Un article qui reprend quelques éléments de la politique publique du numérique développée à Brest dans les dernières années et des initiatives d’acteurs à Brest et Rennes, l’auteur de cet article ne s’est pas représenté aux élections municipales de mars 2014
- voir le dossier "communs de la connaissance" de la revue Bibliothèque(s) et le sommaire.
Nos usages du numérique nous confrontent pour la première fois de notre histoire à la gestion de l’abondance. Dupliquer une photo, un morceau de musique, une affiche, diffuser un texte ne prive pas celui qui le détient. Parce que ces pratiques favorisent l’accès et la co-production de connaissance, culture, d’information et de travail en réseau, la ville de Brest développe une politique publique qui favorise l’appropriation par tous des logiciels libres, les droits d’usages élargis, la mise en communs et la mutualisation. Cet article en présente quelques exemples, au cours de 19 années d’élu local, dans une démarche basée sur l’implication des acteurs qui font vivre ces projets, les renouvellent et accompagnée par un service municipal.
La gouvernance contributive au cœur de la politique publique du numérique
Avec le recul de ces années, c’est une gouvernance qui articule le « faire avec » « être en attention », le « donner à voir » et l’ « outillage » qui définit la politique publique.
Les médiations numériques présentes dans 108 points d’accès publics à internet nous ont appris le temps long d’une appropriation par les équipements de quartier, service publics locaux et associations de solidarité. Ce choix du « faire avec » les acteurs locaux fait de centaines de personnes des acteurs d’une politique d’e-inclusion au plus près des habitants.
L’appel à projet annuel (49 projets soutenus en 2023 sur les 50 présentés) nous montre la richesse d’une « attention » aux envies de faire, abondantes autour de nous. Le bilan du laboratoire des usages Marsouin nous a appris que la mise en réseau et l’outillage des acteurs sont aussi importants que le soutien financier apporté.
Les blogs et outils multimédia du numérique permettent de « donner à voir » toutes ces initiatives. Mais écrire, publier ne va pas de soi,des dizaines d’ateliers ont aidé à apprendre à mettre un titre, rédiger une accroche, interviewer et faire ses premiers pas avec l’outil Spip. Au fil des années, tout un réseau de sites s’est développé dans les équipements de quartier, association et services publics avec aujourd’hui 10 sites de la collectivité ouverts en écriture.
L’apprentissage de la coopération et des communs
C’est par le « CD Bureau-libre Free OS » que nous avons appris la coopération et du partage. En trois mois une trentaine de personnes ont créé un CD avec l’essentiel des outils de bureau en logiciel libre. Maquette, graphisme, tutoriaux, installateur, choix des logiciels, nous avons découvert l’efficience d’une coopération ouverte et le plaisir de proposer un outil que l’on invite à copier, diffuser autour de soi sans restriction. Ce projet a été rendu possible par le partenariat avec l’association Infini, puis la Maison du libre qui ont accompagné des centaines de personnes et d’associations dans l’usage des logiciels libres. A l’heure où nous subissons une surveillance massive de nos communications l’existence de myriades de fermes de services locales nous semble une voie pour freiner ces atteintes aux libertés.
Cette expérience de coopération ouverte nous a donné l’idée de wiki-brest, carnets d’écriture sur le vivre ensemble et le patrimoine au pays de Brest inspiré de wikipedia. Parti d’une page vide, l’écriture collaborative s’est développée : récits de vie, journaux de quartier, mémoire associative ou d’événements qui ont marqué la cité, des milliers d’articles ont construit cet espace d’écriture collaborative. Pour permettre le partage et la réutilisation par une licence creative commons, il a fallu expliquer dans des centaines d’ateliers la question largement méconnue des droits d’usages élargi,. A la suite, « Brest ville wikipédia » mené en partenariat avec les acteurs de wikimédia de Rennes diffuse une culture de l’écriture sur wikipedia au pays de Brest.
C’est aussi de l’implication des acteurs des bibliothèques dans cette politique publique du numérique qu’est né le projet de portail des savoirs qui agrège les conférences au pays de Brest.
Le médiablog coopératif, système de publication multimédia qui a permit aux associations et établissements scolaires d’ouvrir des canaux audio vidéo a contribué à cette diffusion d’une culture des droits d’usages élargis. Dès lors que c’était expliqué, la grande majorité des acteurs choisissait une licence creative commons plutôt que le droit d’auteur fermé à la réutilisation.
Les cartes ouvertes participatives ont été l’étape suivante de ce chemin vers une culture du libre et de la coopération telle la carte co-construite avec les habitants à Plouarzel. Pour accompagner ce mouvement où l’agglomération a voté en mars 2010 la mise à disposition d’Open Street Map des données géographiques, la ville a financé le développement d’un logiciel Chimère de carte contributive utilisé aussi dans le projet associatif de cartes ouvertes à Rennes.
Pour que cette question des communs devienne un sujet de débat et d’initiatives la ville a initié en 2009 puis 2011 la quinzaine « Brest en biens communs ». Dans une démarche contributive où chacun apporte son envie de faire, une trentaine d’initiatives sensibilise à une mise en communs qui élargit l’accès aux sciences,la culture, l’information et facilite la mutualisation. Nombre d’acteurs de la réflexion autour des communs en France invités ont contribué à l’émergence du réseau doc@Brest présenté ici.
C’est aussi de ces échanges croisés qu’est née en 2013 « Villes en biens communs ». Forum des usages coopératifs, rencontre des wikis territoriaux, réseau Créatif cette politique publique autour des communs s’est enrichie des croisements aux rencontres d’Autrans, des Rewics (Charleroi), des Roumics (Lille) , Moustic (Montpellier). En Bretagne ces échanges croisés sont nombreux avec Rennes. C’est ainsi que naissent Wiki-Rennes et DOC@Rennes dans le même temps où Brest utilise la Ruche (web social territorial de l’association Bug) et où nous déclinons à Brest les BiblioRemix initiés à Rennes.
Dans cette politique partage et coopération sont reliés. A côté de l’outillage favorisant l’appropriation des outils du libre, la mise en place de deux session annuelles de formation aux pratiques collaboratives « Animacoop » est un élément structurant de cette politique qui élargit les contenus mis en communs. Apprendre à copier, à coopérer n’est pas évident dans une société où nous avons appris à cacher notre copie et où l’organisation en silo et hiérarchisée est la culture majoritaire. Avec le recul, cette formation d’une centaine de personnes aux pratiques collaboratives qui peaufinent leur projet et le comment faire du partage et de la coopération facilitent grandement l’émergence de ces projets.
En quelques mois des dizaines d’acteurs ont appris à coopérer aux fabriques numériques du Tyfab et du Téléfab donnant naissance aux « Fabriques du Ponant » accueillies dans un espace de 1000 m2 dans les locaux du lycée professionnel Vauban. Ce sont aussi ces « Open Bidouille Camp » ou foire à la bidouille où se côtoient acteurs des jardins partagés du « Do It yourself » dont les modes d’emplois sont librement réutilisables.
Dans cette dynamique la place de la collectivité évolue, d’un rôle d’animation et de coordination dans les premiers projets, nous voici à accompagner ces projets de Maison du libre, d’ateliers de fabrication numérique ou de réseau professionnel doc@brest ou de Biblioremix qui ont émergés seuls. Cette perception de l’abondance d’initiatives nous amène aujourd’hui à accompagner ces dynamiques contributives en émergence : c’est par exemple « Bretagne Creative » réseau de l’innovation sociale ouverte en Bretagne et « Pratiques Collaboratives » réseau de la formation au partage et à la coopération.
Michel Briand
- élu au numérique à Brest (1995-2014)
- membre du Conseil National du Numérique
- directeur adjoint de la Formation à Telecom Bretagne