Le Domaine Public

Lawrence Lessig [1] a publié le texte ci-dessous dans la livraison septembre octobre de Foreign Policy.

Reprise d’un article publié par Citron-Vert, magazine d’information sous contrat Creative Commons
samedi 3 septembre 2005. par Philippe Ladame

Nous livrons ici notre traduction d’un texte dont l’auteur ne devrait pas prendre ombrage ;-)

Dans chaque culture, il y a un domaine public -une zone sans hommes de loi- non soumis aux lois du copyright. A travers l’histoire, cette part de culture a été vitale à la diffusion et au développement de la création. C’est la part qui est cultivée sans la permission de quiconque.
Ce domaine public a toujours co-existé avec un domaine privé -la part de culture qui est possédée et réglementée- cette part qui requiert l’autorisation de quelqu’un d’autre. De par les motivations marchandes qu’il engendre, le domaine privé a lui aussi produit, de par le monde, une extraordinaire richesse culturelle. Il est essentiel à la manière dont les cultures se développent.

Traditionnellement, la loi a tenu ces deux domaines en équilibre. La durée du copyright était relativement courte, et son envergure était essentiellement commerciale. Mais un changement fondamental dans la portée et la nature de la loi de copyright, inspiré par un changement technologique radical, menace maintenant cet équilibre. Les technologies numériques ont rendu facile -beaucoup trop facile- la diffusion sans autorisation de la création issue du domaine privé. Le piratage rôde sur les grands chemins de la technologie numérique. En réaction, des rédacteurs de code (tant législateurs que techniciens) ont créé une gamme d’armes sans précédent (tant légales que techniques) pour combattre les pirates et rendre le contrôle aux ayants droit de la culture. Mais le contrôle que ces armes vont produire est bien plus considérable que tout ce qu’on a pu connaître dans le passé.

Ainsi, par exemple, les Etats-Unis ont augmenté de façon radicale la portée de la réglementation de copyright. Et grâce à l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, les pays riches poussent partout à imposer des restrictions encore plus sévères au reste du monde. Ces mesures légales seront bientôt servies par des technologies extraordinaires qui assureront aux ayants droits de la culture un contrôle presque total sur l’usage de "leur propriété". Tout équilibre entre public et privé sera ainsi perdu. Et la mise en oeuvre (cultivation) de la culture et de la créativité sera alors dictée par ceux qui en revendiquent la propriété.

Il ne fait pas de doute que le piratage soit un problème important - simplement, ce n’est pas l’unique problème. Nos dirigeants ont perdu ce sens d’équilibre. Ils ont été ensorcellés par une vision de la culture qui mesure la beauté en nombre de billets vendus. Un monde où la culture du passé (cultivating the past) requiert l’autorisation du passé ne les trouble apparemment pas. Ils ne peuvent imaginer que la liberté produise quoique ce soit qui vaille.
Le danger reste invisible à la plupart, masqué par l’impératif de la guerre au piratage. Et voilà comment le domaine public mourra peut-être en silence, éteint par l’extrémisme du bon droit, bien avant que beaucoup s’aperçoivent même qu’il n’est plus.

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[1Lawrence Lessig est professeur de droit à l’université de Stanford.

Posté le 4 septembre 2005

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