DADVSI ou le marché de la serrurerie

Au moment de voter pour (ou contre) le TCE, beaucoup craignaient
l’invasion du plombier polonais. Le spectre d’une Europe sans frontière
traversée de tuyaux par lesquels transiteraient librement des flux de
biens et services de toute provenance hantait les esprits.

Un article publié par Isabelle Vodjdani sur son blog

Aujourd’hui, ce sont les serruriers qui font peur ! Alors que
l’Assemblée Nationale se réunit pour examiner en première lecture le
projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la
société de l’information
(DADVSI
n°1206), on ne parle plus que de DRM ou Mesures Techniques de Protection
, des choses expertes et hautement technologiques auxquelles le chaland
est prié de ne rien comprendre mais qui ne sont jamais que des histoires
de clef et de serrure visant à contrôler l’accès aux biens culturels et
informationnels.

Qui a peur du serrurier ?

On pourrait penser que le premier à redouter les retombées des DRM
devrait être le public. S’il est vrai que des associations de
consommateurs, au premier rang desquels UFC Que Choisir, se sont
fortement mobilisés contre la légalisation des Mesures Tecniques de
Protection (MTP ou DRM), la mobilisation du public n’a pas été très
saillante. Le fait qu’un projet de loi sur le droit d’auteurs affecte
directement ses conditions d’accès aux biens culturels ne lui saute pas
aux yeux. Pour lui, c’est d’abord les auteurs qui sont concernés.

D’un autre côté, la mobilisation des auteurs et artistes est assez
mitigée. Elle décroit à mesure que l’on s’éloigne des cercles proches
des mouvements du logiciel libre. Bien vite rassurés par les
déclarations répétées selon lesquelles ce projet de loi allait renforcer
la protection de leurs droits, ils se sont rendormis tranquillement,
préférant ignorer :

  • qu’ils sont d’abord consommateurs de la culture qu’ils transforment et
    réinventent en leur qualité d’auteurs,
  • qu’ils sont également utilisateurs des technologies avec lesquelles
    ils oeuvrent, technologies qui, pour une bonne part, relèvent aussi du
    droit d’auteur,
  • que l’auteur et le public sont solidaires au sens où ils se façonnent
    mutuellement et qu’il y a de moins en moins de distinction entre auteur
    et public,
  • que leur droit d’auteur leur confère un pouvoir (sans doute aussi une
    responsabilité) : le pouvoir de ne pas prêter corps à l’industrie
    culturelle qui mine la culture.

Les auteurs de logiciels libres ont peur du serrurier

En définitive, ceux qui se sont le plus fortement mobilisés, sont les auteurs de logiciels libres qui ont reconnu dans la légalisation des Mesures Techniques de Protection, et surtout dans les modalités de cette légalisation, une menace directe pour le développement des logiciels libres.

En effet, le projet de loi [1] prévoit que les licences des données nécessaires à l’interopérabilité des logiciels de lecture avec les systèmes DRM doivent être concédées de façon non discriminatoire et équitable aux fabricants de matériel et de logiciel qui en font la demande auprès du fournisseur de solution de DRM. Si l’on sait ce que veut dire non discriminatoire, par contre, on ne sait pas quel est le prix équitable. Pour les développeurs de logiciels libres qui sont pour la plupart bénévoles, ce coût peut être rédhibitoire. Par ailleurs, ces données sont des programmes « opaques » livrées telles quelles sans que l’on puisse en examiner le code source. Les méthodes de travail et la déontologie des développeurs de logiciel libre leur interdisent d’inclure du programme non libre dans leurs logiciels.

Si les DRM se légalisent et que la grande majorité des oeuvres qui sont lues sur des logiciels sont encryptées avec des DRM, et si les logiciels libres ne peuvent pas inclure les programmes propriétaires permettant d’accéder aux clés de décryptage des oeuvres, alors, ce sont tous les logiciels libres de lecture qui tomberaient en déshérance parce que de moins en moins utilisés et par conséquent de moins en moins développés. Ce serait une perte considérable eu égard à l’accessibilité de ces logiciels généralement gratuits, à leur fiabilité et aux progrès rapides de leurs performances qui n’ont souvent rien à envier aux logiciels propriétaires.

Jusqu’à présent, les DRM (ou MTP) ont été développés uniquement dans le cadre de systèmes propriétaires, car les objectifs des DRM sont diamétralement opposés à la philosophie de partage et d’ouverture qui est celle des logiciels libres. On en tiendra pour exemple cette fin de conversation sur un forum de Linux.fr quand, en Janvier 2003, « Microsoft annon[çait] que son modèle de gestion de droits électroniques DRM sera disponible gratuitement sur des plates-formes non-windows, tel Macintosh et linux »

Vanhu : "Effet secondaire", pour accéder à tout ca, il faudra un client qui gère aussi les DRM.... Et la, j’ai déjà un doute sur la diffusion d’un tel client sous Linux, et un doute encore plus gros sur le fait qu’il soit OpenSource.....
xcoder_nux : jamais un point c’est tout ! jamais nous n’utiliseront cette connerie !

Est-ce à dire qu’il serait thechniquement impossible de concevoir des DRM compatibles avec le logiciel libre ? Même si cela peut sembler une hérésie, certaines séries d’amendements fortement soutenues par les acteurs du libre sur le site eucd.info, montrent que c’est envisageable. .

DRM pour les nuls ?

"If consumers even know there’s a DRM, what it is, and how it works, we’ve already failed," says Peter Lee, an executive at Disney, Economist. (cité par l’article de Wikipedia sur les DRM)

En lisant l’article de wikipedia, on apprend qu’il y a toutes sortes de DRM, selon des configurations statiques ou dynamiques, selon que le DRM se contente de « tracer » l’usager ou de brider certaines utilisations, et la liste des solutions techniques actuellement en usage est impressionnante.

Une des architectures de DRM pour les données en ligne est assez clairement décrite dans un article du Journal du Net :

Un système de DRM se décompose en quatre briques. L’encodeur, qui transforme les fichiers traditionnels en fichiers cryptés - tout en les compressant à la volée dans de nombreux cas. Une fois transformés, ces fichiers sont diffusés sur Internet par l’intermédiaire d’un serveur de streaming. A l’autre bout de la chaîne, le client lit ce fichier grâce à un player propriétaire, seul capable de déchiffrer le fichier reçu et de le diffuser. C’est la brique la plus problématique, car les progrès constants de l’encodage nécessitent de fréquentes mises à jour du player. Or, tout téléchargement est un facteur dissuasif du côté du client. Demeure une quatrième brique, qui couvre toute la chaîne de l’édition et de la diffusion : le gestionnaire de droits, qui permet de spécifier à qui reviennent les droits, selon quelle répartition (pour chaque modèle de diffusion), qui permet de vérifier si le client respecte bien les modalités du contrat et de piloter tout ce qui est relatif à la gestion de la chaîne de diffusion.
DRM ou gestion des droits numériques, JDN solutions, décembre 2002.

Mais pourquoi dans cette configuration, le logiciel de lecture doit il être propriétaire ? se demande le dummie.

En glanant des bribes d’information à droite et à gauche, en lurkant les forums de geeks, et en pressant de questions les geeks de son entourage, le dummie peut arriver à la conclusion que le gestionnair de droit intégré dans le logiciel de l’utilisateur peut parfaitement être en open source avec tout ce qu’il faut pour dialoguer avec le gestionnaire de droits qui est dans ce cas, un service en ligne, afin d’obtenir la clé cryptée qui permettra de décrypter la clé encryptée qui est attachée au fichier crypté afin de le décrypter, et enfin, le lire !

Certes, tous les DRM ne fonctionnent pas sur ce principe, mais il apparaît ici, qu’il est possible de préconiser des solutions de DRM efficaces et compatibles avec des logiciels libres : c’est à dire des soultions qui n’introduisent pas de code fermé dans le logiciel, et dont le développeur pourra vérifier la propreté pour s’assurer qu’il n’y a pas de mouchard ou d’éléments compromettant la sécurité du système d’exploitation de l’utilisateur.

A ce stade, le dummie se dit que s’il a pu comprendre cela, les députés qui examinent le projet de loi à l’Assemblée pourront aussi le comprendre. Si, comme ils le prétendent tous, leur objectif est de protéger les droits patrimoniaux des auteurs, et que les DRM sont absolument nécessaires pour ce faire, alors ils ne devraient pas hésiter à soutenir les amendements 85 et 135 et leurs cortèges d’amendements connexes, qui instituent l’obligation pour les fournisseurs de DRM de livrer gratuitement et en open source, la documentation et les instructions nécessaires à l’implémentation des programmes de gestion de DRM dans le logiciel de lecture client.

Ils pourraient alors se vanter d’avoir protégé le droit patrimonial des auteurs tout en sauvant la mise aux logiciels libres. Ils pourraient également se targuer d’avoir oeuvré en faveur d’une meilleure ineropérabilité pour les utilisateurs qui à défaut de pouvoir encore jouir des exceptions à la copie privée, pourront au moins lire les fichiers légitimement acquis sur les appareils et installations de leur choix.

Alors pourquoi si peu d’élus pour défendre ces amendements quand il s’avère qu’il est possible de trouver un compromis qui peut satisfaire les titulaires des droits d’auteurs sans trop pénaliser les utilisateurs et les auteurs de logiciels libres ?

C’est qu’on avait oublié les clés de la croissance sous le paillasson

L’objectif explicite de la directive EUCD est de favoriser la croissance en produisant de la richesse. Les biens et services culturels qui transitent dans la tuyauterie globale doivent être mis à profit et devenir des marchandises. Or il n’y a pas de marchandise sans contrôle.

Il se trouve justement que l’industrie du contrôle est aussi une marchandise et contribue à accroître la richesse. Mieux : la production de richesse est proportionnelle à la segmentation du marché et à la multiplication des niveaux dans le processus de production-distribution. Plus c’est compliqué, plus il y a de marges de manoeuvres pour créer de la plus value.

L’OMC et l’Europe veulent des marchés sans frontière, Internet se veut sans frontière. Mais c’est aux frontières que se prélèvent les droits de douane. Foin des robinets qui gouttent ! Vite, installons des portes et des serrures partout et faisons commerce des clés. Plus il y en aura, mieux ça vaudra.

Si le projet DADVSI est une usine à gaz si compliquée et opaque, c’est parce qu’il s’inscrit dans cette logique qui veut produire la complication pour multiplier les couches et les niches où l’on trouve l’opportunité de faire des bénéfices. Ceux qui trouvent ces opportunités, ce ne sont ni les auteurs ni le public, mais les serruriers.

Mais ne nous plaignons pas, les serruriers sont aussi de généreux mécènes pour qui quelques artistes chanceux réalisent des oeuvres crypto-conceptuelles hyper sophistiquées. Ils en recueillent quelque gloire, et rentrent tout juste dans leurs frais.

« Un jour, le derviche Vâveylâ Maskhareh eut le bonheur d’amuser un prince avec ses pitreries.
Au comble du plaisir et de la gratitude, le prince lui dit :
viens t’asseoir à côté de moi, mangeons et partageons nos richesses.
d’accord, à condition que tu partages aussi ma pauvreté ».[2]

notes

[1] Chapitre III, article 7, alinéa 3 du projet de loi « Les licences de développement des mesures techniques de protection sont accordées aux fabricants de systèmes techniques ou aux exploitants de services qui veulent mettre en œuvre l’interopérabilité, dans des conditions équitables et non discriminatoires, lorsque ces fabricants ou exploitants s’engagent à respecter, dans leur domaine d’activité, les conditions garantissant la sécurité de fonctionnement des mesures techniques de protection qu’ils utilisent. »

[2] carnet de notes de Vâveylâ Maskhareh, manuscrit persan.

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Posté le 21 décembre 2005

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