Un dispositif départemental pour les TIC : le CRI de la Haute-Savoie

Jean-Pierre Archambault

Il n’y a pas que les stations de ski, les lacs alpins et les fromages ! La Haute-Savoie est également pionnière dans le domaine d’internet. Depuis 10 ans déjà, elle permet ainsi à tous ses organismes publics de bénéficier gratuitement de l’informatique communicante... Et plus de 50 000 utilisateurs sont aujourd’hui pris dans cette toile haut-savoyarde inédite. Pourquoi ? Comment ? Portrait d’un département branché bien avant l’heure.

article publié Lettre informatique et collectivités locales n° 455 de décembre 2005 et republié dans @-brest avec l’autorisation del’auteur

Ce texte est repris du site de la lettre de l’EPI, Association Enseignement Piblic et Informatique

Quand, en 1994, la Haute-Savoie découvre internet et son potentiel, notamment grâce à l’influence de son prestigieux voisin, le CERN (Centre européen pour la recherche nucléaire) inventeur du web, elle décide de le mettre à la portée technique et économique de l’ensemble de ses établissements scolaires d’abord, puis de toutes ses structures publiques ensuite. Mais à cette époque, en octobre 1994, aucun dispositif n’existe. Qu’à cela ne tienne ! La Haute-Savoie le fabriquera de toute pièce !

Un dispositif unique en France

Conscient des enjeux de l’internet (notamment des risques d’inégalités), le conseil général crée, en 1994, son Centre de ressources informatiques (CRI). Son rôle ? Permettre une diffusion massive et équitable des usages liés à internet. Son champ d’action ? Le CRI74 devient FAI, met en place tous les accès et services que l’on connaît aujourd’hui mais, avant tout, accompagne ses utilisateurs dans leur apprentissage et leur utilisation quotidienne des outils. La technique n’est rien si elle n’est pas accompagnée et l’action du département, elle, va bien au-delà du projet de raccordement. Introduire internet dans un collège ou dans une mairie, c’est aussi mettre en place l’accompagnement des enseignants ou des agents, leur formation, la réponse aux problèmes techniques, la mise en réseau des établissements et des personnes (développement et animation)...

C’est ainsi que, depuis 1994, le CRI74 fournit les services aujourd’hui « traditionnels » : accès au réseau et à la messagerie, hébergement de sites web, gestion des noms de domaine, échanges sécurisés de fichiers, services de protection contre les spams, les virus, les intrusions... Mais il propose aussi une série de dispositifs d’aide et d’accompagnement : formation, conseils et préconisations, documentations techniques et générales, hot line, participation active des utilisateurs aux développements...

Le CRI74, développeur d’usages depuis 1994

Tout commence avec quelques modems de 14 Kbps permettant, à une poignée d’établissements scolaires volontaires, d’accéder à internet : c’est le projet EdRes74 (Éducation en Réseau haut-savoyarde). Puis les demandes de raccordement se multiplient rapidement, relayées par l’inspection académique. Le projet, qui n’est encore qu’une expérimentation, se généralise alors. Un partenariat réunissant le conseil général via le CRI74, l’inspection académique et le rectorat formalisera les rôles de chacun.

En 1995, EdRes74 est considéré, par la Commission Européenne, comme un des réseaux académiques les plus aboutis d’Europe. Son point fort ? Le réseau est pensé depuis le début de manière cohérente et généralisable : les aspects pédagogiques restent du ressort de l’Éducation nationale, les aspects techniques sont gérés par le CRI74, et un grand travail de concertation permet la mise en place de services répondant aux besoins du plus grand nombre. Enfin, tous les degrés d’enseignement sont concernés, et les établissements privés sous contrat peuvent souscrire au dispositif dans les mêmes conditions.

Un partenariat de même type est reconduit plus tard avec l’Association des Maires du département, qui devient l’intermédiaire des collectivités souhaitant bénéficier des services du CRI74. Les secteurs du tourisme, de la santé ou de la culture rejoignent rapidement le « club ». L’Agence touristique départementale crée ainsi, en collaboration avec le CRI74, le premier site web touristique institutionnel de France, en 1995.

Progressivement, le CRI74 gère donc les accès et les services des offices du tourisme, des MJC, des bibliothèques, ou encore des hôpitaux. Les structures ne paient que leur connexion et leur matériel. Le CRI74 s’affirme donc comme l’opérateur TIC du service public et des collectivités locales.

Le CRI74 bénéficie aujourd’hui d’un débit de 1 Go en empruntant le GIX du CERN...

Les services du CRI74 sont utilisés par 50 000 personnes, pour un budget annuel de 1 million d’euros environ (budget 2005). Soit le prix d’un rond-point de taille moyenne... À mettre aussi en relation avec les tarifs des sociétés de service. Pionnière dans le domaine, la Haute-Savoie prouve aussi que l’on peut mettre en place un tel dispositif sans se ruiner.

Mutualiser pour économiser : du partenariat au logiciel libre

La clé de cette réussite tient en un mot : mutualiser ! Et la mutualisation revêt ici plusieurs formes. Il y a d’une part, le mariage des compétences et la mise en commun des ressources : ils ont permis la création et la pérennisation du dispositif. Plate-forme technologique placée au centre du processus, le CRI74 s’appuie sur ses partenaires pour que le plus grand nombre bénéficie des mêmes services, aux mêmes conditions. Autre forme de mutualisation : l’utilisation de solutions informatiques « libres ». Elle a permis au CRI74 de rester en adéquation avec les besoins et les moyens de ses utilisateurs. Les outils propriétaires, trop coûteux et trop rigides, auraient empêché toute évolution technique et considérablement augmenté le budget. Le CRI74 s’est donc naturellement inscrit dans le contexte de l’accord-cadre entre le ministère de l’Éducation nationale et l’AFUL (Association francophone des utilisateurs de Linux et des logiciels libres) en octobre 1998, et régulièrement reconduit depuis lors (http://www.educnet.education.fr/plan/aful.htm). Il développe des coopérations diverses, notamment avec le Pôle de compétences logiciels libres du SCÉRÉN (http://www.thematic74.fr/article.php3?id_article=297).

Dès 1997, le CRI74 imagine une solution sur mesure pour faire face au nombre croissant d’utilisateurs, alors que ses moyens restent constants. Il faut impérativement décentraliser les services du CRI74, rendre ses utilisateurs plus autonomes, et gérer les autres de manière automatique. On recourt alors à PingOO, serveur de communication qui répond à ces nécessités, ainsi qu’aux exigences de fiabilité, de sécurité et d’économie recherchées par les structures. Développé sous licence Gnu/GPL, PingOO est placé au coeur de la structure. Il permet à ceux qui en ont le droit de créer eux-mêmes leurs comptes de messagerie (pratique à la rentrée scolaire, par exemple, où il faut créer jusqu’à 2 000 comptes par établissement !), de gérer eux-mêmes leur site web et leur intranet, de maîtriser leur connexion, de gérer l’utilisation de leur parc informatique... Le choix de Linux pour PingOO ne relève pas du hasard : technologie faite pour les réseaux, fiable, sécurisée, économique, robuste... Linux est, dès 1997, promis à un bel avenir. Résultat : plus de 250 serveurs installés dans les structures publiques haut-savoyardes sont aujourd’hui télémaintenus par le CRI74. Certains d’entre eux sont restés plus de 450 jours sans « rebootage » sauvage !

Le succès de PingOO encourage le CRI74 à migrer l’ensemble de ses services sous Linux deux ans après.

Le recours à ces solutions informatiques libres n’est pas innocent. En en développant les usages, le CRI74 s’engage à accompagner les utilisateurs et à leur proposer régulièrement de nouveaux services. Seules les solutions libres permettent une telle réactivité. Elles permettent également au CRI74 d’utiliser des technologies fiables, robustes, sécurisées et surtout très économiques, tout en créant des conditions non discriminatoires d’accès à la connaissance. Le CRI74 est ici en parfaite syntonie avec le discours de Renaud Dutreil, ministre de la Fonction publique, aux Trophées du libre à Soissons, le 26 mai 2005 (http://www.sil-cetril.org/article.php3?id_article=158).

Un exemple à suivre ?

Quelques années après la Haute-Savoie, de nombreuses collectivités ont engagé des actions plus ou moins réussies, plus ou moins importantes. Les ENT (Environnements numériques de travail), par exemple, sont à l’ordre du jour. Leur schéma directeur, piloté par la Direction de la technologie du ministère de l’Éducation nationale, en partenariat avec la Caisse des dépôts et consignations, a donné lieu à de premiers appels à candidatures en 2003. Ils se mettent en place. Ils peuvent se définir comme étant le prolongement de la communauté éducative - via les réseaux - au plan de la pédagogie, de l’administratif et de la vie scolaire. Les enseignants et les élèves y côtoient l’ensemble des acteurs de l’école, personnes et organisations, internes à l’Éducation nationale ou externes (les collectivités territoriales par exemple). Ils y disposent de services de base - outils bureautiques, publication sur le web, courrier électronique - ainsi que des logiciels pédagogiques ou de vie scolaire. Ils y ont des espaces de travail, des ressources éducatives. Ils sont identifiés et authentifiés. Ils accèdent à leurs ressources indépendamment du lieu. Les ENT sont constitués de « briques » qui se doivent d’être interopérables et évolutives. On l’aura remarqué, PingOO est un ENT opérationnel !

En misant sur la mutualisation, que ce soit par les échanges de compétences ou par l’utilisation de technologies libres, la Haute-Savoie est véritablement pionnière. Intéressée par les systèmes répondant aux besoins du plus grand nombre et proches de la réalité économique des utilisateurs, elle investit dans des solutions pérennes. Alors, un exemple à suivre ? Discrète sur son expérience, la Haute-Savoie a néanmoins toujours accueilli les collectivités souhaitant connaître son dispositif : la mutualisation continue, même en dehors de ses frontières. Avis aux amateurs !

Jean-Pierre Archambault,
chargé de mission veille technologique,
SCÉRÉN-CNDP-CRDP de PARIS.

  • Contact :

CRI74, 74160 ARCHAMPS (Tél. : +33 (0)4 50 31 56 30 ; E-mail : info@cri74.fr ; Web : http://www.cri74.fr)

Posté le 6 février 2006

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