Pourquoi le droit autorise déjà l’archivage ouvert de la dernière version soumise par l’auteur et son exploration, et comment préserver cette possibilité

L’article 9 du projet de loi pour une République numérique intitulé Libre accès aux publications scientifiques de la recherche publique, en raison de certaines imprécisions de rédaction, risque de revenir sur les acquis du droit d’auteur pour les chercheurs.

La rédaction actuelle de l’alinéa 1 réduit considérablement les droits des auteurs sur la dernière version soumise et va à l’encontre de tous les textes de la Commission Européenne qui portent sur la version publiée. La mise à disposition d’un article dans une archive ne fait pas concurrence à l’article publié dans un journal ou un ouvrage collectif.

Le principe général du droit d’auteur (Article L111-1, le premier article du titre sur le droit d’auteur du Code de la Propriété Intellectuelle), est de conférer un droit exclusif aux auteurs, dont ils peuvent disposer par la suite par contrat avec des éditeurs : “L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.”

La dernière version soumise par l’auteur (ou preprint) appartient donc bien en droit à l’auteur dès sa création, et peut par conséquent dans l’état actuel du droit déjà être déposée immédiatement en archive ouverte, en même temps qu’elle est envoyée à l’éditeur avec un éventuel contrat autorisant la reproduction de l’article.

Ce sont les contrats de certains éditeurs qui, après la naissance des droits exclusifs attribués aux seuls auteurs, peuvent conduire à diminuer les droits des auteurs, en exigeant une cession exclusive et/ou en imposant un embargo. Ces transferts sont de nature contractuelle et interviennent dans un deuxième temps (la rédaction de l’alinéa 2 du projet de loi permet de les neutraliser).

C’est pourquoi les auteurs ont déjà, dans l’intervalle entre la création et la cession, ou en termes moins juridiques entre l’écriture et l’envoi, le droit de procéder au dépôt immédiat de cette dernière version soumise par l’auteur (comme le proposent l’INRIA et Laurent Romary dans la consultation).

Carine Bernault, Professeur de droit à l’Université de Nantes, s’est exprimée à ce sujet dans la consultation et je partage son interprétation sur le risque introduit par la rédaction actuelle :

“Les délais d’embargo de 12 et 24 mois prévus par le texte sont impératifs : il sera impossible d’y déroger puisque l’article est déclaré d’ordre public.”

La controverse entre certains éditeurs et certains défenseurs des droits des auteurs et de l’accès ouvert porte sur la possibilité et la durée maximale d’un embargo sur la version publiée par l’éditeur (le postprint PDF). La Commission Européenne préconise de limiter la durée des embargos à 6 mois et 12 mois d’ailleurs, au lieu de 12 mois et 24 mois dans le projet. Carine Bernault propose de rajouter “au plus tard” pour éviter d’interdire des dispositions contractuelles qui seraient plus courtes que la loi.

L’article comprend enfin 4 autres points qui soulèvent des difficultés d’application et que j’ai soulignés dans mes contributions à la consultation :

– L’expression “version acceptée” porte à interprétation, il s’agit de la dernière version soumise par l’auteur, celle sur laquelle il dispose encore de droits exclusifs avant contrat avec l’éditeur (proposition de l’INRIA dans la consultation).

– La définition de “recherche financée au moins pour moitié par des fonds publics” (proposition de Marc Lipinski dans la consultation) introduit du flou. Il faut supprimer cette distinction et viser la recherche financé par des fonds publics.

– Le mot “mélanges” vient de la recherche en droit. Il faut ajouter les “ouvrage collectif” pour inclure la recherche effectuée dans d’autres disciplines que le droit, quand elle est publiée sous la forme d’articles dans des livres, et non pas dans des revues.

– La distinction entre SHS et STEM est inapplicable à l’interdisciplinaire, et donc à toute la recherche un peu innovante.

– Enfin, il est indispensable que la loi inclut les données liées à un article, et d’éviter que les contrats des éditeurs ne les enclosent derrière des portails de manière exclusive.

Le dernier point à réintroduire absolument est l’exploration de données et la fouille de textes. Trois solutions permettent de confirmer que cette pratique, une extension du droit de lire, est légale :

– L’introduction d’une exception au droit des producteurs de bases de données pour confirmer que cette pratique ne correspond pas un droit exclusif,

– Le passage des résultats de la recherche financée par les fonds publics sous licence ouverte avec l’ouverture des données issues des subventions publiques,

– L’interdiction des contrats d’éditeurs qui iraient en sens contraire.

Cette troisième et dernière solution peut facilement être obtenue avec l’alinéa 2 du projet de loi.

L’alinéa 2 du projet de loi a une bonne rédaction qui rendraient nuls les contrats qui empêcheraient l’archivage ouvert de la dernière version soumise par l’auteur. Il faut bien veiller à conserver cette disposition, c’est la plus importante.

Une solution complémentaire serait de rendre illégale la cession exclusive, comme proposé par Renaud Fabre – DIST dans la consultation.

Il faut aussi prêter attention à éviter, comme l’Allemagne, qu’elle ne s’applique qu’aux éditeurs nationaux et clarifier la situation des articles rédigés avec des co-auteurs dans des pays tiers et des publications dans des revues de pays tiers.

En conclusion, je recommande aux rédacteurs de la loi de ne pas introduire d’embargo sur la dernière version soumise par l’auteur. Un dépôt immédiat de la dernière version soumise par l’auteur, sur laquelle il ou elle dispose de droits exclusifs avant tout contrat, est permis et nécessaire. Seule la durée d’un éventuel embargo sur la version publiée par l’éditeur est négociable par contrat, et la loi peut en fixer une durée maximale. L’alinéa 2 qui rend les contrats contraires nuls doit être maintenu et étendu aux contrats avec des éditeurs étrangers.

Proposition :

I. Lorsque un écrit scientifique, issu d’une activité de recherche financée par des fonds publics, est publié dans un périodique, un ouvrage paraissant au moins une fois par an, des actes de congrès ou de colloques, un ouvrage collectif ou des recueils de mélanges, son auteur, même en cas de cession exclusive à un éditeur, dispose du droit de mettre à disposition immédiatement et gratuitement sous un format numérique et ouvert, la dernière version soumise de son manuscrit à son éditeur et à l’exclusion du travail de mise en forme qui incombe à ce dernier, et les éventuels jeux de données liées.

« II. – Les dispositions du présent article sont d’ordre public et toute clause contraire à celles-ci est réputée non écrite. Elles s’appliquent aux contrats avec des éditeurs de pays tiers. »

Sciences communes

URL: http://scoms.hypotheses.org/
Via un article de Melanie Dulong de Rosnay, publié le 14 janvier 2016

©© a-brest, article sous licence creative common info