Wikipédia au lycée Renoir de Nice

En amont de la conférence "Wikipédia dans l’Education" qui se tiendra le lundi 4 mai à 17h30 au salon Colbert de l’hôtel de ville, voici un exemple d’usage pédagogique de l’encyclopédie collaborative.

Enseignante en lettres au lycée Renoir de l’académie de Nice, Celia Guerrieri partage son expérience de Wikipédia dans le cadre d’un projet pédagogique avec ses élèves de seconde sur la création de l’article « Modernité en poésie ».

L’enseignant et Wikipédia, des relations sous tension

J’entends régulièrement les collègues pester contre Wikipédia, principalement en raison des flots de copier-coller dont les élèves nous inondent et du reproche quant à la fiabilité des contenus de l’encyclopédie. En ce qui me concerne, je serais bien embêtée sans Wikipédia. Quand je prépare un cours, j’ai une page Wikisource ouverte pour avoir les textes que je veux vérifier, et une page Wikipédia ouverte pour avoir les faits que je veux vérifier. Ma préparation en amont a bien entendu inclus des ouvrages papiers spécialisés, mais dans l’élaboration du cours proprement dit, ce savoir savant est déjà « digéré ». Par contre, j’ai toujours besoin d’un point de détail, que je peux ainsi consulter sans guère d’efforts.

La différence n’est-elle pas que l’enseignant fait un recours raisonné à Wikipédia, alors que l’élève imagine de fausses attentes et pense que recopier « quelque chose d’intelligent », peu importe qu’il le comprenne ou pas, lui rapportera une bonne note ? Cela ne relève-t-il pas du travail de l’enseignant que de montrer la différence entre le perroquet savant et l’élève qui va utiliser les savoirs donnés pour les transférer à une situation ou à une pensée personnelle ? Nous reprochons à Wikipédia ce qu’il faut reprocher aux élèves : le mauvais usage d’un outil. Devons-nous alors cacher cette Wikipédia que nous ne saurions voir, ou au contraire leur expliquer comment se servir de l’outil ? Et si l’enseignant prenait plutôt Wikipédia à bras-le-corps pour en faire un support pédagogique ? Si nous n’accompagnons pas nos élèves dans l’usage de ces savoirs pour qu’ils sachent s’en servir intelligemment, qui va le faire ? Cela ne relève-t-il pas de nos missions ? Je crois qu’il ne viendrait à l’idée de personne de nier l’importance d’apprendre à un élève de collège comment se servir d’un dictionnaire. Pourquoi ne le faisons-nous pas pour Wikipédia qui, avouons-le, est beaucoup plus employée que le dictionnaire ?

Ainsi, au-delà de toute démarche pédagogique, ma démarche était une démarche militante : faire de mes élèves non plus des consommateurs de contenus, mais de véritables citoyens numériques qui participent à l’élaboration d’un savoir accessible par tous.

En amont du projet

Tout est parti d’un constat : Wikipédia est sans nul doute la ressource la plus utilisée par les élèves. Or, cette utilisation va souvent de pair avec une très grande méconnaissance de l’outil : qui écrit les articles ? Sont-ils fiables ? Comment les réutiliser dans un travail scolaire ? Quels droits d’auteur existe-t-il pour ces articles ? Assez paradoxalement, les élèves croient fermement aux rumeurs « qu’il y a plein d’erreurs dans les articles de Wikipédia » alors qu’ils recopient aveuglément ce qui s’y trouve, ou bien préfèrent choisir le premier site indiqué par Google sans plus vérifier sa fiabilité.

De plus, la question du transfert et de la réutilisation des connaissances ainsi que de la recherche raisonnée sont des objectifs importants dans ma progression pédagogique. À cela s’ajoute le souhait de valoriser des compétences particulières à certains élèves : qualité d’expression, qualité de recherche, goût pour les activités numériques, goût pour le travail de la mise en page et la recherche esthétique de la forme écrite, etc.

Le projet entre donc dans une démarche pédagogique de différenciation, mais aussi d’éducation au numérique, voire d’initiation au travail de recherche scientifique.

Des objectifs bien définis

faire des recherches documentaires et en exploiter les résultats ;

  • comparer des textes, des documents ;
  • pratiquer l’écriture fonctionnelle et explicative ; évaluer une écriture fonctionnelle et explicative ;
  • utiliser des technologies numériques en rapport avec l’étude de la langue ;
  • développer et poursuivre les réflexions abordées lors de la séquence ;
  • mettre en œuvre les réflexions abordées lors de la séquence ;
  • réfléchir autour des enjeux du numérique, en particulier la question des droits d’auteur et la compréhension de la façon dont l’information est produite et diffusée ;
  • développer une pratique collaborative

Classe, période et moyens

Le projet a été réalisé avec une classe de seconde, sur l’heure d’accompagnement personnalisé hebdomadaire. Le groupe d’élèves participant était composé uniquement d’élèves volontaires qui ont travaillé sur sept séances afin que l’outil soit mieux pris en main. J’ai choisi de ne lancer ce projet qu’en fin d’année scolaire, ce qui m’a permis tout au long de l’année de poser des jalons sur la réflexion du copier-coller, du transfert des savoirs, etc.

Le projet a été réalisé avec Madame Moulon, professeur-documentaliste du lycée Renoir. Toutes les ressources du centres de documentation et d’information (C.D.I.) ont été mises à contribution : documents papiers pour la recherche, ordinateurs pour les recherches et la production, espace de travail pour coordonner les activités des élèves. La communication avec des « Wikipédiens » chevronnés a été essentielle pour fournir de l’aide aux élèves, mais aussi pour les guider dans leur travail et leurs réflexions.

Déroulement des séances

Chaque séance était construite sur le même format :

  • les élèves font part de ce qu’ils ont réalisé via la page historique de l’article pour suivre les dernières modifications ;
  • distribution des nouvelles tâches pour chacun : recherche de sources ; rédaction des informations ; vérification de l’orthographe, la grammaire et la syntaxe ; rédaction dans la syntaxe Wikipédia ; travail de sourçage ; travail de modification en suivant les conseils laissés par la communauté wikipédienne ;
  • échanges du groupe sur les difficultés rencontrées, sur les prochains objectifs à atteindre.

Séance 1 : présentation du projet
Après une brève présentation du projet, les élèves étaient invités à poser des questions sur le fonctionnement de Wikipédia directement aux Wikipédiens présents sur Twitter. L’échange est visible sur cette page : http://storify.com/Celia_Guerrieri/projet-wikipedia-seance-1. À l’issue de cette première séance, cinq élèves se sont portés volontaires pour participer au projet.
Extrait des échanges sur Twitter entre les élèves et des Wikipédiens

Extrait des échanges sur Twitter entre les élèves et des Wikipédiens

Séance 2 : premiers pas
Les élèves ont créé un compte sur Wikipédia, ont présenté le projet sur le Bistro de Wikipédia et poursuivi leur découverte des différents espaces et de la syntaxe wiki. Cela a été suivi d’un entraînement à cette syntaxe particulière de Wikipédia sur un espace de brouillon. Le compte étant commun, les élèves vont donc commencer à devoir travailler ensemble.

Séance 3 : de plus en plus curieux ! s’écria Alice
J’ai proposé aux élèves de sélectionner la page de leur choix et d’effectuer des modifications : soit orthographiques ou syntaxiques, soit des ajouts d’information.
Un élève, plein de confiance en lui, se dirige vers la page sur la Seconde Guerre mondiale. Il en est vite reparti en constatant qu’il n’avait rien de plus à y ajouter. Il s’est à la place orienté vers Dragon Ball Z où il a pu faire un ajout et argumenter de cet ajout. L’objectif de cette activité était de leur faire prendre conscience que Wikipédia, en tant qu’entreprise collaborative, attend une argumentation justifiant de chaque modification. De plus, l’activité leur a permis de prendre conscience de la masse d’informations qui se trouvent déjà dans Wikipédia et de leur fiabilité.

Séance 4 : lancement de la page (ou pas)
J’ai réparti les élèves en deux équipes : une qui s’occupe de créer la page « Modernité en poésie » (l’équipe codeurs), une autre qui commence à débroussailler la bibliographie. L’une des premières étapes était de créer un bandeau indiquant le travail en cours dans le cadre d’un projet pédagogique.

Séances 5 et 6 : à petits pas
Après une première création de page, qui a vite été supprimée par un administrateur car sans contenu, la rédaction de l’article se poursuit petit à petit.

Séance 7 : What a wonderful dream it had been
La dernière heure du projet doit permettre aux élèves de boucler ensemble chacune des quatre parties que les élèves ont envisagées. Non seulement ils sont complètement dans une démarche collaborative, mais ils prennent un vrai plaisir à travailler ensemble. Je n’interviens plus que pour sélectionner les passages pertinents d’un ouvrage long ou lorsqu’ils me demandent mon avis sur une tournure de phrase ou pour évaluer la synthèse qu’ils font d’un extrait. La séance se prolonge en classe entière. J’annonce aux élèves que la séance sera consacrée à une étude autour de la modernité en poésie en nous appuyant sur la page Wikipédia réalisée par les volontaires. Ils ont expliqué à leurs camarades non seulement comment ils ont travaillé, mais aussi ce qu’est la modernité en poésie. Chacun d’entre eux peut dire quelque chose de pertinent sur le sujet.

Bilan

Du côté des élèves
La page elle-même ne présente finalement que peu de contenu, mais la séance en classe a montré que chaque élément était parfaitement compris, acquis et qu’ils étaient capables de le restituer. La difficulté principale était l’acquisition et l’appropriation d’une notion à la fois nouvelle et complexe pour des élèves de seconde. Si, en tant qu’enseignante, je suis très satisfaite du résultat dans ce domaine-là, je ne peux pas occulter le fait que cela a été chronophage pour les élèves. Je considère toutefois qu’il est bien plus intéressant de leur proposer de produire une page sur un sujet qu’ils ne connaissent pas encore : cela a attisé leur curiosité intellectuelle. Sur les savoir-faire, Les élèves ont appris à synthétiser un extrait de document ; à le sourcer correctement ; à écrire une bibliographie ; à comparer des résultats de recherche pour en tirer une synthèse pertinente ; à produire un écrit fonctionnel et explicatif en collaboration et en suivant une problématique ; à utiliser la syntaxe de Wikipédia. De ce point de vue, le bilan est plus que positif. Ces éléments, pour certains fondamentaux pour l’exercice de la dissertation, me semblent révéler à quel point un tel projet serait un atout en aval de la préparation à cet exercice en classe de seconde. De plus, les élèves se sont appropriés le projet et l’ont particulièrement apprécié, comme en a témoigné leur présence constante. La valorisation à travers la séance en classe leur a permis de ressentir de la fierté face aux regards impressionnés de leurs camarades, et je les ai régulièrement entendu dire qu’ils trouvaient formidable d’être les initiateurs de cette page, qui serait prolongée après eux.


Du côté des Wikipédiens
La collaboration avec les Wikipédiens, que cela soit par l’intermédiaire de la page de discussion, du Bistro, ou sur un réseau social, a été précieuse. Leurs conseils étaient avisés et ils m’ont apporté une aide fondamentale, souvent immédiate, dont je les remercie chaleureusement.

Je crois que l’intention du projet a été appréciée par la communauté de Wikipédia. Toutefois, il faut reconnaître que le résultat n’est pas à la hauteur d’une page « finie », ou produite par un utilisateur expert du sujet.

Du côté de l’enseignante
Le résultat produit, fruit de nombreuses heures d’effort, me semble au-delà des attentes que l’on peut avoir envers un élève de seconde, qui plus est sur une notion complexe qu’il ne connaît pas à l’origine. L’importance du travail de synthétisation et de sourçage est un travail essentiel en lettres, que l’on retrouve dans d’autres matières, mais aussi à l’occasion des T.P.E. (travaux personnels encadrés). Or, le projet a véritablement permis aux élèves de prendre conscience de cela et de le pratiquer. Les élèves savaient que le regard bienveillant des Wikipédiens n’était pas loin, et cela les a poussé à respecter autant que possible la charte de l’encyclopédie concernant la synthétisation et le sourçage. Ils ont, là encore, produit un travail de qualité selon moi. Les incidences pédagogiques d’un tel projet sont importantes dans le cadre disciplinaire des lettres, mais elles le dépassent, sans le moindre doute. La dimension collaborative a été très importante lors de ce projet, que cela soit entre les élèves, avec moi ou avec les Wikipédiens. Je considère ce projet comme réussi, et les erreurs et difficultés rencontrées ont été riches d’enseignement : elles ne seront pas reproduites la prochaine fois que je reconduirai ce projet.

Sur les difficultés
La première difficulté a été dans l’élaboration du projet elle-même. Il n’a pas été simple de passer d’une envie pédagogique qui ressemblait fort à un caprice (« Je veux faire un projet Wikipédia ! ») à une mise en œuvre cohérente.
Avec le recul, je considère aussi avoir fait une erreur de « débutante ». Au lieu d’avoir posé en premier les aspects pédagogiques, puis choisi l’outil le plus approprié, j’ai d’abord choisi l’outil. Néanmoins, la richesse pédagogique du projet m’est, pourrions-nous dire, violemment apparue au fur et à mesure, et il s’agit certainement d’un enrichissement pour une reconduite.

Il m’a été nécessaire d’avoir une connaissance au moins sommaire du fonctionnement de l’encyclopédie collaborative pour pouvoir anticiper les difficultés pratiques et pédagogiques et donc envisager la progression. Or, je n’ai pu acquérir cette connaissance que par moi-même : l’enseignant qui souhaiterait se lancer dans un tel projet, s’il ne connaissait pas Wikipédia, devrait accepter qu’il lui faudra se former lui-même, même si la communauté de Wikipédia est d’une aide et d’une disponibilité précieuses.

De cela a découlé une deuxième difficulté car le fonctionnement de Wikipédia repose sur un ensemble de règles strictes (je pense en particulier à celle du sourçage et à celle des critères de pertinence des articles). Si la progression dans le projet initial semblait simple une fois fixée, le cadre temporel d’une heure devenait un obstacle, le sourçage devait s’appuyer sur des ouvrages d’un niveau parfois trop élevé pour les élèves et qui nécessitaient de ma part une « prélecture » pour leur en pointer les passages pertinents et les expliquer, etc. Un tel projet me semble nécessiter deux heures d’affilée.

La troisième difficulté a été mienne. Alors que je croyais avoir l’humilité nécessaire et avoir effectué une véritable transition vers une position « d’enseignant-médiateur », j’ai réalisé que c’était encore une transition inaboutie, accomplie pour certaines activités, mais pas pour toutes. La délégation nécessaire de l’aide apportée à un parrain wikipédien a été un moment important où j’ai dû « lâcher prise ». C’est donc ma position d’enseignante qu’il a fallu réinterroger en cours de projet : je pouvais « lâcher prise » totalement sur certaines activités, mais fondamentalement, je « m’accrochais » encore.

La quatrième difficulté était plus d’ordre pratique. La page était une ébauche, abordant le sujet, afin qu’elle puisse être complétée plus tard. Bien souvent, les ouvrages plus généralistes suffisaient. Mais parfois le fonds papier du C.D.I. m’a semblé insuffisant. L’obstacle a été surmonté en apportant certains des ouvrages que je possède. Deux remédiations me semblent possibles : enrichir le fonds du C.D.I. au préalable, en partenariat avec le professeur-documentaliste ; ou choisir un sujet moins spécialisé.

Une reconduction du projet ?

Il s’agit sans le moindre doute d’un projet que je répéterai. Néanmoins, j’essaierai autant que possible d’y apporter des modifications, pour la plupart tirées des difficultés rencontrées. Le professeur-documentaliste pense soumettre le projet pour qu’il soit reconduit comme projet d’accompagnement personnalisé l’année prochaine.
Je souhaitais donner la plus grande visibilité possible au bilan de mon projet : si d’autres bilans de projets identiques ont existé avant le mien, je n’y ai pas encore eu accès alors que j’en aurais bien eu besoin ; j’aimerais que les enseignants qui souhaitent se lancer puissent bénéficier de mon expérience.

Lire le bilan complet : http://rencontres.wikimedia.fr/wikipedia-au-lycee-renoir/

Article repris du blog de l’association Wikimédia France

Posté le 27 avril 2015 par Gaëlle Fily

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