Droit d’auteur : interview de Roger Chartier, historien du livre, par Le monde

Extrait de l’article publé par Le Monde de Roger Chartier, est historien du livre, directeur
d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

« Avec l’imprimerie se sont établis des contrats entre les auteurs au
XVIe - le mot pouvait désigner un traducteur, un commentateur, un
éditeur - et les libraires-imprimeurs. Mais cela n’impliquait pas que
soit reconnue explicitement la propriété de l’auteur sur son oeuvre.
Plutôt une sorte de récompense. Ces contrats ont toutefois créé un monde
nouveau, à l’intérieur duquel s’imposera progressivement l’idée d’une
propriété originelle de l’auteur, ce qui permettra à certains écrivains
de vivre de leur plume - ou du moins de l’espérer. Tout cela au terme
d’une longue évolution.

Aujourd’hui, le monde de la technologie électronique fait que la
position d’auteur peut être immédiatement inscrite dans la position de
lecteur. Sur un même écran, on reçoit un texte et on compose le sien.
L’oeuvre n’est plus fermée ni fixée : Roméo peut épouser Juliette, et y
survivre. Il y a une proximité entre lire et écrire, écouter de la
musique et la produire, qui est rendue infiniment plus forte
qu’auparavant. Nous sommes donc face à une innovation technologique qui
bouleverse cette sédimentation historique, laquelle a conduit à la
définition esthétique et juridique des oeuvres.

C’est pourquoi la question se pose : le droit d’auteur est-il une
parenthèse dans l’histoire ? Peut-on entrer dans un monde de circulation
des oeuvres situé à distance radicale de tous les critères esthétiques
et juridiques qui ont gouverné la constitution de la propriété
artistique ou littéraire ? Ou, techniquement et intellectuellement, ces
critères restent-ils considérés comme légitimes, et il faut alors faire
un effort pour qu’ils puissent s’appliquer à une technologie qui leur
est rétive ?

C’est la grande question, à la fois juridique (qu’est-ce qu’une
oeuvre ?) et culturelle (qu’est-ce qu’un auteur ou un créateur ?). Je me
garderai d’y apporter une réponse : chaque fois que les historiens ont
fait un pronostic sur l’avenir, ils se sont lourdement trompés. »

Posté le 18 décembre 2005

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