Le Far West de le justice électronique citoyenne

Reprise d’un article publié par Internet actu
Dans : Opinions/ Usages/ Communication interpersonnelle - Par Hubert Guillaud le 15/09/2005

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Vous vous souvenez certainement de l’histoire de cette jeune Coréenne qui avait refusé de nettoyer les traces du passage de son chien dans un wagon de métro et qui avait subi un véritable lynchage médiatique international parce qu’un passager de la rame avait photographié et publié sur le web les preuves de son incivilité. Vous avez peut-être entendu parler de Thao Nguyen, cette New-Yorkaise qui a photographié, mi-août, un exhibitionniste dans le métro et qui a publié son image sur le site de partage de photo FlickR.com. Dans un effet de viralité certain, là encore, la photo a fait le tour du web et de la presse, déclenchant l’ire internationale à l’encontre de l’exhibitionniste, jusqu’à son arrestation.

On pourrait multiplier les cas de cette tendance à la "Sousveillance", comme le remarque Eric Culnaërt sur l’excellent blog d’Aquitaine Europe Communication. Cyril Fiévet disait récemment, en évoquant l’avenir de la géolocalisation : "Il me semble de plus en plus certain que la crainte d’un Big Brother qui épierait les faits et gestes des citoyens n’émanera pas tant des gouvernements que d’initiatives privées et, surtout, des utilisateurs eux-mêmes."

N’en doutons pas, ces exemples vont se multiplier. Préparez vos pistolets, nous entrons dans le Far West de la justice électronique citoyenne. Nous allons tous devenir des justiciers du net - Robin des bois ou Charles Bronson, c’est selon. Réglant nos problèmes de citoyens, d’administrés, de consommateurs, de voisinage, de couple, à coup de photos et de billets rageurs ! Donnant à des accidents anodins, des erreurs, des problèmes personnels, des petits délits, des incivilités, une audience illimitée. Donnant à notre représentation individuelle du monde une audience globale. Sous une tournure apocalyptique ou angélique, c’est selon (via Affordance). Notre colère comme notre calme, notre sincérité comme notre mauvaise foi, vont se répercuter de sites en sites, sans fin... La rumeur électronique va être tout entière libérée.
C’est pourtant la même rumeur que celle que nous partageons entre deux bavardages, à une table de bistrot avec quelques connaissances. Mais ici, ses traces sont lisibles, son flux est pistable, son contenu est rémanent. Et ça change tout.

Comme le souligne Tama Leaver de Ponderance, si ces pratiques deviennent une tendance et que tous ceux qui font leur justice via FlickR gagnent en crédibilité, le potentiel d’abus de tels système est virtuellement sans limite. Bien sûr, la cause peut sembler juste : personne n’approuve l’exhibitionnisme, ni les crottes de chien. Mais le pilori sur la place du village mondial est-il la sanction adéquate ? Et puis, sommes-nous sûr de ce que nous voyons/lisons/entendons ? Avons-nous toutes les pièces pour juger ?

Qui croire ? Que croire sur l’internet ? Les mots, les images - dont la puissance est encore plus forte - dont nous nous abreuvons sont appelés à devenir toujours plus suspects. Car même si la cause est juste, et même si c’est vrai, il y a sur le web une proportionnalité, un effet de concentration, d’écho ou de boule de neige qui est radicalement différent de celui du monde physique. La blogeoisie commence à en comprendre les règles... Mais les autres ?

Plus que jamais, il va falloir être attentif à nos sources, au contexte, à la façon dont on redistribue l’information. Plus que jamais il va nous falloire apprendre à prendre du recul avec les milliards d’individualités que nous voyons apparaître sur nos écrans. Ce qui est certain, c’est que l’intelligence et le discernement deviennent encore plus nécessaire pour ne pas nous laisser étouffer par l’émotion qui nous prend parfois à la gorge ou la colère salvatrice qui nous monte souvent au nez.

Hubert Guillaud

Posté le 18 septembre 2005

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