Anatomie du développeur – Entretien avec Pâris Chrysos

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J’aime dire que Pâris Chrysos est un geek héllénique et qu’il apporte la sagesse grecque au coeur des bouleversements technologiques. Mais il n’aime pas ce type de classification et préfère rester en dehors de la catégorisation simple. Il n’aime pas non plus les exemples, d’ailleurs. Etrange. Il a écrit un ouvrage qui fait déjà référence, intitulé Les Développeurs aux éditions Fyp. Il y décrit une nouvelle manière d’être au travail, à la production, à la passion, au progrès, tout en même temps. D’après lui, le développeur est une sorte de mutant qui préfigure l’homme complet qui pourrait aller sur Mars et emmèner le monde avec lui.

Pâris Chrysos présentera son ouvrage, avec Arthur de Grave, Georges Amar, Anne-françoise Schmidt et Stefano Zacchiroli, lors d’un événement qui aura lieu à Numa le 1er mars 2016 et pour lequel vous pouvez vous inscrire >> ICI <<

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Bonjour Pâris, qui sont les fameux développeurs dont tu parles dans ton ouvrage ?

rsz_ow7s8wik_400x400Pâris Chrysos. Le statut de developpeur que je propose est en peu différent de la définition classique de l’informaticien ou du codeur que l’on connait habituellement dans les startups ou sociétés de services informatiques. Ce développeur-là est caractérisé par un rapport personnel et direct à une technologie qui modifie fortement le rapport au monde, et notamment les imprimantes 3D, les drones, l’ADN ou autre… Le développeur n’est plus comme les artisans ou les ouvriers du temps passé. Il rêve, il invente, il construit des outils, des environnements, des services ou des modèles économiques. Et ces “productions” vont influencer fortement et modifier les paradigmes et générer des créations qui vont elles mêmes le transformer, et ainsi de suite. C’est une sorte de spirale créative qui ne s’arrête plus, un peu comme les dessins de fractales, bien connus des geeks.

Donc, on pourrait dire que le développeur construit son propre monde ?

P. C. C’est effectivement le titre d’un article qui est paru dans le journal Le Monde intitulé « Voyage sur la planète des développeurs”. Le développeur est une sorte de “couteau suisse” du monde technologique. Le développeur a son emploi alimentaire, son job quotidien, son emploi officiel, mais il a aussi le fameux side project, un projet parallèle, notamment dans le logiciel libre. Cette deuxième piste créative échappe souvent au cadre de l’organisation et de la production classiques. Elle rend compte de la diversité et de la créativité des centres d’intérêts du développeur. Il s’agit là de projets plus aléatoires, pour se faire plaisir, pour découvrir des possibilités nouvelles, des créations qui permettent d’inventer des meilleures solutions à des problèmes déjà connus, ou bien simplement nourrir des aspirations détournée et de nouveaux rêves. C’est en ce sens que l’on peut dire que les développeurs fabriquent aussi leur propre monde.

Les Développeurs - Couverture

En quoi le développeur modifie le rapport à la production classique ?

P. C. D’une part, parmi les développeurs qui produisent et innovent, il y en a qui arrivent à créer des objets et des services qui n’ont rien à voir avec la production prévisible, commandée, la production standardisée. Ils sortent des sentiers battus de la R&D industrielle. Ils échappent au contrôle corporate. Ils développent ainsi une compétition économique interne au marché. D’autre part, par le biais de ces transformations, ces nouveaux outils ont une capacité à transformer le rapport au travail, et ce que l’on ignore souvent, c’est que ces innovations provoquent un transfert ou un manque de compétences. Les développeurs sont aussi ceux qui modifient les méthodes afin de permettre de concevoir des compétences correspondantes.

Peut on dire que le développeur est l’exemple type de perte de la frontière entre la passion et le travail, la recherche et la production ?

P. C. Oui, tout à fait, avec une réserve sur l’utilisation du terme “exemple”, dans le sens qu’il n’y a pas de développeur « exemplaire ». C’est un chemin, une posture, une recherche. C’est pourquoi j’utilise le mot « attitude ». Être développeur, c’est avant tout une attitude vis-à-vis de soi-même, de la technologie, du travail, de ses passions. Ils provoquent une transformation, un processus de redéfinition qui se crée en fonction de sa propre découverte et du potentiel des nouvelles technologies.

Cher Pâris, mais qu’appelles tu donc par ce terme évocateur d’ « économie brumeuse » ?

P. C. La notion d’économie brumeuse signifie que l’économie n’est pas totalement maîtrisable, que cette mutation permanente fait que l’on ignore en grande partie là où se trouve la valeur véritable et nouvelle des technologies. Que peut-on faire avec le big data, au-delà de ce que les entreprises savent déjà faire ? Qui va s’en occuper ? Pour quelle utilité ? Quelle est la valeur d’une imprimante 3D pour l’entreprise ? Telles sont les questions qui se posent. Ainsi, on essaie de clarifier les choses, tout en essayant d’avoir les yeux ouverts sur les nouvelles évolutions technologiques qui arrivent et qui risquent de perturber à nouveau l’ordre qu’on vient à peine d’établir.

On peut résumer les facteurs majeurs de l’économie brumeuse comme :

  1. la maîtrise partielle des produits de masse, dont la conception et la fabrication intègrent ces technologies,
  2. l’évolution imprévisible des acteurs par le développement des compétences liées aux nouvelles technologies.

Il s’agit ici d’une économie à deux dimensions : la dimension exploratoire et la dimension rationalisante. Dans la première dimension, les acteurs économiques entrent dans une démarche exploratoire, ils quittent les hiérarchies pour partager une exploration, car ils se sentent égaux face à l’inconnu et pensent que le collectif favorise la découverte du nouveau. Les BarCamps sont typiquement des formes d’organisation qui correspondent à cette dimension. Dans la deuxième phase, on essaie de rationaliser en temps réel ce que l’on vient de découvrir pour arriver à l’exploîter. Les Forums de soutien de développeurs, qui résolvent les bugs d’une plate-forme correspondent à cette dimension là.

Les développeurs sont un peu les indigènes de l’économie brumeuse

Globalement, les produits technologiques d’aujourd’hui apportent une grande valeur dont on ne connaît qu’une petite partie, la partie rationnalisée. On peut d’ailleurs citer une référence historique évoquée dans mon livre : IBM a commercialisé le PC au début des années 80. Or ce sont Microsoft et Intel qui sont devenus les leaders de ce marché ! Cela illustre bien qu’IBM ignorait en fait le potentiel de son propre produit. C’est le cas aujourd’hui de tout un ensemble de produits technologiques tels que les drones, les imprimantes 3D, etc. qui n’ont pas encore révélé la totalité de leur potentiel.

Les développeurs sont un peu les indigènes de l’économie brumeuse.


Image à la une : HackerThe Preiser Project

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Via un article de Paul Richardet, publié le 23 février 2016

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