Abattre les cloisons, de l’école à l’entreprise – Entretien avec Alexandra Cauchard

Design thinking, intelligence collective, holacratie… tels sont les nouveaux remèdes des entreprises en transformation. C’est en les prodiguant à ses collègues alors qu’elle est responsable éditoriale dans un magazine économique qu’Alexandra Cauchard se pique d’innovation collaborative. Elle se lance alors dans une aventure entrepreneuriale animée par l’envie d’accompagner les entreprises à abbatre les cloisons inutiles et à mieux prendre en compte la richesse des humains qui les composent.

Bonjour Alexandra. Seuls 9 % des travailleurs français se disent hautement investis dans leur travail. Qu’est-ce qui ne fonctionne pas aujourd’hui dans les entreprises françaises ?

Alexandra Cauchard. C’est un constat grossier, mais force est de constater qu’il est à peu près le même partout : beaucoup d’entreprises traditionnelles fonctionnent en silos, la direction a tous pouvoirs et le monopole des initiatives innovantes, tandis que le reste de la pyramide exécute. Cela génère indubitablement du désengagement parmi les collaborateurs qui ne se sentent pas pleinement considérés.

Les causes internes aux entreprises qui créent le désengagement sont pourtant connues : incompréhension des changements en cours, centralisation des décisions et de l’innovation, isolement au travail et manque de méthode des managers pour embarquer le collectif empêchent les collaborateurs de se sentir acteurs du projet pour lequel ils se lèvent chaque matin.

Y a-t-il des solutions pour agir contre le désengagement ? De quoi les entreprises ont-elles besoin ?

A.C. Bien sûr ! D’une part, les collaborateurs demandent à être mieux impliqués dans les prises de décisions et d’autre part, le salarié a des compétences, des idées et une connaissance qui peuvent servir l’entreprise au-delà de sa fiche de poste. Partant de ce constat, toute démarche visant à intégrer les collaborateurs dans la stratégie de l’entreprise et à leur permettre d’exprimer leur valeur va répondre à la question du désengagement. C’est tout le sens des programmes d’innovation collaborative que nous réalisons avec Shaker. Lorsque nous conseillons des entreprises, deux cas de figures sont possibles. Soit ils ont un projet stratégique qu’ils souhaitent co-construire avec leurs collaborateurs et nous les accompagnons à concevoir un programme de transformation collaborative. Refonte de marque, réinvention du onboarding, management par la confiance… les sujets abordés sont variés, la constante étant l’implication de tous les métiers et de toutes les strates de l’entreprise. Soit nous concevons avec eux un plan de transformation large où nous demandons aux collaborateurs d’identifier les problèmes de l’organisation et d’imaginer des solutions. Ainsi leurs propositions inspirent les choix stratégiques du top management et re-connectent les collaborateurs avec le projet d’entreprise. Ensuite, nous formons les managers et top managers à nos méthodes afin qu’ils continuent d’adopter ces postures avec leurs équipes. Pour que ce type d’intervention fonctionne, il est indispensable de communiquer sur les suites données aux projets proposés par les collaborateurs et qu’un budget soit alloué pour faire vivre les plus porteurs. Autrement le risque de déception est important.

Toute démarche visant à intégrer les collaborateurs dans la stratégie de l’entreprise et à leur permettre d’exprimer leur valeur va répondre à la question du désengagement.

Tu parles d’impact. Il me semble qu’un des défis de ces démarches est justement de parvenir à mesurer son impact. Comment cela se passe-t-il pour les entreprises que vous accompagnez ?

A.C. Tout d’abord, il faut accepter que la mesure du ROI soit essentiellement qualitative et à long terme. Il est très important que la direction l’intègre, c’est une des clés de réussite. Il serait contre-productif de chercher à tout mesurer, cela pourrait même invalider les bienfaits du processus de co-construction.

Les questions qu’il faut se poser en matière d’impact sont : combien de projets sont encore en vie ? Combien de managers ont été formés aux méthodes ? Les collaborateurs se sentent-ils plus engagés ? Et comment cela a-t-il changé leur regard sur la valeur travail et sur leur entreprise ? De nouveaux liens ont-ils été créés entre les équipes ?

Si l’on souhaite absolument mesurer cet impact de manière quantitative, on pourrait regarder des indicateurs tels l’évolution du turnover ou le taux d’absentéisme mais à condition que ces démarches continuent de vivre dans l’entreprise. Dans tous les cas, co-construire un plan de transformation permet d’éviter d’imaginer des actions déconnectées des réalités du terrain et implique une adhésion autour du projet dès sa genèse. Ce type de démarche fait donc gagner du temps et diminue les coûts gaspillés dans un programme qui resterait lettre morte.

Est-ce que tous les projets ont vocation à être conçus de manière collaborative ? Lorsque l’on veut entamer un virage plus radical, plus audacieux, la collaboration est-elle toujours judicieuse ?

A.C. Le collaboratif et le leadership visionnaire ne s’opposent pas. Si l’on doit prendre un grand virage, il est toujours instructif de prendre le pouls de la résistance ou de l’envie de changement et d’adapter en conséquence le plan de transformation.

Très souvent les chantiers de transformation concernent des sujets de ressources humaines, de relation client où le collaborateur est soit l’utilisateur, soit l’ambassadeur de ce changement. Dans les deux cas, s’il n’a pas sa voix au projet et s’il n’a pas été consulté, il y trouvera beaucoup moins de sens.

Le collaboratif et le leadership visionnaire ne s’opposent pas. Si l’on doit prendre un grand virage, il est toujours instructif de prendre le pouls de la résistance ou de l’envie de changement et d’adapter en conséquence le plan de transformation.

Diffuser une culture de l’innovation implique des changements profonds, qui touchent à l’humain. Comment les responsables des ressources humaines peuvent-ils embrasser cette transformation souhaitable ?

A.C. Cela commence dès le recrutement. il s’agit de cesser de recruter des clones et de faire davantage confiance aux personnes dont les parcours ne sont pas linéaires.

Je pense par exemple à la start-up Coxibiz qui suggère des recrutements par challenge, sans regarder le CV.

Pour pleinement donner de la place aux explorateurs, il faut être en mesure d’anticiper leur intégration dans les équipes et leur évolution au sein des entreprises ce qui implique de mettre en place en interne des plans souples de mobilité professionnelle.

Pouvoir explorer plusieurs métiers au sein d’une entreprise est une clé pour favoriser la détection et le développement de ces profils.

Les directions des ressources humaines repèrent les talents non identifiés en organisant aussi des temps où chacun s’exprime, où chacun partage ses connaissances au delà des missions qui lui sont attribuées. Il est également important d’insuffler un modèle de management par la confiance, partagé à tous les niveaux de l’entreprise, sans lequel le droit à l’erreur ne peut se propager. Aujourd’hui, beaucoup de groupes initient des formations au management par la confiance en commençant par les managers de proximité. Or, la confiance se diffusent par contamination du haut vers le bas et du bas vers le haut. Mais si elle n’est pas incarnée par les dirigeants dès le départ, alors elle ne peut infuser réellement la culture d’entreprise et s’arrête aux portes de la hiérarchie.

Pouvoir explorer plusieurs métiers au sein d’une entreprise est une clé pour favoriser la détection et le développement de ces profils.

Le fait qu’il faille faire appel à des compétences extérieures pour travailler de manière collaborative et mettre en place des démarches de co-construction, qu’est-ce que cela révèle de nos lacunes et de notre culture de travail ?

A.C. Ma conviction est que les difficultés de l’entreprise se figent dès l’école. Comme dans un miroir, on retrouve dans l’entreprise, les écueils du formatage scolaire. Ainsi l’organisation en silos est la continuité du découpage des disciplines, le management par le contrôle, celle de la posture du professeur sachant qui note et sanctionne… Il faut donc intervenir dès l’école pour que ces schémas cessent de se reproduire. Imaginons une école et un enseignement supèrieur qui laissent de la place à l’exploration, l’élan créatif, la multi-disciplinarité et l’introspection, une école où les enseignants sont formés aux pédagogies qui permettent de stimuler l’envie d’apprendre, de donner du sens aux études, de savoir transmettre le potentiel de l’intelligence collective… Toutes ces pistes permettraient au plus grand nombre de comprendre “ce qui est tissé ensemble” et de développer la créativité, la capacité de coopération et de travailler en équipe ou celle d’apprendre à apprendre. Des compétences qui, à l’ère de l’obsolescence programmée des métiers, sont indispensables au rebond professionnel permanent imposé par le marché du travail. Ainsi, l’école serait l’antichambre d’un nouveau rapport au travail, un travail, non plus medium de contraintes et d’obtention d’un statut social mais que chacun choisira d’aligner avec son identité et ses envies.

On retrouve dans l’entreprise, les écueils du formatage scolaire. Ainsi l’organisation en silos est la continuité du découpage des disciplines, le management par le contrôle, celle de la posture du professeur sachant qui note et sanctionne…

 

Crédits photo : JJ Thompson

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Via un article de Helene Vuaroqueaux, publié le 7 février 2018

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