé des étapes précédentes :

  • 15 mai 2017 : Envoi de la demande d’accès aux documents administratifs auprès des 574 députés concernés.
  • 8 juillet 2017 : Dépôt de 567 recours auprès de la Commission d’Accès aux Documents Administratifs pour les parlementaires ne nous ayant pas répondu, ou ayant répondu par la négative.
  • 23 novembre 2017 : Réception du premier avis de la CADA, qui se déclare incompétente pour traiter notre demande.
  • 15 mai 2018 : Dépôt d’un recours auprès du Tribunal Administratif de Paris pour les 567 parlementaires concernés.
  • 6 décembre 2018 : Le Tribunal Administratif de Paris se déclare incompétent.
  • 6 février 2019 : Pourvoi au Conseil d’État.
  • 17 juin 2019 : Audience au Conseil d’État.
  • 27 juin 2019 : Décision du Conseil d’État.

Regards Citoyens

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Via un article de teymour, publié le 4 juillet 2019

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