Un nouvel accord sur les usages pédagogiques et de recherche en France

127381557_d262800814_zL’accord, signé en novembre 2014, n’est pas vraiment récent ; il n’est même pas nouveau puisqu’il s’agit du 5e accord conclu depuis 2006 pour l’utilisation pédagogique de livres, de périodiques et d’œuvres d’art visuel.

L’actualité du droit d’auteur aurait pu nous porter à présenter un sujet bien plus important qu’est la révision de la directive européenne sur le droit d’auteur de 2001. Il n’en reste pas moins que, faire le point sur ce dispositif et son évolution, en ce moment, n’est pas dénué d’intérêt.

L’accord permet d’utiliser des extraits de livres, de partitions, de publications périodiques et des œuvres des arts visuels (ici des images fixes) à des fins d’illustration lors des activités d’enseignement et de recherche[1], soit pour « éclairer ou étayer une discussion, un développement, une argumentation dans le cadre des cours ou des travaux de recherche ».

A propos de la date de l’accord

Signé le 6 novembre 2014, il a été publié au Bulletin officiel du 1er janvier 2015. Sachant qu’il couvre les années 2014 et 2015, en 2014, les établissements d’enseignement ne connaissaient pas les nouvelles conditions définies par cet accord.

Un autre accord porte sur l’utilisation des œuvres musicales, audiovisuelles et cinématographiques. Il avait été renouvelé par tacite reconduction pour la période 2012-2014, nous dit-on. En novembre 2014, même si elle est tacite, on aurait pu indiquer qu’une telle reconduction était faite pour la période 2015-2017. Quelles sont, tout compte fait, les conditions d’utilisation de ces œuvres en 2015 ?

Les nouveautés de l’accord

On rappellera que les photocopies sont couvertes par d’autres accords [2]. On n’évoquera donc pas ce type de diffusion.

  • Une extension de l’exception pédagogique

Comme ceux qui l’ont précédé, l’accord met en œuvre l’exception pédagogique et de recherche de l’article L 122-5 du CPI[3] mais va au-delà en autorisant certains usages des partitions et des œuvres conçues à des fins pédagogiques (OCFP), comme les manuels scolaires, exclues de l’exception, ainsi que des œuvres d’art visuels pour lesquelles « la notion d’extrait est inopérante ». Le paysage de l’exception a toujours été un peu brouillé.

Les fins d’illustration de l’enseignement et de la recherche sont étendues aux « apprenants », notion plus large que celle d’étudiants et d’élèves indiquée dans l’exception, à la formation initiale et continue des enseignants, des chercheurs ainsi que du personnel pédagogique (soit aussi les bibliothécaires, j’imagine) en présence mais aussi à distance. Outre les représentations en classe, lors de conférences, la mise en ligne sur les sites intranet, on a ajouté les espaces numériques de travail (ENT) de ces établissements d’enseignement ou de recherche. Serait-ce parce qu’il s’agit d’extranets ?

  • Une extension des œuvres concernées 

À côté des d’œuvres éditées sur support papier, comme le veut la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la Refondation de l’École de la République, sont désormais (enfin !) aussi englobées dans l’exception les œuvres sur support numérique [4].

Les accords ne portent toutefois toujours que sur des œuvres dont les titulaires de droits d’auteur ont mandaté les sociétés de gestion collective signataires de l’accord (le CFC pour les livres et périodiques, la SEAM pour les partitions et l’AVA pour les images fixes). Pour utiliser une œuvre, il vous incombera donc de consulter le site du CFC afin de s’assurer que les images, les extraits du livre ou du périodique et les illustrations qui les accompagnent sont couverts par l’accord.

  • Une extension de quelques usages

Depuis la loi de 2013, l’exception couvre aussi les sujets d’examens ou de concours organisés dans leur prolongation, une précision qu’il a semblé utile mais qui alourdit le texte de l’exception. Les accords, eux, avaient toujours autorisé de tels usages.

L’exception et l’accord couvrent la diffusion numérique destinée à « un public composé majoritairement d’utilisateurs autorisés directement concernés par l’acte d’enseignement, de formation ou l’activité de recherche nécessitant cette reproduction ou cette représentation », ce qui interdit naturellement toute rediffusion à un tiers. Ce que l’on notera avec intérêt, c’est que « la diffusion peut se faire au moyen d’une messagerie électronique, d’un support amovible (notamment clé USB, CD-Rom ou autre), ou dans le cadre d’une visioconférence.  »

Dispositions diverses (reprises pour la plupart des accords précédents)

Usage non commercial. Les usages ne doivent pas être directement ou indirectement commerciaux. Mais que sont ces usages indirectement commerciaux ? Quel statut pour les formations payantes proposés par les établissements d’enseignement ?

Quelques précisions. Les sujets d’examen dits « sujets zéro », à réaliser en nombre « raisonnable », et dont la durée de diffusion sur Internet est limitée elle aussi. Pour les thèses, « si les œuvres ou extraits d’œuvres ne peuvent pas être extraits, en tant que tels, du document et si l’auteur de la thèse n’a pas conclu, avant la mise en ligne, un contrat d’édition ». Sans entrer dans les détails, les usages sont très limités pour les partitions musicales

Les activités récréatives et ludiques. L’exception ne s’applique pas dans ce cas. Même si l’on perçoit les raisons d’une telle précision, elle m’a toujours laissée perplexe. Les enseignants seraient-ils privés d’humour ? Le jeu ne peut-il pas être sérieux ? L’accord est muet sur la question. Verra-t-on un jour des litiges poindre pour déterminer s’il s’agit d’un usage ludique ou récréatif ?

  • Un élargissement de la notion d’extrait

Les accords autorisent la reprise d’extraits de livres et de périodiques, s’ils sont édités. Mais lorsqu’il s’agit d’une œuvre d’art visuel, c’est l’intégralité de l’œuvre que l’on veut reprendre. L’accord vous y autorise, « par dérogation », si l’œuvre qui vous intéresse figure dans le répertoire du CFC. Mais pour celles-ci on retrouve toujours la limite de 20 œuvres par travail pédagogique ou de recherche, la définition de à 400 x 400 pixels et une résolution limitée à 72 DPI !

L’extrait d’œuvre n’est plus définie par un nombre maximum de pages, mais par une « partie ou fragment d’une œuvre d’ampleur raisonnable et non substituable à la création dans son ensemble ». Une définition pleine de bons sens, qui répond aux attentes de l’IABD [5] mais qui figure dans l’accord et non dans le texte de loi.

On retrouve toutefois le nombre de pages et les pourcentages lorsqu’il s’agit d’œuvres ne relevant pas de l’exception pédagogique, autrement dit les partitions et les OCFP sur support papier pour lesquels l’extrait ne peut excéder 10 % de la pagination de l’ouvrage par travail pédagogique et de recherche … sauf si l’OCFP figure dans le répertoire du CFC auquel cas l’extrait redevient la « partie ou fragment d’une œuvre d’ampleur raisonnable et non substituable à la création dans son ensemble  ». Vous suivez toujours ?

Des usages intégraux, mais dans des cas très limités. C’est le cas notamment de courtes œuvres, telles que des poèmes (l’extrait de sonnets, en effet …).

Autres éléments

Rien de neuf ici. Une compensation est prévue, en l’occurrence une rémunération forfaitaire négociée. Chaque année, au titre des années 2014 et 2015, c’est la somme de 1 700 000 € qui sera versée (1 437 000 euros au CFC et 263 000 euros à l’AVA), à charge de les redistribuer à leurs mandataires. Des garanties sont données par les sociétés de gestion collective contre toute réclamation si, bien sûr, l’usage de l’œuvre par les établissements est conforme, notamment au regard du droit moral.

Les œuvres doivent avoir été acquises licitement par achat, don ou au bénéfice d’un service. Indiquer les sources (l’auteur, le titre de l’œuvre, l’éditeur, sauf …. si l’identification de l’auteur ou de l’œuvre constitue l’objet d’un exercice pédagogique – on y a pensé !), c’est ce qui permet de reverser les droits aux ayants droit concernés. Si cela paraît évident, concrètement, le dispositif est très lourd.

On annonce toujours des formations aux règles du droit d’auteur et des études pour connaître les usages que l’on n’arrive toujours pas à cerner. Et si le contrat n’est conclu que pour 2 ans, c’est pour s’adapter à l’évolution rapide des technologies et des pratiques.

Épilogue 

Pour toutes les œuvres qui ne relèvent pas de l’exception pédagogique, une autorisation expresse des auteurs doit être obtenue… Il peut s’agir de négociations contractuelles faites par l’établissement, d’œuvres sous licences Creative Commons, etc., d’où l’intérêt, on le comprend, d’une étude sur les usages numériques …

Voir aussi  : Nouvel accord sur l’exception pédagogique : quelques avancées, mais un dispositif toujours inadapté, Calimaq, S.I.Lex, 5 janvier 2015

 Ill.Television Escolar. Antonio José Fernandez. Flickr CC BY NC


Notes

[1] Protocole d’accord sur l’utilisation des livres, des œuvres musicales éditées, des publications périodiques et des œuvres des arts visuels à des fins d’illustration des activités d’enseignement et de recherche Sur le site du ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la recherche.

[2] Accord avec le CFC : pour les écoles publiques et privées sous contrat, un accord du 2 juin 2014 (circulaire n° 2014-094 du 18 juillet 2014  et pour les établissements d’enseignement secondaire publics et privés sous contrat, un accord du 17 mars 2004 (circulaire n° 2004-055 du 25 mars 2004. 

[3] Voir L’exception pédagogique. Les nouveaux accords (BOEN n017 du 17 février 2011), bilan, Géraldine Baudart-Alberti, Savoirs CDI, mai 2011

[4] Les œuvres réalisées pour une édition numérique de l’écrit (Orene), autrement dit les œuvres sur support numérique ou en ligne.

[5] Une nouvelle exception au droit d’auteur pour l’enseignement et a recherche ? Paralipomènes, 16 juin 2013

Via un article de Michèle Battisti, publié le 17 mars 2015

©© a-brest, article sous licence creative common info