On parle souvent des tiers lieux et des espaces de co-working sans interroger la vision du travail qui leur est associée. C’est pourtant celle de l’entrepreneuriat individuel, avec sous-jacente l’idée d’indépendance et de solution à la crise, dans les discours politiques. « Se mettre à son compte » est ainsi très valorisé, sans pour autant que ne soit examinées les conditions concrètes et l’impact de la création de micro-entreprises.
Et si c’était cette vision d’indépendance esseulée de auto-entrepreneuriat ou celle du micro-entreprenariat caricaturée par Uber et consort qu’il fallait interroger ? Le conflit Uber vs Taxis est emblématique de ce point de vue : d’un côté un système d’entrepreneuriat corporatiste aux méthodes obsolètes et de l’autre les ravages de la microactivité dérégulée… Comment repenser le salariat dans ce contexte ? Comment prendre en compte la micro-activité rémunérée permise par l’émergence de plateformes globales de type Uber ?
Une partie de la réponse se trouve peut-être dans dans des initiatives comme Coopaname issues du mouvement des coopératives d’activités et d’emploi. L’idée est simple, ambitieuse et efficace, telle que présentée par le directeur de CooPaname dans cet article :
Selon nous, loin d’avoir généré de la richesse économique, la promotion de la création d’entreprises de plus en plus petites a davantage suscité le développement d’une forme de précarité sociale rarement mise en lumière. La microscopisation de l’entrepreneuriat, adaptée à des populations de plus en plus éloignées de la création d’entreprises classiques (c’est-à-dire du modèle de la petite PME constituée sous forme de société), a établit une équation cruelle : micro-entreprise + micro-crédit = micro-revenu + micro-protection sociale.
Face à ce processus, des personnes tentent la construction d’un modèle alternatif : la mutuelle de travail. Issue du mouvement des coopératives d’activités et d’emploi, la mutuelle de travail est une entreprise coopérative dans laquelle des professionnels se protègent mutuellement leurs parcours professionnels. Coopaname en région parisienne, mais aussi Vecteur Activités en Isère, constituent ces nouvelles formes d’organisations économiques. En se co-salariant au sein d’une même entreprise qu’ils construisent et gèrent ensemble démocratiquement, les « entrepreneurs-salariés » de la mutuelle de travail se dotent collectivement de ce à quoi ils n’auraient pas accès s’ils étaient entrepreneurs individuels : droit du travail, protection sociale, formation continue, outils financiers, mécanismes de solidarité, opportunités d’affaires. Au travers de la mutuelle de travail, c’est une réflexion sur l’économie qui est mise en pratique : comment réinventer l’entreprise afin qu’elle soit un outil démocratique d’épanouissement, de socialisation, d’émancipation, au service des aspirations de chacun ?
Attention, rien à voir avec un incubateur ou une ferme d’entreprise, rien à voir non plus avec la fameuse flexisécurité récemment concrétisée dans un CDI intérimaire qui est une solution sur mesure pour les filières les plus demandées des agences d’intérim qu’un progrès pour les salariés… Non ici on parle d’accompagnement et de gouvernance partagée.
Coopaname est ouverte à tous ceux qui souhaitent « se mettre à leur compte ». Après avoir assisté à une présentation collective de la Coopérative, nous vous recevons lors d’un ou plusieurs entretiens individuels.
Il n’existe pas de sélection des projets selon des critères de rentabilité économique. Vous rejoignez Coopaname dès que vous vous sentez prêt à commencer et si Coopaname peut effectivement servir votre projet.
Vous bénéficiez d’emblée d’un accompagnement individuel et collectif pour vous aider à mettre votre activité sur les rails. Dès vos premières facturations, vous signez avec Coopaname un CDI et commencez à vous salarier au sein de la Coopérative avec votre propre chiffre d’affaires.
Le salaire que vous vous versez est stable et lissé dans le temps. Il est revu à la hausse chaque fois que nous faisons ensemble le constat d’un développement pérenne de votre activité.
L’accompagnement s’inscrit dans la durée, de même que le développement de votre projet : vous apprenez le métier d’entrepreneur en le pratiquant, avec l’aide et l’appui de l’équipe qui anime la Coopérative et d’autres entrepreneurs-salariés.
Parvenu à un régime de croisière économique, si vous faites le choix de faire durablement de Coopaname le cadre d’exercice de votre métier, vous devenez associé de la Coopérative et entérinez ainsi votre engagement dans cette entreprise collective qui est la vôtre.
Bien entendu, chacun est libre de partir de Coopaname à tout moment, sans rien devoir à personne, notamment pour constituer sa propre entreprise.
Il existe d’autres coopératives de ce type, comme Port paralèlle ou encore Rurban Coop, un annuaire national des CAE est disponible sur ce site. Il existe même un label depuis la loi ESS de 2014 qui reconnait et encourage les bonnes pratiques des CAE.
Pourquoi rapprocher ces démarches des communs ? Parce que ces coopératives appartiennent à la communauté qui les mettent en oeuvre, elles garantissent des services et cherche à mettre en avant le partage et la pérennité des entreprises.
Si l’on s’en tient à l’approche qu’Elinor Ostrom propose des communs, on parle bien d’ensembles de ressources collectivement gouvernées, au moyen d’une structure de gouvernance assurant une distribution des droits entre les partenaires participant au commun (commoners) et visant à l’exploitation ordonnée de la ressource, permettant sa reproduction sur le long terme.
La ressource financière qui est mutualisée permet ainsi de garantir et de négocier des droits (juridique, comptabilité, avocats, mutuelle, etc.) qui n’existent pas ou très difficilement pour les individus. Attention, il ne s’agit pas là d’une formule magique, les entrepreneurs doivent bel et bien trouver des modèles économiques rentables et dégager un salaire pour se payer et pouvoir participer à la coopérative (c’est même un mode caché de sélection des projets). La coopérative prélève un pourcentage du CA de chaque entreprise (environ 10%) et le verse dans un pot commun qui est réinvesti dans la structure.
Les coopératives n’imposent aucune condition quant à la nature des activités qui sont hébergées et accompagnées, les membres de ces coopératives sont aussi bien coiffeurs que graphistes, fleuristes ou développeurs.
Je me demande si ce type de système ne pourrait pas permettre à terme de rendre protectrices les conditions dans lesquels les micro-activités rémunératrices du web s’exercent.
Voilà qui pose nombre de questions : le cumul des activités rémunératrices de l’économie collaborative peut-il constituer une économie pérenne ? Est-ce possible de vivre d’un salaire mensuel en cumulant des revenus issus de la location de ma voiture, de maison, de mes vêtements, des mes outils ? A quelles conditions ? Si Uber ou AirBnB n’ont, comme le rappelle très justement Michel Bauwens, rien à voir avec les communs, des structures issues de l’ESS comme les mutuelles de travail peuvent-elles permettre de réguler les économies locales de services ? Il ne faut ainsi pas confondre la nature des activités proposées et les conditions d’exercices des activités. Je suis convaincu pour ma part que les modes de vies proposées par des AirBnB ou des Ouicar n’ont rien d’une mode et correspondent à de profonds changements sociétaux.
Alors que l’Etat a toujours été incapable de réguler directement l’économie capitaliste, les communs de l’emploi peuvent-ils y contribuer ? N’oublions pas qu’il ne s’agit ni de remplacer l’Etat ni de détruire le capitalisme privé, mais bien de construire une utopie pragmatique… une forme de troisième voie en communs. Dans le cas des mutuelles de travail c’est particulièrement intéressant puisque les programmes d’accompagnement des entrepreneurs qui souhaitent se lancer sont massivement soutenus par de l’argent public et qu’ils sont ensuite libres d’exercer n’importe quelle activité privée. On voit là se dessiner des partenariats-publics-communs-privés tels que les proposent Michel Bauwens depuis quelques années.
Le débat sur le travail digital (digital labor) et l’exploitation des internautes en dehors des structures traditionnelles du salariat se cristallise selon Hubert Guillaud entre deux alternatives : la régulation et l’invention de la gestion des données en communs et la mise en oeuvre, défendue par Antonio Casili notamment, d’une forme de revenu de base. Je pense que ces deux voies sont très importantes et permettraient à coup sûr de résoudre un certain nombre des dérives de l’économie collaborative…
Mais n’y-a-t-il pas une troisième voie à explorer qui permettrait de protéger les cumulards des revenus du travail issu des géants du partage tout en faisant de la valeur produite un commun protecteur au sens des mutuelles du travail ? Ces entrepreneurs-salariés de l’économie collaborative ne pourraient-il pas, une fois regroupés en communautés actives constituer de puissants leviers de transformation des conditions imposées par les multinationales de l’économie collaborative ? Ne nous faut-il pas penser et pratiquer les communs des savoirs et des données en les reliant aux communs de l’emploi ?
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