Conférence Biblidroit ou Droit et bibliothèques. Le point sur…

meltedplasticQuel accès aux livres peut accorder une bibliothèque à son public après les récentes décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), l’une sur les livres indisponibles, l’autre sur le prêt des livres numériques ? Telles étaient les premiers points abordés lors d’une conférence, le 13 décembre 2016.

Soyons clairs, la loi de 2012 sur les livres indisponibles, sur laquelle s’était prononcée la CJUE, avait été instaurée en France pour permettre une exploitation commerciale de livres du XXe siècle publiés en France qui n’étaient plus « disponibles », « épuisés », disait-on. Cette loi ne concernerait qu’une bibliothèque qui voudrait assurer une activité éditoriale de livres, qu’ils appartiennent ou non à son fonds, la propriété matérielle du livre ne lui donnant pas de droits particuliers[1]. En revanche, ce sont dans les fonds des bibliothèques que l’on trouve bon nombre de ces livres qui ne sont plus commercialisés. À quelles conditions peuvent-elles disposer de ces nouveaux accès, par les voies numériques, aux livres de leurs fonds ? L’IABD, en son temps, s’y était intéressée.

Bien qu’indirectement touchées, lors de la conférence, les critères définis dans différents pays pour instaurer des licences collectives autorisant les usages d’œuvres ont été longuement présentées. De la loi française sur les livres indisponibles bien très proche des « licences collectives étendues » adoptées depuis longtemps par les pays scandinaves, la CJUE retient que les ayants droit concernés n’étaient pas informés individuellement. Toutefois si la notification doit être « effective et individuelle », une réponse de ces deniers ne s’impose pas. La CJUE valide ainsi le principe de l’opt-out ou « qui ne dit mot consent ». C’est cette notification individuelle seule qui fait l’objet de critiques de la CJUE et non les autres dispositifs de la loi.

Sa décision qui fait néanmoins jurisprudence sera transposée dans tout autre contentieux sur ce sujet, et remettrait en cause les systèmes de licences collectives étendues existantes et des projets de numérisation de masse dans plusieurs projets européens. Aujourd’hui, le système ReLire est en suspens, en attente d’une décision du Conseil d’État, puis peut-être d’une modification de la loi.

En novembre 2016, la CJUE avait également pris un arrêt, concernant directement, cette fois-ci, les bibliothèques puisqu’il s’agissait du prêt public de livres numériques. Elle y reconnaissait que les conditions du prêt public des livres sur support papier étaient transposables aux livres numériques. Les bibliothèques néerlandaises, parties à ce procès, pourront revendiquer une application de ce système pour leurs livres numériques pour une copie, à partir de sources licites, sur le serveur de la bibliothèque et une copie temporaire en téléchargement sur l’ordinateur de leurs usagers sur le modèle « une copie, un utilisateur ».

Peut-on appliquer en France cette décision et se passer du PNB pour le prêt de livres numériques  ? Non, quoi qu’il en soit, pour tout prêt simultané d’un ouvrage numérique. Non, même pour un prêt unique car, pour ceci, il faudrait modifier la loi de 2003 sur le prêt public de livres papier alors que la décision de la CJUE qui n’est pas « d’application directe » ne s’impose pas, la licence légale pour le prêt public n’étant qu’une faculté offerte par la directive européenne de 2006 et non une obligation. Rien n’empêche, en revanche, de revendiquer en France une extension de la loi de 2003 et l’État français de l’aménager dans son dispositif. Alors PNB, soit accord contractuel collectif, ou licence légale organisant le prêt pour tous les ouvrages en échange d’une rémunération forfaitaire fixée par l’État ? La licence légale a toujours été privilégiée par les bibliothèques. Attention toutefois, le modèle PNB, ou alors l’autorisation expresse du titulaire de droit, sera toujours de mise pour tout prêt simultané d’un livre numérique.

Un inventaire des exceptions au droit d’auteur concernant plus ou moins directement les bibliothèques 

Depuis 2006, année de transposition d’une directive sur le droit d’auteur, figure dans l’article L 122-5 du Code de la propriété intellectuelle une exception autorisant la copie des œuvres à des fins de conservation, ce qui ne souffre pas de discussion pour les œuvres « anciennes, fragiles ou rares ». Qu’en est-il, en revanche, lorsqu’il s’agit de permettre la consultation en grand nombre et d’éviter une usure prématurée, comme l’avait admis la CJUE dans un procès qui opposait en Allemagne une bibliothèque universitaire à un éditeur  ? Les bibliothèques pourraient être tentées d’acheter moins d’exemplaires d’une œuvre et porter ainsi « atteinte à son exploitation normale », l’un des éléments du triple test que toute exception au droit d’auteur doit respecter. La bibliothèque allemande respectait le principe « une œuvre, une consultation », principe que l’on ne trouve pas dans la loi française. Quant à la copie par son public, elle doit respecter, Allemagne ou France, les conditions de la copie privée, notamment faire l’objet d’une compensation équitable.

On note aussi une exception au bénéfice des personnes handicapées, révisée récemment en France par la loi Liberté de création, une exception organisée par le code du Patrimoine pour exercer des missions de dépôt légal et une exception pour l’enseignement et la recherche permettant à des bibliothèques universitaires d’alimenter des espaces numériques de travail (ENT).

En revanche, la copie privée accordée à leurs usagers, autorisée pour l’usage privé du copiste, interroge les bibliothèques : l’usage exclusif du copiste ne couvre-t-elle que des fins exclusivement non professionnelles ? Si l’usager de la bibliothèque utilise sa clé USB, le copiste n’est pas le bénéficiaire de la copie,… Mais l’arrêt Padawan de la CJUE n’a-t-il pas mis fin à l’obligation d’identité entre le propriétaire du matériel de copie et le bénéficiaire de la copie ? Ce qui compte serait l’usage, les fins personnelles et non le dispositif ayant permis la copie. Cette exception passerait-elle le test des 3 étapes  ? L’insécurité juridique pour les bibliothèques reste forte. L’Europe va réviser prochainement le droit d’auteur, ce qui sera l’occasion (ou non) de clarifier certains dispositions.

Qui a les droits sur les fichiers numériques, résultat de la numérisation des œuvres, et ainsi un droit contrôle sur l’accès aux œuvres ?

La question est importante. Si la numérisation ne fait pas naître de droit d’auteur sur l’œuvre numérisée et si l’information, la donnée, en dehors de l’information secrète, peut être partagée, droit des bases de données, droit des données personnelles, droit des données publiques, etc. des droits peuvent être revendiqués sur les données, brutes ou enrichies, les métadonnées, les fichiers, … Il n’est pas anodin non plus que la législation européenne parle à présent plus souvent aujourd’hui de « contenus numériques » que d’œuvres. Certes, mais dans la directive européenne sur les bases de données de 1996, l’œuvre était déjà qualifiée de donnée.

Le pouvoir de contrôle passerait-il ainsi des personnes qui ont des droits sur les contenus, qui peuvent être des œuvres, à celles qui détiennent les clefs de l’accès au contenu ? Et d’évoquer la « théorie de l’épuisement des droits », une fois le support physique de l’œuvre mise en vente avec l’autorisation de l’auteur, qui empêche celui-ci de s’opposer à toute revente successive du support, théorie qui pourrait s’appliquer aux œuvres sur support numérique comme l’indiquerait la CJUE dans son arrêt USedsoft du 3 juillet 2012. Celui-ci, portait sur le logiciel, qui a un statut particulier en droit d’auteur mais l’arrêt VOB sur le prêt numérique, évoqué à l’instant, n’a-t-il pas la même signification ? La règle de l’épuisement du droit redonne du poids au propriétaire du support, ce qui est loin d’être anodin en droit d’auteur où le propriétaire du support, en dehors de très rares cas, ne dispose pas de droits d’auteur. Pour poursuivre sur la même idée, « commenter un contenu permettrait-il d’être propriétaire du contenu » ? A suivre et poursuivre…

Les bibliothèques face aux œuvres du domaine public

Une fois dans le domaine public, sous réserve du respect du droit moral, une œuvre peut être librement réutilisée par tous. Une bibliothèque dont le fonds contiendrait une œuvre dont l’auteur serait mort depuis plus de 70 ans devrait autoriser toute réutilisation de cette œuvre. Apposer une mention de Copyright ne serait que la revendication de la propriété matérielle. Or, la propriété matérielle ne permet pas de revendiquer de droits d’auteur et la numérisation, simple acte technique sans « originalité », non plus.

Alors, certes, la conservation et la numérisation ont un coût. De la réservation totale à l’incitation à la réutilisation, les pratiques des bibliothèques sont très variées. Si l’œuvre est une donnée, selon certaines définitions, l’investissement dans les images des collections permettrait de revendiquer un droit en que producteur de la base et s’opposer à toute « extraction substantielle » de la base si l’œuvre elle-même n’est plus protégée.

Certaines bibliothèques se réservent des droits par contrat et interdisent, par exemple, tout usage commercial. Elles peuvent s’appuyer sur la loi de 2015 sur la réutilisation des informations du secteur public pour autoriser, moyennant redevance, une réutilisation commerciale. Attention ! Si une bibliothèque fait ce choix, la redevance doit rester « raisonnable » et l’exclusivité accordée à ceux qui financent la numérisation, ne durer – plus, certes, que pour d’autres « données » – que quelques années.

« Domaine public réservé, monnayé, libéré » : les messages sont « contradictoires », tout comme la législation appliquée aux bibliothèques. Au niveau européen, le Comité des Sages préconisait pourtant un large accès aux œuvres numérisées même pour des usages commerciaux. Oui, mais la définition positive du domaine public qu’entendait donner le projet de loi pour une République numérique aurait été en contradiction avec l’exploitation du domaine public autorisée par la loi sur la réutilisation des données publiques. Le domaine public reste défini en creux pour plus de « plasticité ».

A titre d’exemple, les contrats de la Bnf

Des conditions particulières accordées par la loi de 2015 aux partenaires de bibliothèques finançant la numérisation du patrimoine… C’est ce sur quoi reposent les accords de partenariat de la BnF pour donner naissance à des produits innovants mais aussi à de nouveaux modes d’accès aux collections pour le grand public. L’impératif est de rentabiliser les investissements de l’État (ici les investissements d’avenir) pour des projets qui doivent s’autofinancer à long terme. Rentabilisation aussi pour les partenaires qui, outre la numérisation, investissent dans des plateformes, des supports de lecture, la création de valeur ajoutée, la communication, etc.

Sur le plan juridique, ces sociétés sont propriétaires des fichiers numériques qu’elles ont créés, mais rien ne s’oppose à ce qu’un autre acteur numérise à son tour les œuvres du domaine public au sens du droit d’auteur pour créer d’autres services. L’image de l’œuvre devient un document au sens de la réutilisation des informations du secteur public et l’on on doit distinguer l’accès à l’œuvre et l’accès à un service, …

Valorisation des fonds divulgués

Rappelons que le droit de divulgation est un droit moral qui appartient à l’auteur et qu’il ne peut pas céder et que la valorisation peut représenter une mise en valeur (signalement d’un fonds) ou un accroissement de la valeur (enrichir les éléments d’un fonds). Or, identifier le fonds (créer des données), le « communiquer au public », l’analyser sont des étapes qui ont juridiquement des significations différentes.

La communication au public implique reproduction et représentation de l’œuvre, soit une « exploitation » au sens du droit d’auteur. Il conviendrait de vérifier le statut de chaque élément pour s’assurer que la communication est conforme au droit moral. On ne peut, en effet, faire valoir une exception au droit d’auteur que si l’œuvre est divulguée. Comment valoriser une œuvre non divulguée ? Qui décide que l’œuvre peut être divulguée ou non ? Une œuvre peut avoir été terminée, l’auteur vouloir la divulguer mais n’avoir pas trouvé d’éditeur. Ce droit moral qu’est le droit de divulgation fait-il obstacle à la valorisation ? Peut-on passer outre en tenant compte de l’intérêt culturel des projets de valorisation des fonds ?

On peut se trouver face à une œuvre qui n’a jamais été divulguée par les ayants droit, une œuvre divulguée de manière restreinte (la littérature grise comme les thèses, par exemple), une œuvre publiée mais sans volonté affirmée de la partager, etc. Connaître les circonstances de la transmission aux bibliothèques servira de repère. Mais s’il s’agit de lettres, par exemple, elles sont déposées généralement par le destinataire ou ses ayants droit mais pas par les expéditeurs. La littérature grise représente des situations hétérogènes. Qu’elle diffusion nouvelle pour l’intérêt du public ? Quelle volonté aurait eu l’auteur ?

Y a-t-il « épuisement » du droit de divulgation après un premier usage autorisé par l’auteur ou pour chaque type de diffusion (un pour la diffusion papier, un pour la diffusion numérique, etc.). Pour Cour de cassation, il y a épuisement par le 1er usage qu’en fait l’auteur. Puisque si une œuvre est publiée, même partiellement, le droit divulgation est épuisé, il ne reste plus pour les bibliothèques qu’à tenir compte du droit patrimonial, des licences légales et des exceptions

En revanche, si l’œuvre n’a pas été divulguée, les bibliothèques dépositaires bloquées… ou pas. En droit d’auteur, lorsqu’il s’agit d’une publication posthume non divulguée pendant 70 ans, le propriétaire détient seuls les droits d’auteur pendant 25 ans… sauf s’il y eu refus de divulgation du vivant de l’auteur. Si le refus émane des héritiers, on peut arguer un abus d’usage ou de non usage et demander au TGI de prendre des mesures appropriées, en tenant compte de l’intérêt public mais aussi du respect volonté de l’auteur défunt, soit deux intérêts qui pourraient diverger. Abus de droit ou liberté d’expression ? L’intérêt général serait-il supérieur ? Là aussi une différence doit être établie selon qu’il s’agit de l’auteur qui n’a pas à se justifier ou des héritiers. La volonté de l’auteur n’est pas toujours claire et que faire si rien n’est dit ? Faire valoir l’opt-out alors qu’il n’est pas consacré par la jurisprudence ? S’il y abus, il appartient aux bibliothèques d’apporter la preuve, ce qui peut s’avérer difficile.

On l’aura compris, le dossier est inépuisable…

 A suivre

Ill. Meltedplastic UH Library Sculpture Flickr CC BY NC ND

[1] Sauf, comme l’indique la loi, pour les livres indisponibles conservés dans leur fonds dont « aucun titulaire du droit de reproduction sous une forme imprimée n’a pu être trouvé dans un délai de dix ans à compter de la première autorisation d’exploitation ». Dans ce cas, après un délai de 10 ans et sauf « refus motivé », une bibliothèque pourrait reproduire et diffuser sous une forme numérique, et à leurs seuls « abonnés » les livres indisponibles de leurs fonds sans avoir à payer.

Via un article de Michèle Battisti, publié le 2 janvier 2017

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