Un articlerepris du Mag numérique
Alexander Pelov est chercheur à Télécom Bretagne. Ou plutôt il l’était, car depuis le 23 mars il est à la tête d’une entreprise. Avec son collègue Laurent Toutain, il a créé Acklio, une startup dédiée aux architectures de réseau radio longue portée pour l’internet des objets. Cette création est la conséquence directe de leurs travaux au sein de LoRa FABian, une initiative destinée à mettre sur pied une plateforme citoyenne de collecte de données qui, en mobilisant un écosystème d’entreprises autour de Rennes Métropole et Télécom Bretagne, se révèle être une rampe de lancement sur le marché de l’internet des objets pour les différents contributeurs.
On parle de plus en plus de LoRa. Qu’est-ce qui favorise l’émergence de cette technologie ?
Alexander Pelov. Si on observe les réseaux sans fil classiques, comme les réseaux cellulaires ou le Wi-Fi, on constate une tendance de fond : ils vont vers toujours plus de débit. Mais, en contrepartie, tout est plus complexe : les circuits, les algorithmes, les protocoles de communication… Au final, ces réseaux coûtent de plus en plus cher et consomment de plus en plus d’énergie.
Mais il existe énormément d’applications où le débit n’est pas nécessaire et où d’autres caractéristiques sont primordiales : une consommation très faible d’énergie, des coûts de communication limités. Typiquement, c’est le monde des objets connectés, dans lequel on voudra qu’un objet soit capable de communiquer pendant 20 ans en étant alimenté par une simple paire de piles triple A. C’est la raison d’être des technologies LPWA, Low Power Wide Area.
Ces technologies ont quelques caractéristiques communes. Elles utilisent les fréquences libres, qui servaient jusque-là à des usages très particuliers comme par exemple commander la porte du garage. Et elles utilisent une bande étroite pour transmettre l’information sur de grandes distances. LoRa permet de communiquer jusqu’à une distance de 15 kilomètres en vue directe.
Mais comme on utilise des fréquences libres, il a fallu mettre en place des règles de cohabitation pour éviter de saturer le spectre : la puissance et la durée d’émission sont limitées. Un objet connecté ne peut émettre qu’au maximum 1% du temps, et une station de base de l’infrastructure 10% du temps. Ce qui, en imaginant une station qui raccorde des dizaines de milliers d’objets, oblige à repenser totalement la manière de communiquer.
Voilà le contexte dans lequel est apparu LoRa, mais aussi d’autres technologies LPWA comme Sigfox, Qowisio et bien d’autres.
LoRa, Sigfox, on oppose souvent ces deux technologies
Ce sont deux approches très différentes. Sigfox a une vision top-down. C’est un opérateur à part entière qui déploie la technologie, l’infrastructure, la gestion des communications et qui offre des forfaits globaux. Il a l’ambition de couvrir toute la planète.
LoRa est plutôt dans une logique bottom-up où chacun peut créer son réseau, sans qu’il y ait besoin d’une infrastructure existante. Avec LoRa, on peut par exemple créer un réseau privé d’une ville intelligente, d’une usine du futur, d’un campus… Un consortium d’industriels, LoRa Alliance, s’est constitué pour structurer l’information autour de la technologie. Il a défini le standard LoRaWAN pour permettre l’interopérabilité.
En dehors de LoRa et Sigfox, il existe un troisième acteur : la 5G. Elle doit arriver en 2020 avec une partie dédiée à la communication LPWA, mais cette fois dans des bandes de fréquences privées et donc sans les contraintes de cohabitation. Aujourd’hui un opérateur télécom se trouve principalement devant deux options : adopter LoRa tout de suite pour occuper le terrain, ou attendre la 5G. En France, Orange et Bouygues Télécom ont fait le choix de déployer des réseaux LoRa.
Une course contre la montre s’est engagée. Chaque technologie essaie de développer son écosystème et de multiplier les déploiements avant 2020. C’est à ce moment-là qu’on fera les comptes. On est bien parti pour les trois solutions cohabitent à terme, chacune ayant ses applications.
Quel a été le rôle de LoRa FABian ?
À l’origine, le projet LoRa FABian est destiné à permettre le partage de données de consommation électrique des foyers. C’est l’association de deux concepts : LoRa pour le transport de l’information et Fab Lab pour le côté prototypage rapide et expérimentation. Avec Télécom Bretagne, plusieurs entreprises ont contribué au projet, notamment Kerlink, Wi6labs, Cityzen Data et TDF.
Au final, nous avons développé un système open source complet qui comprend une carte Arduino, un module d’extension et toutes les couches pour s’intégrer à Internet. Ce qui permet à un Maker d’expérimenter la technologie. Avec un petit workshop d’une heure, n’importe qui peut créer un objet connecté en utilisant la modulation radio LoRa et expérimenter ses propres usages.
Au-delà du projet, des prolongements ?
Au départ, personne ne s’intéressait à nos travaux. Aujourd’hui, nous sommes très sollicités. Le premier effet très direct de LoRa FABian est la création de la startup Acklio. L’idée, c’est d’avoir une vision globale des réseaux LPWA et de l’intégration du réseau dans internet. Aujourd’hui, le développement d’un tel réseau demande beaucoup d’investissement dans des apprentissages spécifiques. Il faut aller vers davantage de standardisation. À terme, nous espérons qu’il sera possible de développer un réseau d’objets connectés aussi simplement que l’on développe une application web aujourd’hui.
LoRa est un concept né en France, Sigfox est une startup française. La France est-elle en avance sur les réseaux pour objets connectés ?
Nous sommes clairement le leader mondial. Et il ne faut pas perdre cette avance technologique. Aujourd’hui, les plus gros équipementiers et opérateurs s’y intéressent de près. Il faut construire au plus vite un écosystème autour de la technologie LoRa par l’ouverture et la standardisation : rendre ces réseaux compréhensibles de n’importe quel développeur. C’est aussi pour cela que nous avons créé Acklio.