Extrait de l’interview publiée par la revue captain’doc
aptain Doc : Quel est l’enjeu de la numérisation des images d’art et du patrimoine ?
Jean-Claude Chirollet : Notre époque s’interroge sur la possibilité de pérenniser, ou tout au moins de donner une temporalité durable, aux productions humaines passées et présentes, qu’il s’agisse d’archives administratives et juridiques, de plans cadastraux, d’édifices et de paysages urbains qui changent tellement vite, ou encore de monuments historiques et d’oeuvres d’art en tout genre. L’idée de "patrimoine" est aujourd’hui encouragée, développée par l’usage généralisé des moyens de reproduction numérique. L’informatique, depuis les années 1960-1970, était utilisée essentiellement comme une sorte d’auxiliaire de la gestion des données techniques et administratives. Elle a servi à faciliter les tâches de classification, d’organisation et d’administration. La perspective offerte par le multimédia et la circulation de l’information en réseau modifie la donne de manière substantielle. En effet, dans l’énorme masse de "données" informatisées, les images (photographiques et vidéographiques) occupent une place primordiale, aussi bien en ce qui concerne leur quantité qu’au plan de l’intérêt porté à l’information iconographique. La lecture de l’information sur Internet, sous forme de pages Web reliées entre elles, ne prend véritablement son sens qu’à travers l’extension du multimédia (texte + image + son), et donc en particulier grâce au développement de l’image photographique. En matière de numérisation du patrimoine artistique, il est devenu indispensable de photographier directement "en numérique" les sites géographiques et les édifices architecturaux du monde entier, les oeuvres peintes ou sculptées et les créations in situ (implantées dans un environnement conçu par l’artiste). Il est devenu également urgent de sauver des outrages du temps les photographies anciennes, les estampes ou les dessins des artistes du passé. La numérisation apparaît comme la méthode de préservation providentielle de ce patrimoine indéfiniment extensible, et qui ne devient véritablement un patrimoine que s’il s’inscrit dans la conscience collective comme un "bien commun" de l’humanité.
Or, la numérisation des images d’art (mais également des musiques du monde entier et de tous les temps) contribue de manière essentielle au développement de cette "conscience patrimoniale", au moins de manière souterraine, car ce sont peut-être avant tout nos descendants (dans 100 ou 200 ans) qui en auront une conscience plus évidente. En effet, ce qui restera et leur sera accessible de ce patrimoine existera principalement sous forme numérique ! Il faut également souligner qu’un grand nombre de sites Web culturels et de sites d’art en particulier, sont créés par des particuliers, même si les institutions (musées, fondations et galeries privées en ligne) y contribuent de manière très substantielle. Le "voyage artistique" et culturel donne lieu à des présentations d’images d’oeuvres numérisées, affichées et commentées sur les sites de personnes qui consacrent leurs loisirs au multimédia et au partage de ressources en réseau. Les moyens de numérisation prenant une extension considérable dans le secteur non professionnel, il est vraisemblable que la notion de "patrimoine" individuel numérisé - pas seulement, bien sûr, pour le secteur culturel au sens artistique - prendra une importance croissante dans le futur proche. Nos vies entières sont susceptibles d’être numérisées sous formes d’événements visuels et sonores discontinus... Ce vaste programme n’est rien moins que celui projeté par Microsoft depuis 2002, le projet "MyLifeBits". Quant aux sites Web, des institutions se chargent depuis déjà plusieurs années d’en faire l’inventaire et la sauvegarde numérique.
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