Québec : Vers de nouvelles relations entre l’État et les citoyens : un gouvernement en ligne pour tous ?

Instaurer un réel gouvernement en ligne s’avère actuellement une préoccupation de premier plan au Québec.

Déjà, certains projets tels que le Service québécois de changement d’adresse ou la déclaration de revenus sur Internet connaissent un grand succès.

Toutefois, il est pertinent de s’interroger sur l’égalité - ou l’inégalité - de l’accès à ces services en ligne pour tous les citoyens et toutes les entreprises. Autrement dit, existe-t-il une fracture numérique au Québec ? Fort du succès connu lors de son colloque international sur le gouvernement en ligne de mai 2005 (1), le CEFRIO a organisé un séminaire visant à encourager la réflexion et l’évaluation de la situation au Québec.

Reprise d’un article publié dans le bulletin Sistech de mars sur le site du Cefrio et dont la reproduction à des fins non commerciales est autrorisée par le Cefrio

Ainsi, près de 225 personnes provenant des secteurs gouvernemental, municipal, privé, communautaire, de la santé et de l’éducation se sont réunies le 28 février dernier afin d’échanger sur le thème « Vers de nouvelles relations entre l’État et les citoyens : un gouvernement en ligne pour tous ? » (2). Invité à l’événement, le ministre des Services gouvernementaux du Québec, monsieur Henri-François Gautrin a reconnu que l’État a déployé « beaucoup d’efforts pour le développement du gouvernement en ligne mais qu’il reste encore beaucoup à faire ». Le CEFRIO a également profité de l’occasion pour lancer un nouvel outil issu de sa recherche-action Services électroniques aux citoyens et aux entreprises. Le Guide sur le gouvernement électronique (3) est destiné à tous les stratèges et artisans du gouvernement en ligne.

Défis

En guise d’introduction, l’animateur de la journée, Michel Audet, directeur scientifique au CEFRIO, directeur Institut technologies de l’information et société, professeur titulaire, Département des relations industrielles, Université Laval, a énuméré quelques grands défis que doivent affronter les différents acteurs de la mise en œuvre du gouvernement électronique. Les voici :

  • Leadership et gouvernance : Les organisations doivent bénéficier d’une certaine marge de manœuvre et faire preuve d’innovation pour gérer la différenciation et l’intégration des services ;
  • Optimisation, rigueur et partage des meilleures pratiques en matière de gestion des projets informatiques : Il est avantageux de bénéficier des expériences vécues ;
  • Modèles d’administration publique : Il faudra revoir et transformer les façons de faire relativement à la prise de décision, le financement et le coût à l’innovation, l’identification et la gestion des bénéfices, l’arrière-boutique, etc. ;
  • La société de l’information : Il faut voir au-delà des ministères en ligne et penser à la synergie interministérielle ou interpaliers de gouvernement, à l’intégration santé-éducation-collectivités, à la lutte à la fracture numérique, à la course aux meilleures pratiques d’affaires pour la productivité des PME, etc.

Les principaux points abordés dans l’article :

  • Étude internationale

En direct de Paris, au moyen de la vidéoconférence, Christian Vergez, administrateur principal, Direction de la gouvernance publique et du développement territorial, OCDE, et Edwin Lau, chef de l’Unité du gouvernement en ligne, Direction de la gouvernance publique et du développement territorial, OCDE, ont présenté les principales réflexions du récent rapport intitulé E-government for better government (4).

L’OCDE aborde l’administration électronique sous l’angle de la bonne gouvernance. L’administration électronique réfère davantage à « l’administration » qu’à « l’électronique ». Les technologies de l’information (TI) permettent à l’administration de se développer et d’améliorer son efficacité ; elles ne sont pas une fin en soi. D’autres facteurs doivent cependant être considérés dans une démarche de bonne gouvernance. Pensons à la transparence, à la sécurité informatique, à la protection de la vie privée, à l’engagement des citoyens, à l’équité et à l’accès aux services publics, aux politiques sectorielles, etc.

L’OCDE a étudié ses pays membres sous différents axes :

  • Utilisation du gouvernement électronique centrée sur l’usager : Les services électroniques doivent avant tout répondre aux besoins des citoyens et des entreprises. Il faut comprendre leurs comportements et leurs priorités pour ensuite chercher à les combler ;
  • Fourniture de services par des canaux multiples : La fracture numérique étant une réalité, l’intégration des services en ligne aux services traditionnels permet de rejoindre tous les citoyens, sans exception ;
  • Mutualisation des processus : Il est important d’améliorer l’interopérabilité entre les différentes administrations, de favoriser une meilleure collaboration et d’offrir des services intégrés afin de réduire les doublons, de tirer un meilleur parti des travaux et des ressources de l’administration, d’effectuer des économies d’échelle, etc. À cet égard, le Danemark a gagné le prix de la catégorie « Transformer l’administration » du concours e-Europe 2005 pour un système de facturation électronique utilisé par les administrations nationales et locales du pays. Le système permet de réaliser des économies substantielles ;
  • Analyse coûts/avantages : Il est important d’identifier et de mesurer les coûts et les bénéfices des investissements faits afin de mieux gérer et de prioriser les projets de gouvernement électronique.

La Finlande, la Norvège, le Danemark comptent parmi les pays les plus performants en matière de gouvernement en ligne. Ils offrent des services aussi variés que le dossier patient sur le Web, le passeport biométrique, la procuration électronique, l’enregistrement de nouvelles entreprises, etc. (5).

  • Modernisation des services publics québécois des secteurs clés

Lors d’une table ronde, des chercheurs associés au CEFRIO, ont dressé un portrait de la situation dans leur domaine respectif.

  • Secteur gouvernemental : Selon Yves-Chantal Gagnon, chercheur associé, CEFRIO (6), professeur titulaire, Direction de l’enseignement et de la recherche, École nationale d’administration publique, le gouvernement a effectué diverses expérimentations qui lui ont permis de développer une expertise, notamment en matière de développement de nouvelles applications. Plusieurs projets fonctionnent très bien, dont ceux du ministère de la Justice, du ministère des Ressources naturelles et de Revenu Québec. Le site Bonjour Québec.com témoigne d’un partenariat fructueux avec le secteur privé. Mentionnons aussi le portail Services Québec qui démontre parfaitement la diversification des modes de prestation des services de l’État québécois. Maintenant, il faudrait concentrer ses efforts sur le développement d’une culture de partage et de travail collaboratif en vue d’intégrer efficacement les services des différents secteurs (municipal, éducation, santé). Le but recherché étant de regrouper dans un seul site les divers services destinés aux Québécois. En plus d’encourager et de faciliter l’utilisation des services en ligne, cette destination unique augmenterait significativement le taux de satisfaction des citoyens.
  • Secteur de l’éducation : Thérèse Laferrière, chercheure associée, CEFRIO (6), professeure titulaire, Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage, Université Laval, est fière des innovateurs et des projets qu’ils ont développés dans le domaine de l’éducation. Le Fonds de l’autoroute de l’information a notamment favorisé le foisonnement de sites et de produits intéressants permettant de rejoindre tous les acteurs du secteur, soit des élèves en passant par les ordres d’enseignement, les intervenants hors classe jusqu’aux parents. Les problèmes rencontrés sont liés au déploiement et à la pérennité des projets. Une fois le financement obtenu, le partenariat convenu et le projet mis en marche, la deuxième phase se concrétise difficilement ou plus lentement. Par ailleurs, on déplore que l’utilisation de Web n’ait pas encouragé la transformation des façons de faire mais tout simplement une différenciation du mode de prestation des services.
  • Secteur municipal : Bernard Sévigny (7), chercheur, Faculté d’administration, Université de Sherbrooke, considère que le programme Villages branchés, destiné à fournir un accès au réseau Internet aux municipalités de toutes les régions du Québec, est de loin l’initiative gouvernementale la plus percutante. Le défi à venir concerne l’usage que les municipalités feront du réseau. Malheureusement, les TI demeurent un mystère pour un trop grand nombre d’élus en région. Ceux-ci devront augmenter leurs connaissances et leur utilisation d’Internet afin de mieux se l’approprier. De plus, il serait intéressant de créer une instance qui favoriserait la création d’une « culture socio-électronique » pour les municipalités.
  • Secteur de la santé : Claude Sicotte, chercheur associé, CEFRIO (6), professeur titulaire, Administration de la santé, Université de Montréal, dresse un portrait positif de la situation malgré les expériences négatives vécues, compte tenu de l’ampleur des défis sous-jacents au secteur de la santé. Les quelques succès et les nombreux échecs (SIDOCI, carte santé à Rimouski, etc.) ont effectivement permis d’apprendre des erreurs commises et de développer des connaissances tacites. On a constaté que l’échec des projets en santé prend naissance dans leur conception : objectifs trop nombreux et ambitieux, échéanciers trop courts, vision idéalisée de ce que peuvent faire les TI, etc. Présentement, des efforts sont consentis au projet d’informatisation des données cliniques. La vision de ce projet étant plus réaliste, un vent d’optimisme souffle dans leur direction. Le dossier patient électronique devrait avoir un effet positif sur la productivité des professionnels de la santé qui sont actuellement surchargés de travail. Il contribuera à diminuer le nombre d’erreurs médicales et à augmenter la qualité des soins tout en favorisant l’accès aux soins de santé en région éloignée, au moyen de la télésanté. On prévoit également que le dossier patient informatisé instaurera de nouveaux modèles de relation entre les patients et les professionnels de la santé.
  • Citoyens et entreprises dans la société de l’information

Lors d’une deuxième table ronde, des représentants des secteurs communautaire, privé et municipal se sont prononcés sur la question de la fracture numérique (13) au Québec.

  • Secteur communautaire : Monique Chartrand, directrice générale, Communautique (8), déplore que malgré les efforts, les initiatives et les politiques gouvernementales déployés pour favoriser et encourager l’accès au réseau ainsi que le branchement et l’utilisation d’Internet, on constate encore un écart entre les inforiches et les infopauvres au Québec. Les personnes moins scolarisées, à faible revenu, vivant seules ou encore les femmes sont les moins grands utilisateurs d’Internet (11). Pour le secteur communautaire, l’accès à la société de l’information se traduit par un accès aux infrastructures, à la formation, à l’animation, à l’adoption de normes et de standards ainsi qu’à un service adapté aux besoins des différentes populations. Pourtant, certaines catégories d’individus sont négligées, soit les personnes âgées, les personnes analphabètes et les personnes handicapées. Il existe une fracture numérique au Québec et malheureusement, les fonds publics pour la combattre diminuent.
  • Secteur privé : Selon Daniel Charron, président-directeur général, Manufacturiers et Exportateurs du Québec (9), la question de l’allégement réglementaire est un enjeu majeur pour les entreprises car elle peut se traduire en gain de productivité. En effet, l’énergie nécessaire à la conformité des exigences et des délais ainsi que les coûts afférents représentent tout un casse-tête pour le secteur privé. Dans son dernier rapport (12), le Groupe conseil sur l’allégement réglementaire affirme que le gouvernement électronique constitue une solution au problème d’allégement réglementaire. La question n’est pas réglée à ce jour mais l’on félicite tout de même la mise sur pied du portail Services aux entreprises, particulièrement la section Démarrage. Par ailleurs, on rappelle que dans le contexte de compétitivité actuel, les entreprises doivent être informatisées et être présentes sur le Web. Elles n’ont même pas le choix car leurs partenaires d’affaires et leurs concurrents y sont. Pourtant, on constate que l’accès aux TI et à Internet varie beaucoup selon la taille, le type et le secteur d’activité des entreprises.
  • Secteur municipal : Christian Laverdière, directeur de l’inforoute municipale et de la géomatique, ministère des Affaires municipales et des Régions (10), a expliqué la nouvelle vision du ministère des Affaires municipales et des Régions. Elle porte sur le développement territorial et démontre la volonté du gouvernement d’aller au-delà de la structure municipale pour rejoindre les citoyens et les entreprises de toutes les régions du Québec. Le Ministère intervient à deux niveaux. Il a une responsabilité horizontale pour faciliter l’accès des gouvernements municipaux à de l’information en ligne. La mise sur pied du Bureau municipal, une place d’affaires sécurisée, est d’ailleurs une belle réussite. Également, il encourage et stimule les initiatives contribuant à améliorer le cadre de vie et les services municipaux aux citoyens. Malheureusement, beaucoup de projets ne voient pas le jour, faute de financement.

Conclusion

En conclusion, monsieur Henri-François Gautrin, ministre des Services gouvernementaux, a rappelé le cheminement parcouru pour moderniser les services publics depuis les dernières années :

  • Première phase : Mise sur pied de sites Web ;
  • Deuxième phase : Développement de « sites intelligents » présentant l’information en fonction des besoins des clientèles (citoyens, entreprises) ;
  • Troisième phase : L’aspect transactionnel, en fonction de la banque de données d’un ministère, se greffe aux sites. Pensons au site de Revenu Québec et à celui du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. M. Gautrin a également souligné la bonne notoriété du Service québécois de changement d’adresse qui implique six ministères et organismes ;
  • Quatrième phase : L’arrivée de ClicSÉQUR, un authentifiant unique permettant d’accéder en toute sécurité aux services électroniques gouvernementaux est considérée comme un pas de géant. ClicSÉQUR est un tremplin pour le déploiement du gouvernement en ligne (formulaires électroniques, ventes transactionnelles, etc.).

L’identifiant est présentement utilisé à la Régie des rentes et à Revenu Québec.

Enfin, M. Gautrin est conscient que d’importants défis l’attendent, comme la transformation de l’arrière-boutique. Néanmoins, il a réitéré sa détermination à travailler dans le but d’améliorer l’accès et l’utilisation des TI pour tous les citoyens québécois.

Malgré la volonté du gouvernement à faire entrer le Québec dans la société de l’information, la fracture numérique des citoyens, des entreprises et des collectivités perdure. On peut donc conclure que « le gouvernement en ligne n’est pas encore pour tous ». Les programmes, les projets et les initiatives mis en œuvre constituent un grand pas dans la bonne direction mais la route est longue. Souhaitons que tous les acteurs de la société de l’information en devenir se mobilisent dans la poursuite de ce noble objectif. Espérons aussi que les bonnes idées et intentions annoncées par le nouveau ministre des Services gouvernementaux lors du séminaire se concrétisent afin de faire progresser le Québec dans la société de l’information et de réduire la fracture numérique.

Rédactrice : Isabelle Poulin, documentaliste, CEFRIO

Références mentionnées :

  • (1) CEFRIO (2005). Vers une nouvelle relation entre le gouvernement et les citoyens : colloque international sur le gouvernement en ligne, 24, 25 et 26 mai 2005, Québec.
  • (3) Roy, Réjean (2006). Guide sur le gouvernement électronique : vers une nouvelle relation entre le gouvernement et les citoyens, Québec, CEFRIO, 85 p.
  • (4) OCDE (2005). E-government for better government, Paris, OCDE, nov. 205 p. (OECD e-government studies)
  • (5) Québec (Province). Ministère des Services gouvernementaux (2006). « La Scandinavie, une région à l’avant-garde en matière de gouvernement en ligne », E-veille : à la rencontre des gouvernements en ligne du globe, le Ministère, CEFRIO, févr.
  • (6) CEFRIO. Chercheurs associés.
  • (7) Bernard Sévigny, chercheur, Faculté d’administration, Université de Sherbrooke.
  • (8) Communautique.
  • (9) Manufacturiers et Exportateurs du Québec.
  • (10) Québec (Province). Ministère des Affaires municipales et des Régions.
  • (11) CEFRIO, et Léger Marketing (2006). NETendances 2005 : utilisation d’Internet au Québec, Québec, CEFRIO, 70 p.
  • (12) Québec (Province). Groupe conseil sur l’allégement réglementaire (2003). Une administration plus attentive aux entreprises pour créer plus d’emplois et de richesse, 82 p.

Sources utilisées :

  • CEFRIO (2006). Vers de nouvelles relations entre l’État et les citoyens : un gouvernement en ligne pour tous ? : séminaire sur le gouvernement en ligne, le 28 février 2006, Québec.
  • Commission européenne (2005). Services publics innovants : les lauréats du prix européen viennent de Pologne, du Danemark, des Pays-Bas et d’Irlande, 25 nov.
  • Québec (Province). Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Villages branchés du Québec.
  • Québec (Province). Ministère des Services gouvernementaux (2005). Le Service québécois d’authentification gouvernementale - ClicSÉQUR : un tremplin pour des transactions en ligne simplifiées et sécuritaires, 9 déc.
Posté le 4 mars 2006

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