Le financement participatif au service de la démocratie : entretien avec Téo Ferraz Benjamin

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Alors que la démocratie brésilienne est en pleine crise de confiance, un candidat aux élections municipales de Rio de Janeiro finance sa campagne électorale en faisant appel aux donations des citoyens. Une campagne inclusive et transparente qui a été portée par deux experts du crowdfunding au Brésil : Felipe Caruso et Téo Ferraz Benjamin. Nous avons rencontré ce dernier à Colaboramerica pour comprendre comment le financement participatif pouvait servir les valeurs de la démocratie.

Pourquoi faire une campagne de crowdfunding afin de financer une campagne électorale ?

Téo Ferraz Benjamin

Téo Ferraz Benjamin à Colaboramerica

Téo Benjamin  : Depuis 2015, une loi au Brésil interdit tout parti politique de recevoir des financements d’entreprises. Cette loi a d’ailleurs été initiée par le PSOL, (Partido Socialismo e Liberdade), le parti de Marcelo Freixo. L’objectif était de lutter contre la corruption, qui est très forte dans notre pays. D’ailleurs en ce moment, le Brésil vit son plus gros scandale de corruption à travers l’affaire Pétrobras, l’illustration parfaite de la corruption en politique. Les élections municipales de septembre dernier ont été comme un premier test pour cette nouvelle loi. Seul les individus, les citoyens, pouvaient donner de l’argent aux candidats. Nous avons décidé avec mon partenaire Felipe Caruso de penser cette campagne de financement en utilisant les codes du crowdfunding que nous connaissons bien.

Quels ont été les résultats ?

TB  : Nous avons récolté 1,8 millions de réaux ce qui en fait la campagne de crowdfunding la plus importante jamais réalisée au Brésil : 14 000 personnes ont contribué et 17 600 dons ont été réalisés. Plus de la moitié de l’argent récolté dans tout le Brésil pour ces élections municipales était pour notre candidat et un tiers de nos contributeurs vivent en dehors de Rio. Marcelo Freixo porte des idées progressistes et cette campagne était un symbole dans tout le Brésil.

Les donateurs n’ont pas reçu de contrepartie, comme dans une campagne de crowdfunding classique. Pourquoi alors parler de « crowdfunding »  ?

TB  : Si on se risque à une typologie du crowdunfing, on en distinguerait 4 types : l’equity crowdfunding, le prêt, le financement basé sur la rétribution et enfin le don. On rentre dans cette dernière catégorie.

La question à se poser surtout c’est « quand est-ce que le crowdfunding s’arrête d’être « crowd ? »

Par exemple, si tu déposes un projet sur la plateforme Kickstarter et que tu récoltes 200 000 dollars de dix personnes, est-ce que l’on considère ça comme du crowdfunding ? Pour nous non, ce n’en est pas. Il faut que plus de 80% des donations soient en dessous de la somme moyenne du don.

Un autre candidat à la mairie de Rio a récolté 7 millions de réaux mais cette somme n’a pas été levée grâce au nombre. En effet, les contributeurs de cette campagne ont donné en moyenne 20 000 réaux. Les montants récoltés s’élèvent jusqu’à 200 000 réaux pour certains donateurs : des PDG d’entreprises, des investisseurs… On ne peut pas alors parler de crowdfunding.

Comment expliques-tu le succès « citoyen » de cette campagne de financement ?

TB : Tout d’abord cette campagne s’adressait aux gens qui avaient déjà des convictions très fortes et qui allaient voter pour Freixo Des personnes qui comprenaient l’importance de le soutenir financièrement. Cela nous a permis d’être le plus efficace possible. Mais surtout, nous avons créé cette campagne avec mon associé en pensant que chaque donateur, chaque individu qui allait donner, peu importe la somme, était tout aussi important que le candidat lui-même. Les brésiliens ne sont pas si naïfs que ce que l’on pense, ils savent très bien que nos politiciens aujourd’hui ne les écoutent plus et cherchent uniquement à se maintenir au pouvoir. Je pense qu’avec cette campagne, les citoyens se sont sentis vraiment écoutés et respectés. Et ça, ça a été une grande partie de notre succès.

Marcelo Freixo en campagne, crédit Midia Ninja

Marcelo Freixo en campagne, crédit Midia Ninja

Quels conseils donnerais-tu à une équipe qui souhaite lancer une campagne similaire ?

TB : Notre premier conseil est de commencer la campagne de crowdfunding le plus tôt possible ! En tout nous avons eu 65 jours, et c’était court. Il faut tout planifier en amont et construire sa communauté. On a été chanceux car le candidat Marcelo Freixo avait déjà rassemblé une belle communauté au fil des années. Il a construit son programme de manière très collaborative, à travers plus de 70 rencontres citoyennes, avec des acteurs de la ville de Rio. Donc disons que la graine était déjà plantée et il n’y avait plus qu’à la faire pousser. C’est plus facile lorsque ce mode de financement est en cohérence avec les valeurs du candidat.

Ensuite, il faut s’astreindre à une transparence totale et expliquer au fur et à mesure à quoi va servir l’argent récolté. Par exemple : « on a besoin de tant d’argent pour imprimer de nouveaux flyers », « on a besoin de telle somme pour un meeting sur une place publique », « ce montant va servir pour un déplacement dans un quartier reculé de Rio » etc.

Cette transparence est vitale pour la réputation de la campagne de crowdfunding et pour le candidat lui-même.

Enfin la plateforme, comme toute autre plateforme de crowdfunding, doit être « sexy » : à la fois ergonomique et attractive par l’histoire qu’on y raconte.

En quoi cette campagne de crowdfunding est porteuse d’espoir pour la démocratie au Brésil ?

TB  : Cette campagne était un test mené par la Cour Suprême, sans garantie de reconduction. Néanmoins, cette campagne de financement participatif a créé un précédent. Il y a un début d’adoption par les citoyens et si une prochaine campagne est lancée, elle sera prise au sérieux.

Pour encourager la diffusion de cette pratique en politique, il est de notre devoir de communiquer sur nos bonnes pratiques et sur la manière dont elle a crée un cercle vertueux de confiance entre le candidat et les électeurs.

Ce n’était qu’un début.

 

Éditée par Hélène Vuaroqueaux

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Via un article de Marlène Haberard, publié le 3 janvier 2017

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