La nuit où tout a basculé

le débat et le vote de la licence globale décrite par Dominique Lahary, de l’interassociation des bibliothécaires

J’ai eu la chance d’avoir été, pour le compte de l’interassociation
Archives-Bibliothèques-Documentation, présent dans les tribunes du public
les 20 et 21 décembre 2006 lors de la première phase (qui devait être aussi
la dernière) de l’examen du projet de loi sur les droits d’auteur dans la
société de l’information (DADVSI).

Ce grand moment a pu être partagé par tous ceux qui pouvaient suivre en
direct, derrière leur ordinateur, la retransmission vidéo des débats

Un texte de Dominique Lahary, de l’interassociation des bibliothécaires, qui fait un point et une bonne synthèse de DADVSI et la suite... publié sur son site personnel

A partir de cette même page, on peut aujourd’hui lire les comptes rendus
analytiques ou intégraux.

En voici le plan, que vous ne trouverez pas sur le site de l’Assemblée
nationale :

Troisième séance du mardi 20 décembre 2005

  • Intervention liminaire du ministre de la culture
  • Intervention liminaire du rapporteur
  • Exception d’irrecevabilité défendue par le PCF
  • Question préalable défendue par le PS
    Première séance du mercredi 21 décembre 2005
  • Déclarations liminaires des groupes politiques
  • Motion de renvoi en commission défendue par le PS et par l’UDF

Deuxième séance du mercredi 21 décembre 2005 (LA SEANCE CRUCIALE)

  • Rappel au règlement défendu par le PS et l’UDF
  • Début de l’examen d’amendements sur l’article 1 (citation, enseignement et
    recherche, télédéchargement, archives-bibliothèques-documentation,
    handicapés)

Deuxième séance du jeudi 22 décembre 2005

  • La discussion de l’article 1 est suspendue.
  • Discussion sur l’adoption sur la licence légale de télédéchargement
  • Adoption des articles 3, 4, 5 et 6 avec amendements

Troisième séance du jeudi 22 décembre 2005

  • Début de la discussion sur l’article 7 (protection juridique des mesures
    techniques de protection)
  • Interruption pour trois semaines des travaux de l’Assemblée nationale.

Et si vous voulez vous cantonner aux passages concernant les bibliothèques
et questions liées

UN DEBAT A LA HAUTEUR DES ENJEUX

C’était un beau et grand débat. Qui fait honneur à la démocratie française.
Honneur à sa démocratie... parlementaire.

Le gouvernement avait adopté, sans autre consultation que celui du Conseil
supérieur de la propriété intellectuelle et artistique (CSPLA) qui ne
comprend pas, loin, s’en faut, des représentants de tous les intérêts en
cause, y compris des intérêts généraux, un projet de loi le 12 novembre 2003
en vue de transposer la directive européenne du 22 mai 2001.

Depuis cette date, il n’a cessé de repousser son examen par l’Assemblée
nationale pour finalement le prévoir en deux jours à la veille des fêtes,
les 20 et 21 décembre, en procédure d’urgence (un seul examen par
l’Assemblée nationale puis le Sénat sans navette).

Entre le 12 novembre 2003 et le 20 décembre 2005, il n’a cessé de défendre
l’intégralité de son texte et n’acceptant de discuter avec les parties
prenantes que dans le cadre d’une loi qui serait en tous points conforme au
projet, à l’exception d’aménagements tout à fait mineurs.

Mais nous voilà aujourd’hui, après trois jours de débats au lieu de deux,
avec un projet de loi dont l’examen est très loin d’être achevé, et avec un
amendement adopté à la surprise générale et contre l’avis du gouvernement
(la licence légale sur le télédéchargement).

Cet extraordinaire coup de théâtre est le résultat de la combinaison de deux
phénomène réjouissants :

  • une importante mobilisation de différents groupes de pression représentant
    des intérêts particuliers ou généraux, dans l’ombre (certaines sociétés) ou
    à ciel ouvert, qui a culminé avec l’envol de cinq pétitions en ligne dont un
    site donne la liste et le comptage jour après jour :
  • un véritable travail parlementaire autonome, qui a permis la convergence
    d’élus de diverses tendance.
    Bel hommage aux majorités d’idées chères à Edgar Faure, et dont l’histoire
    parlementaire française est jalonnée (adoption de la loi Weil sur
    l’interruption volontaire de grossesse en 1975, de la loi Badinter
    abolissant la peine de mort en 1981...).

Il fallait voir la complicité entre deux parlementaires qui s’étaient
affrontés lors de la loi sur le PACS en 1999, Christine Boutin et Patrick
Bloche.

De son côté, le ministre de la culture s’est montré d’une incroyable
maladresse.

  • Il a fait organiser dans l’enceinte du Palais Bourbon une opération de
    promotion de grandes sociétés qui proposaient aux députés une carte gratuite
    de quelques 10 euros de télédéchargement " légal " (entendez " commercial ")
    de musique, opération qui, devant les protestations de députés, a été
    stoppée par le Président de l’Assemblée nationale au motif qu’elle ne se
    déroulait pas " dans les conditions qu’il avait autorisées ", a finit par
    préciser le président de séance.
  • Il a bâti une grande partie de son argumentation sur la défense d’un
    amendement qu’il venait de déposer le matin même, sur la " réponse graduée "
    aux télédéchargements illégaux, amendement qui introduisait une instance
    juridique d’exception, et dont on apprend des jours-ci qu’il est en voie
    d’abandon.

Il faut écouter ou lire ces débats pour apprécier, au-delà des inévitables
traits polémiques, leur gravité et leur souffle. On sentait que la
représentation nationale, ou du moins l’extrait de celle-ci qui s’était
engagée sur ce dossier et s’était donnée rendez-vous ces jours-là dans
l’hémicycle, avait pris la mesure de la profondeur de la révolution
numérique et s’efforçait d’y apporter des réponses juridiques et
économiques. Ce n’est pas facile. Ça ne se fera pas d’un seul coup. Mais, du
moins, plusieurs interventions se situaient à la hauteur des enjeux, même si
les solutions proposées n’apparaissaient pas forcément comme complètes et
définitives.

" Pour une fois, le terme de révolution n’est pas usurpé ", a lancé
Christian Vanneste, rapporteur du projet de loi (avant de déclarer fort
malencontreusement " Nous quittons la galaxie Mac Luhan pour ce que certains
pourraient appeler la galaxie Bill Gates "), et chacun à sa suite de
renchérir, pour en tirer des conséquences parfois diamétralement opposées :
" la révolution numérique ouvre des perspectives extraordinaires de
développement de nouvelles pratiques, de nouveaux chemins d’accès à la
culture " (Renaud Donnedieu de Vabres, ministre) ; " vu la révolution des
usages culturels à laquelle nous assistonsŠ " (Frédéric Dutoit, député PCF)
 ; " la révolution numérique déplace les lignes, elle redistribue les rôles
et la valeur et, dans la création contemporaine, elle modifie les frontières
traditionnelles entre le public et les créateurs " (Christian Paul, député
PS), " notre société est en train de connaître une révolution technologique
dont nous ne mesurons pas toutes les répercussions " (Dominique Richard,
député UMP) ; " la révolution numérique transforme sous nos yeux le monde de
l’esprit " (Didier Mathus, député PS), " , l’Internet instaure une profonde
réorganisation de notre modèle de société " (Christine Boutin, député UMP).

Ne nous gaussons pas de l’énoncé de telles évidences : il faut le dire et le
redire. Les usages, les modèles économiques, et naturellement le droit, sont
bouleversés. Toutes les lignes bougent. Réjouissons-nous qu’à l’Assemblée
nationale on en prenne la mesure et cherche à produire du droit.
Réjouissons-nous qu’elle le fasse devant les yeux des citoyens.

Les députés débattaient devant des internautes suivant en direct la séance
(ce qui produisait des réactions immédiates par blog ou messagerie) et sous
les yeux d’une assistance exceptionnellement nombreuse, comme le remarqua
Patrick Bloche : " peu de lois ont attiré autant de monde dans nos tribunes
 : depuis dix ans que je siège dans cette assemblée, je ne vois que le PACS
ou la chasse pour avoir autant mobilisé. " Et l’on sentait dans cette
assistance, à la moyenne d’âge peu élevée, comme une sorte de fierté de voir
la démocratie fonctionner.

L’adoption par 30 voix contre 28 des deux amendement identiques (l’un de
droite, l’autre de gauche) a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Certes on
avait senti la tension monter, et des oppositions fortes s’étaient
exprimées, mais le ministre et le rapporteur restaient inébranlables dans la
défense de leur positon et rien ne lassait prévoir qu’une majorité de
députés UMP présents, contre l’avis de gouvernement, mais aussi de l’UDF,
entraîneraient par leur vote une spectaculaire mise en minorité du
gouvernement.

Il y eut une interruption de séance, et dans la petite foule des spectateurs
redescendus dans le vestiaire du public, rejointe un moment par deux
députés, régnait une extraordinaire ambiance faite de surprise et de joie.
Puis la séance repris, et le bibliothécaire que je suis n’eut pas, lui, à se
réjouire outre mesure : malgré l’appui de l’UDF, cette fois-ci, la première
salve d’amendements défendus par l’interassociation n’a pas été adoptée.

UNE COALITION PARADOXALE

A l’évidence, les tribunes étaient pleines de représentants des différents
groupes qui s’étaient mobilisés à propos de ce projet de loi, et dont la
coalition a fini par se réunir sur une pétition " englobante " qui a
rassemblé en quelques jours plus de 100 000 signatures individuelles et plus
de 5 000 signatures collectives (associations, entreprises), dont celles de
plusieurs associations de bibliothécaires et de documentalistes
(http://www.eucd.info).

Les bibliothécaires y sont cités, comme ils ont figuré dans l’énumération à
laquelle de nombreux journalistes ont sacrifié pour désigner les opposants
au projets de loi : " les amateurs de peer-to-peer, les consommateurs, les
bibliothécaires, les universitaires, les défenseurs du logiciel libreŠ "

Que viennent faire les bibliothécaires dans cet inventaire ? Cela n’allait
pas de soi. Car si l’on se limite, comme l’ont fait les présentations
simplifiées du projet de loi, à la question du télédéchargement par
peer-to-peer, force est de constater que les internautes se passent
allègrement des bibliothèques et médiathèques, qui sont comme les circuits
commerciaux classiques bousculées par la dématérialisation et la
désintermédiation : une recherche documentaire aussi primitive qu’efficace
met l’utilisateur en relation directe et immédiate avec le document
recherché.

Si les bibliothécaires peuvent s’enrôler dans ce front commun, ce n’est pas
pour défendre leurs intérêts immédiats et, je dirais, corporatistes de
redistributeurs, mais sur la base de valeurs telles que celles dont l’IFLA
(International federation of library associations and institutions) affirme
que les bibliothèques sont porteuses.htm) :

" Défendre
le principe de la liberté d’information ", " Fournir un accès illimité à
l’information "

Parce que leur métier est de faciliter l’accès du plus
grand nombre à la culture et à l’information, tout ce qui va dans ce sens,
fût-ce au prix de leur propre évitement, est à encourager.

Voilà pourquoi on peut considérer que les bibliothécaires ont vocation à
être partie prenante de cette " coalition du bien commun ", selon
l’expression de Philippe Aigrain dans un texte paru dans Libération le 25
août 2003

et que reprend, en y incluant explicitement les bibliothécaires, le
journaliste Florent Latrive dans son stimulant " Du bon usage de la
Piraterie " (éditions Exils, 2005, et en ligne :), et qui réunit aussi les défenseurs
des logiciels libres, les scientifiques militant pour le libre accès aux
résultats de leur recherche et les partisans pour leur propre compte des
creative commons, ce droit d’auteur
alternatif à but non lucratif qui n’entend pas supplanter l’autre mais
entend prendre toute sa place.

Et voilà pourquoi sur le plan international les bibliothécaires militent
avec d’autres forces pour un rééquilibrage des droits d’auteur et du
copyright, comme en témoignent la Déclaration de Genève sur le futur de
l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, signée par de nombreuses organisations
travaillant dans des domaines divers, dont l’IFLA et plusieurs associations
françaises de bibliothécaires, et le texte de l’IFLA Les principes défendus
par les bibliothèques, définis dans le cadre des travaux sur l’évolution de
l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.

Mais ne faisons pas d’angélisme. Dans cette coalition paradoxale, les
solidarités ne sont pas forcément actives et les combats ne sont nullement
indissociables. Je ne sais pas pour ma part si la licence légale de
télédéchargement telle qu’elle a été votée est une bonne solution ou du
moins une solution immédiatement applicable, et me réjouis en tout cas que
ses défenseurs aient mis à part le cas du cinéma (ce que nombre de
commentateurs et de tribunistes ignorent ou feignent d’ignorer ces
jours-ci), ce qui se justifie par sa chronologie propre qui fonde son
équilibre économique (sortie en salle puis en DVD, diffusion à la
télévision). Et si je me félicite du coup de théâtre qui a propulsé ce
projet de loi, et la matière dont il traite, à la une de l’actualité, l’a
sorti de l’étau où il était emprisonné depuis deux ans et ouvre de nouvelles
perspectives de concertation, je n’oublie pas que le combat de
l’Interassociation Archives-Bibliothèques-Documentation n’est pas terminé et
que si les professionnels, avec
les élus locaux, les enseignants et chercheurs, ne redoublent pas de
mobilisation, personne ne se mouillera à leur place.

Au reste, les deux dossiers (télédéchargement de fichiers musicaux d’une
part, exceptions demandées par l’interassociation d’autre part) sont
distincts juridiquement. La licence globale ne couvre que les usages privés.
Les usages des services d’archives, bibliothèques, services de
documentation, établissement d’enseignement et centres de recherche sont
d’une autre nature.

Ces deux dossiers sont également distincts politiquement. La même Assemblée
qui a voté la licence globale optionnelle de télédéchargement a refusé les
exceptions pour ces établissements. Demain, elle peut faire exactement
l’inverse, ou tout accepter ou refuser.

UNE DEFAITE PROVISOIRE

L’interassociation demande des exceptions au droit d’auteur.

Qu’est-ce à dire ? Il s’agit tout simplement d’étendre le nombre d’exception
au droit d’auteur figurant déjà dans le code de la propriété intellectuelle

" Lorsque l’oeuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire [...] Les
copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste
[...], Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère
critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre
à laquelle elles sont incorporées. [...] "

Pourquoi demander des exceptions nouvelles ? Pas pour exercer des droits
nouveaux. Mais tout simplement parce que le numérique, qui peut être la
dissémination incontrôlée de clones, ce dont ou nous rebat les oreilles,
peut également en être l’inverse absolu : le verrouillage et le traçage,
c’est-à-dire le contrôle absolu de l’accès d’une part, et la traçabilité
totale des usages d’autre part. C’est ce à quoi servent les désormais fameux
DRM (digital right management), briques logicielles agissant à la fois comme
une police privée et un service d’espionnage. DRM que le projet de loi, en
ses articles 7 et 8, protège juridiquement et dont le contournement devient
un délit sévèrement sanctionné (jusqu’à 300 000 euros d’amende et trois ans
de prison).

Les exceptions demandées par l’interassociation figurent explicitement,
quoiqu’à titre optionnel, dans la directive européenne dont le projet de loi
est la transposition. Elles ont été adoptées par d’autres pays européens,
qui n’ont pas choisi, comme le gouvernement français, une transcription
extrême inspirée par un souci unilatéral.

Conjointement avec les élus locaux de la Fédération nationale des
collectivités territoriales pour la culture (FBCC) et de l’Association des
Maires de France (AMF), l’Interassociation a défendu trois amendements :

  • " L’amendement handicapés. " La seule exception introduite par le projet
    de loi portait sur les personnes handicapées, pour lesquelles des organismes
    figurant sur une liste établie par l’État seraient habilité à procéder à des
    reproductions de fichiers sous forme adaptée à divers handicaps. Nous
    demandions que soient explicitement cités les archives, les bibliothèques et
    les services de documentation.
  • " L’amendement conservation " vise à autoriser " les reproductions
    effectuées par des bibliothèques accessibles au public, des établissements
    d’enseignement ou des musées ou par des services d’archive, qui ne
    recherchent aucun avantage commercial ou économique direct ou indirect. " Il
    s’agit d’honorer les missions de conservations, qui peuvent nécessiter des
    copies numériques ou le transfert de documents acquis sous forme numérique
    vers d’autres supports ou formats afin d’assurer leur préservation. On sait
    en effet combien les fichiers numériques sont touchés par les phénomènes
    d’obsolescence de support physique et de format logique. Cette mission de
    conservation dépasse de loin les établissements chargés du dépôt légal,
    auquel se limite le projet de loi.
  • " L’amendement diffusion " vise à autoriser " l’utilisation, par
    communication ou mise à disposition, à des fins de recherches ou d’études
    privées, au moyen de terminaux spécialisés, à des particuliers dans les
    locaux des bibliothèques accessibles au public, des établissements
    d’enseignement ou des musées ou par des archives, qui ne recherchent aucun
    avantage commercial ou économique direct ou indirect, d’oeuvres et autres
    objets protégés faisant partie de leur collection qui ne sont pas soumis à
    des conditions en matière d’achat ou de licence. " Il s’agit là de pouvoir
    communiquer aux usagers les ressources électroniques légalement acquises.

Avec la conférence des présidents d’université (CPU), l’interassociation
défend " l’amendement enseignement et recherche qui vise à autoriser "
l’utilisation à des fins exclusives d’illustration dans le cadre de
l’enseignement ou de la recherche scientifique, sous réserve d’indiquer, à
moins que cela ne s’avère impossible, la source, y compris le nom de
l’auteur, dans la mesure justifiée par le but non commercial poursuivi ".
Ceci concerne directement les missions des bibliothèques universitaires mais
aussi les bibliothèques et centres de documentation des autres
établissements d’enseignement.

Toutes ces exceptions ont un objectif précis : fournir un socle stable
garantissant aux établissements visés le plein exercice de leurs missions
d’intérêt général, qui ne portent pas atteinte à l’exploitation commerciale
normale des oeuvres. Le ministère répond : " préférons dans ces matières la
souplesse du contrat à la rigidité de la loi. " La loi, telle que nous la
souhaitons, n’empêchera pas les contrats. Mais elle permettra que ceux-ci
respectent un cadre garanti. Imagine-t-on que les dizaines de milliers de
collectivités territoriales, les milliers d’organismes de toutes sortes
ayant un service d’archive, une bibliothèque ou un centre de documentaire,
seront de taille à faire reconnaître et respecter par contrat l’exercice de
leurs missions quand toutes les universités françaises ont du former un
consortium, Couperin, pour négocier autant que possible les conditions
d’utilisation des ressources électroniques ?

L’interassociation n’avait pas travaillé en vain : pas moins de 27
amendements déposés par des députés PS, PCF, UDF, UMP ou Vert reprenaient
totalement ou partiellement ses propositions

Au cours des débats, la cause, au moins, des bibliothèques, fraction la plus
visible de la coalition formée par l’interassociation, a été défendue à,
plusieurs reprises
dans l’Assemblée.
L’interassociation a été citée. C’est une consécration qui a son importance.
Mais cela n’a pas suffit.

Les amendements 101 (PS) et 120 (Verts) portant sur l’enseignement et la
recherche, ont été examinés ensemble et rejetés à main levée.

Puis le député UMP Jean-Luc Warsmann défendit son amendement 111 qui
rassemblait les exceptions enseignement et recherche, conservation et
diffusion. Soutenu par des interventions de Martine Billard (Verts) et de
Patrick Bloche et Christian Paul (PS), il a été repoussé par 40 voix contre
20.

Puis vint le tour de trois versions identiques de " l’amendement handicapés
". Après avoir repoussé une version des verts et un autre du PCF,
l’assemblée en a adopté la version UMP, après le ralliement du ministre
malheureusement conditionné par le retrait du mot " archives ".

Mais rien n’est perdu. restent déposés, donc pourraient être examinés, vingt
amendements portant sur les questions soulevées par l’interassociation et
reprenant ses formulations.

UN SIMPLE EPISODE

" La nuit où tout a basculé " : la formule vise une péripétie politique, qui
a permis le déverrouillage d’une entreprise qu’on pouvait qualifier
d’autiste.

Mais les historiens retiendront peut-être qu’en cette nuit du 21 décembre
2005, qu’un collègue a comparé à la nuit du 4 août 1789, quelque chose a
changé en France : non pas l’adoption définitive de la licence légale
optionnelle de télédéchargement, car la procédure parlementaire réserve
encore des rebondissements, mais au moins un premier pas vers un
rééquilibrage du droit d’auteur en même temps que l’esquisse d’un nouveau
modèle économique. Non pas la seconde mort de Beaumarchais, mais son
dépassement nécessaire. Ou du moins, un signe annonciateur de ce qui
pourrait être un pas dans la bonne direction

Et ce vacillement français sera peut-être, qui sait, un élément parmi
d’autre dans la lutte pour un rééquilibrage mondial du droit d’auteur et du
copyright, une contribution à la construction d’un droit des usagers.

Mais naturellement, nous ne venons de vivre qu’une simple péripétie dans une
révolution qui n’est pas seulement technologique, et qui est loin d’être
achevée. Dans ce contexte, un projet de loi français, c’est bien peu de
chose. Mais cela peut aider ou au contraire contrarier le développement
d’une société de la connaissance dans notre pays.

Dans la conclusion de son " Rapport au ministre de la culture et de la
communication sur l’accès aux oeuvres numériques conservées par les
bibliothèques publiques " remis en avril 2005, dont les propositions
souffrent des sévères limitées imposées par la lettre de mission (s’en tenir
au cadre fixé par le projet de loi), François Stasse écrit ceci :

" Chacun a
bien conscience que [les] technologies [numériques] évolueront encore et que
de nouveaux équilibres économiques et juridiques verront le jour. [...] Il
ne s’agit pas d’arrêter des positions théoriques ou définitives mais au
contraire de s’adapter à une situation perçue comme une transition vers un
nouveau paradigme technologique et juridique en formation. "

Le caractère provisoire, presque dérisoire de la réponse juridique nationale
à une révolution mondiale en cours a été souligné à plusieurs reprises au
cours des débats des 20-22 décembre. On a même dit que cette loi venait "
top tôt ou trop tard " et le rapporteur Christian Vanneste l’a qualifiée de
" modeste. " Tout bascule.

Mais il ne s’agit pas d’un phénomène météorologique auquel on ne peut rien,
de je ne sais quel déchaînement de forces naturelles irrésistibles. La
société de l’information, c’est la société des hommes. Et des hommes s’y
combattent, des forces humaines s’y affrontent. Entre l’accès gratuit et
illimité de tous à tout et la marchandisation et judiciarisation totale,
jusqu’à faire disparaître la vue privée, le curseur va longtemps vaciller.
Il appartient bien à des forces dont les bibliothécaires peuvent être que se
construise une sorte d’économie mixte de l’information et de la
connaissance, ou les biens communs aient toute leur place, où l’échange et
le don subsistent, où des institutions d’intérêt publique préservent la
mémoire et diffusent la connaissance et la culture, sans remettre en cause
l’exploitation normale des oeuvres protégées.

Ce combat, il se tient ces jours-ci. Défendre les exceptions proposées par
l’interassociation, c’est préserver l’avenir, c’est facilité l’avènement de
la bibliothèque hybride, selon une formule, consacrée par la littérature
professionnelle internationale, celle qui mêle collections physiques et
ressources électroniques, accueil dans un lieu et services à distance.

C’est aussi refuser un monde où n’existe plus que le rapport entre
industries culturelles et informationnels et consommateurs individuelles.
Car la focalisation du débat sur la seule question, si importante soit-elle,
du télédéchargement par les tenants et les adversaires de la licence légale
généralisée peut avoir aussi cette signification : il ne laisse pas de
place à un espace public, à des services publics d’accès à la culture et à
la connaissance. Un démenti s’impose, et de taille.

Posté le 13 février 2006

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