Un texte d’Olivier Auber, qui propose de
couper le cordon ombilical entre la culture et l’Etat, et de mettre un
terme au culte de l’« Industrie Culturelle » (un bel oxymore : on
devrait plutôt dire l’Industrie Anti-culturelle).
La licence n’est pas mentionnée mais le texte est « sous copyleft »,
librement modifiable et rediffusable.
Aujourd’hui, il n’est plus question du pouvoir de Rome, mais de celui
quelques multinationales trouvant leurs sièges à Hollywood, Seattle,
Tokyo, Londres ou Paris, qui font un commerce de masse de "produits
culturels" : films, musiques, livres, logiciels et services divers. Le
projet de loi en question entend protéger contre le soi-disant pillage,
par un attirail répressif doublé de systèmes technologiques de contrôle
automatique auquel nul ne pourra échapper, les droits des "auteurs" de
ces produits, ainsi que les "droits voisins", c’est à dire ceux des
marchands du Temple de la Religion en question.
A l’heure où Google propose à ses clients d’acheter l’exclusivité de
n’importe quels mots de n’importe quelle langue, et d’en faire commerce,
que propose cette loi si ce n’est de protéger du pillage les artisans
d’un autre pillage ?Les contenus de ces soi-disant "produits culturels"
ne sont-ils pas que de simples interprétations de pans entiers du
patrimoine mondial, allant des mythes les plus anciens, jusqu’aux
histoires vécues par tout-un-chacun, en passant par les créations les
plus pointues des avant-gardes artistiques, scientifiques ou techniques,
dont les travaux sont siphonnés sans citation aucune, par une cohorte de
réputés auteurs, starifiés ou taillables et corvéables à merci - c’est
selon - pour en extraire des sortes de nouveautés amnésiques ?
Comment un Culture pourraient-elle vivre durablement sans que chacun
puisse exercer ses facultés, de prendre, de regarder, de modifier et de
transmettre à nouveau ? Dès lors, le pillage de ces produits n’est-il pas
même légitime ? D’ailleurs, ne faut-il pas l’appeler "interprétation",
"détournement" ou "ré appropriation" ? Et ce deuxième pillage n’est-il
pas carrément l’antidote au premier contre sa propre annihilation ?
La Nouvelle Religion ne l’entend pas ainsi. Non seulement, la copie, la
redistribution, la fabrication de logiciels incitant à la copie sont
sévèrement réprimés, mais aussi les logiciels qui permettraient de lire
et d’échanger des "oeuvres éventuellement soumises au droit d’auteur" en
s’affranchissant des fameuses technologies de contrôle automatique, sont
illicites. Fini les logiciels Libres ! Autant dire que dans cette
Religion là, pas question d’avoir droit à son sacrement sans l’aval
direct de Rome. Et si vous avez le malheur de ne pas être passé par le
tiroir caisse, votre hostie sera détruite automatiquement sous vos yeux,
et vous serez tout aussi automatiquement dénoncés aux instances
centrales de répression.
On comprend que la société est à la recherche de croissance économique,
et que la Nouvelle Religion lui serine qu’elle peut seule lui apporter
la rédemption. Mais comment la République peut-elle se prêter à de tels
délires ? Comment peut-elle laisser des mains privées développer de
telles systèmes de contrôle et se proposer de manière zélée pour assurer
les basses oeuvres de répression publique ? Quel aveuglement frappe le
législateur pour qu’il ne voie pas qu’une telle Religion mène tout droit
à la prévarication absolue, à l’oppression accrue des plus faibles et
finalement au délitement social et économique le plus profond ?
Comment la République peut méconnaître qu’il existe beaucoup d’autres
pratiques de création, de diffusion de d’échange culturels fondées sur
la confiance et le partage, et qu’elle s’apprête à les sacrifier sur
l’autel de la Nouvelle Religion de l’Industrie Culturelle ?
Non, députés, ressaisissez-vous, votez aujourd’hui pour "la séparation
de la Culture et de l’Etat". Faites en sorte que la chose publique
garantisse à tous la libre pratique du Culte de son choix ! Que les
Industries Culturelles fassent le projet d’introduire des dispositifs de
contrôle automatique, soit ; qu’elles subissent seules les conséquences
de leurs abus de pouvoir. Ne pénalisez pas ceux qui voudraient vivre,
créer et échanger dans l’esprit de liberté qui est à la source de la
République ! »