Où est la science ?

“On ne répétera jamais assez à quel point l’ignorance des perspectives offertes par les nouvelles sciences empêche les gouvernements européens de proposer des solutions politiques permettant à l’Europe de s’opposer avec succès à la compétition sans cesse accrue des Etats-Unis, de la Chine et de l’Inde.”

Reprise d’un article publié par Internet actu
Dans : Opinions , Enjeux, débats, prospective , Médias , Innovation, R&D - Par Hubert Guillaud le 7/11/2005

(magazine en ligne sous licence Creative Commons)

C’est avec raison que Jean-Paul Baquiast s’animait en juin dernier sur l’ignorance des nouvelles sciences par les gouvernements européens en prenant l’exemple des bioressources et des biocarburants.

Mais comme il le disait lui-même, on pourrait élargir à bien des sujets. Où est la science aujourd’hui ? Qui, dans les grands médias, nous parle des technologies de demain : des nanotechnologies, de la robotique, des biotechnologies - pour ne citer que celles-ci ? La fracture que dénonçait il y a peu Cyril Fiévet entre l’internet et les médias peut allégrement s’élargir à toutes les nouvelles technologies. Problème d’information, de formation... finalement c’est bien à un problème de société que nous renvoit notre ignorance. Citoyens, hommes politiques, qui dispose d’un bagage minimum sur ces questions ? Sans entrer dans le détail technologique, qui en comprend ne serait-ce que les enjeux ? On le voit bien dans la cartographie des controverses qui ont lieux, dans les choix qui sont faits, bien souvent le sujet de l’innovation est une coquille creuse qu’on analyse avec des outils anciens, avec des modèles de compréhension non adaptés.

Dans une intéressante chronique, un éditorialiste du Guardian s’interrogeait : “pourquoi la science dans les médias est si souvent simpliste, ennuyeuse, vaine et si mal expliquée ?” Ben Goldacre remarque que les médias font la part belle à trois types d’articles scientifiques : les histoires idiotes ou paradoxales (l’infidélité est génétique, l’électricité donne des allergies, le chocolat est bon pour la santé...), les histoires qui font peur ou évoquant des dangers disproportionnés aux résultats de recherche (le téléphone mobile provoque le cancer), et enfin les nouvelles percées, les découvertes révolutionnaires qui ne le sont pas toutes. Pire, poursuit le chroniqueur : il n’y a final ! ement pas d’information intéressante dans la plupart de ces histoires “parce que les gens sont sensés ne pas être capable de les comprendre” ...

Parmi les raisons qui poussent à notre manque d’innovation, notre manque de performance industrielle ou en R&D, il faut certainement compter sur l’absence des sciences “modernes” autour de nous : dans la presse nationale, dans les magazines, dans la presse régionale ou locale, dans le débat public. Or, si l’on pense que la technologie innerve toute la société, celle-ci ne peut pas continuer à être reléguée dans des magazines spécialisés et n’être couverte que de manière ancedotique ou superficielle par les autres.

Il faut dire que la manière dont les programmes de R&D se présentent eux-mêmes n’entraîne pas précisément l’adhésion populaire. Trop souvent, ceux-ci se décrivent d’une manière très générique (”e-santé”), disciplinaire (”chimie-environnement”) ou technique (”images et réseaux”), dans tout les cas assez neutre. On peut rationnellement comprendre tout l’intérêt de ces programmes, ou de ces pôles de compétitivité, mais d’ici à susciter la passion...

Ailleurs dans le monde, des grands laboratoires, des institutions publiques, présentent leurs programmes comme des défis à relever : des objectifs mobilisateurs, concrets et stimulants, non seulement pour les partenaires, mais aussi pour la société.

Il manque souvent à nos programmes de recherche et d’innovation l’expression d’une volonté, d’un défi qui permettraiet d’avancer, de donner des horizons. Cyril Fiévet montre ainsi comment Grand Challenge, la course de voitures robotisées organisée par l’agence de recherche de l’armée américaine, est un formidable stimulant pour la recherche technologique de pointe.

Peut-être nous manque-t-il une définition de ce que sont les critères d’un programme mobilisateur... Ca tombe bien, Daniel Kaplan, en comparant l’offre de programmes de R&D dans le monde, a récemment essayé d’en dresser la liste :

  • Etre tourné vers l’avenir ;
  • Stimuler l’imagination, voire susciter du rêve ;
  • Correspondre à des domaines technologiques stratégiques ;
  • Associer par nature plusieurs domaines technologiques, plusieurs types d’acteurs ;
  • S’exprimer au travers d’une application (ou d’un domaine d’application) et non d’une technologie ;
  • Evoquer une image concrète, consensuelle et éminemment désirable ;
  • S’exprimer sous la forme d’un objectif ;
  • Manifester une grande ambition ;
  • Pouvoir donner naissance à des réalisations et des démonstrations assez rapidement, tout en poursuivant un objectif à moyen-long terme.

Je ne sais pas s’il sera facile de changer la façon dont on parle et dont on comprend la science. Il devrait être en tout cas plus facile de donner de l’essor à des programmes mobilisateurs dont les enjeux seront peut-être plus facilement compréhensibles par les médias et les citoyens...

En tout cas, soyons-en certain, il y a là, deux obstacles à lever pour accroître notre désir et notre besoin d’innovation. Ce ne sont pas de grands obstacles, ils ne demandent qu’un petit sursaut d’intelligence.

Hubert Guillaud

Posté le 13 novembre 2005

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