DADVSI : reports et demi-mesures, les serruriers ne lâchent pas prise

Reprise d’un article publié par Isabelle Vodjdani sous lcience art libre

Le projet de loi relatif aux droits d’auteurs et aux droits voisins dans la société de l’information (DADVSI n°1206) devait se discuter en première lecture et en urgence à l’Assemblée nationale les 20 et 21 décembre.

Hier soir, 22 décembre, les députés y étaient encore. La séance a été levée à minuit et demi, et la suite des discussions est reportée à la séance du 17 janvier 2006, après les vacances de Noël.

Après le rejet cynique des amendements visant à faire valoir l’exception de la reproduction aux fins de la recherche et de l’éducation pour les établissements d’enseignement et les bibliothèques, l’avancée inattendue de Mercredi après midi, avec le vote des amendements 153 et 154 en faveur de la licence globale qui défend l’échange libre de fichiers audio-visuels sur les réseaux Peer-to-peer contre une redevance mensuelle de la part des internautes a été violemment remise en cause Jeudi, par les membres de la majorité qui qualifient cette licence de "supercherie", et le gouvernement compte reproposer cette question au vote après la reprise des débats. D’ailleurs, l’amendement 83 qui aurait dû permettre d’étendre la licence globale aux Webradios a été rejetée dans l’après midi du Jeudi 22 décembre, relativisant déjà la portée du vote de Mercredi.

La séance de Jeudi après midi a été tendue ; d’un côté l’opposition qui pressait le gouvernement de suspendre l’examen de loi pour la poursuivre dans des conditions plus sereines, de l’autre, un président qui avait hâte d’en finir, et accélérait le processus en faisant parfois voter deux articles non discutés en moins d’une minute.

Les rappels au réglement ou les sous amendements improvisés sur place par la majorité semaient la confusion et suscitaient de nombreuses interruptions de séance. Il devenait évident qu’il serait impossible d’en finir avant Noël, mais surtout, il devenait évident pour le gouvernement, qu’il ne trouverait pas dans cette dernière séance, le temps de satisfaire aux procédures nécessaires de renvoi devant la commission pour pouvoir remettre au vote les amendements relatifs à la licence globale qui avaient été défendus la veille jusque dans les rangs de l’UMP.

A 21h30, avant de reprendre les discussions, le président de l’assemblée a fait connaître la décision du gouvernement de prolonger l’examen du projet de loi après les vacances.

On aurait pu s’attendre alors à moins de précipitation pour la poursuite des débats en soirée où l’on abordait l’épineuse question de l’interopérabilité posée par l’article 7 du projet de loi, qui a des retombées graves pour les consommateurs comme pour les logiciels libres. Mais la cadence dans l’abattage et le rafistolage des amendements n’a pas baissé. Le résultat est un ensemble de demi-mesures bâclées à la hâte. L’amendement144, un de ceux qui était défendu par les acteurs du logiciel libre a été adopté moyennant une modification qui met à l’abri les télévisions cryptées. En excluant "Un protocole, un format, une méthode de cryptage, de brouillage ou de transformation" de la définition d’une mesure technique de protection, cet amendement donne une marge de manoeuvre indispensable à la survie des logiciels libres. Par contre, le rejet des amendements85 et 125 au profit de l’amendement253nettement plus restrictif proposé par le gouvernement, a pour conséquence de rendre payante l’obtention des licences permettant d’accéder aux informations nécessaires à la mise en place de l’interopérabilité avec les MTP, pour les concepteurs de logiciels ou les fabricants de matériel.

Les développeurs de logiciels libres comme les petites entreprises devront donc supporter le coût des licences imposées par les quelques fournisseurs de solutions de DRM qui dominent sur le marché.

La suite des débats tentera sans doute d’estomper sinon de résoudre les nombreuses causes d’insécurité juridique qui menace les internautes comme les développeurs de logiciels libres ; un texte rapiécé de toutes parts dont l’interprétation est encore loin d’être claire pour les usagers et pour les juristes, des mesures punitives extrêmement détaillées, l’institution, avec le principe de la riposte graduéed’une sorte de police privée de l’internet qui est très controversée, comme le disent certains membres de la majorité il faudra une "période de transition" pour s’adapter à tant de limitations, surtout quand ces limitations sont si compliquées à subir au quotidien.

Dans ces conditions, comment s’organiseront les développeurs de logiciels libres ? pour supporter ces coûts ainsi que l’attirail de conseils juridiques nécessaires pour agir dans un environnement technico-légal à risque, il leur sera de plus en plus difficile de fonctionner à la bonne franquette dans l’esprit de camaraderie et de bénévolat qui a pourtant si bien fait ses preuves jusqu’à présent. Comme l’analysent fort bien Thierry Pinon et Raphaël Rousseau, dans leur articleInstitutionnalisation : le début des grands maux ?2, le fait d’avoir à s’associer ou à s’institutionnaliser dans des structures plus rigides peut à la longue devenir préjudiciable à l’esprit même du libre.

L’intéropérabilité étant loin d’être facilitée par l’amendement du gouvernement, du côté des consommateurs, on peut se demander si pour Noël il ne serait pas plus sage d’offrir un flutiau aux enfants, plutôt qu’un balladeur qui leur promet plus de frustrations que de plaisirs.

  • 1. pour voir l’inoubliable ricanement de Mr Vanneste qui en appelait à la "charité" pour les auteurs afin que leurs oeuvres ne soient pas bradées gratuitement, vous pouvez visionner lesvidéos des séancesà partir des fichiers enregistrés et mis en circulation sur le réseau P2P par framasoft [back]
  • 2. Libroscope, Thierry Pinon et Raphaël Rousseau,Institutionnalisation : le début des grands maux ? :"Quoi qu’il en soit, face aux difficultés et aux risques d’une institutionnalisation du libre, il est légitime de se poser publiquement et très largement la question : le jeu en vaut-il la chandelle ? Y a-t-il un risque de dilution des valeurs du libre dans l’institutionnalisation alors même que son objectif premier est inverse, c’est à dire d’ancrer les valeurs du libre dans la société. Y a-t-il des alternatives à cette institutionnalisation provoquée ? Les aspects multiformes du logiciel libre, qu’ils soient techniques, économiques, politiques et sociaux, en font un objet complexe à institutionnaliser sans le dénaturer.

Isabelle Vodjdani

Posté le 27 décembre 2005

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  • Janvier 2006
    16:12

    > DADVSI : reports et demi-mesures, les serruriers ne lâchent pas prise

    par Christian Rogel

    Il serait bon d’insister sur le fait que le gouvernement n’a pas retenu d’exception en faveur des usages éducatifs et culturels des documents numériques alors que la directive européenne lui en donnait la possibilité. Ces exceptions ont été mises en oeuvre dans la plupart des pays européens.
    C’est le motif des prises de position en flèche des bibliothécaires, documentalistes et archivistes. C’est un usage collectif et pas seulement privé qu’il faut défendre.

    C. Rogel, Directeur de bibliothèque