Enseigner avec un MOOC ? Retour d’expérience du Professeur Patrick Zylberman

Patrick Zylberman, professeur d’histoire de la santé, a été l’un des enseignants pionniers des MOOC du Centre Virchow-Villermé. La première session du MOOC : « SRAS une « révolution »de la gouvernance mondiale des épidémies ? » s’est achevée en mai dernier. Nous avons souhaité lui poser quelques questions afin de recueillir des éléments qui ont pu le surprendre ou bien soulever chez lui certaines interrogations. L’implication et le dynamisme des participants ont été grandement appréciés par ce professeur d’histoire de la santé. Il n’en insiste pas moins sur le fait que le MOOC reste un objet pour lequel le terme de « pédagogie » doit encore, à ce jour, être utilisé avec des « guillemets ».

Que retiendrez-vous principalement de ce MOOC ?

Différents éléments. Tout d’abord, le travail collectif que demande un MOOC : une équipe accompagne le professeur, de sa réalisation à son animation. Ensuite, alors qu’au départ je ne pensais pas m’impliquer dans le forum, le sérieux avec lequel les participants ont pris ce MOOC m’a amené àm’y investir.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les participants de ce MOOC et sur les discussions du forum ?

Le public de ce MOOC était un public majoritairement constitué par des professionnels du soin (médecins, infirmières). Ils étaient là pour réfléchir sur leur pratique ou bien pour s’initier à un contenu qu’ils n’avaient pas eu l’occasion d’approfondir. La trentaine de personnes qui ont suivi ce MOOC en entier étaient très impliqués, très actifs sur le forum. Pour moi, l’enseignant doit observer une certaine réserve dans cet espace de discussion qui appartient d’emblée aux participants. Et c’est eux, en effet, qui l’ont démarré puis animé. Je ne suis intervenu que de façon ponctuelle pour répondre àdes questions, corriger des erreurs. L’enseignant n’est pas là pour poser les questions, il est là pour les relancer. Pour prendre une métaphore, je verrais l’enseignant comme un reporter à la télévision : on le voit, certes, mais il n’est là que pour lancer et relancer la conversation. Cela dit, si le professeur était pratiquement absent, nous glisserions alors vers le documentaire.

Vous aviez écrit un article avant le lancement de votre cours : « Le MOOC ou la pédagogie socratique à rude épreuve  ». Est-ce que votre avis a évolué ?

En effet, le point faible du MOOC reste la pédagogie, ou plus précisément la relation pédagogique. Lorsque vous n’avez pas d’étudiants en face à face, vous ne pouvez pas maîtriser cette relation. Par exemple, on ignore tout de qui est derrière l’écran, ce qui n’est pas sans poser un grave problème pour les attestations. Tout cela est encore très artificiel. Le MOOC représente donc un défi au point de vue pédagogique. L’enseignant ne disparaît pas pour autant, même si je suis convaincu que le MOOC a des implications sur son métier lui-même ainsi que sur son rôle de professeur.

Quelque soit le contenu qu’il enseigne, un professeur doté de ce qu’il faut bien appeler une petite dose de « charisme » est absolument nécessaire. Quand j’étais étudiant, il y avait foule aux cours où le professeur était « bon ». Par contre, les amphis étaient vides quand les étudiants s’ennuyaient. Cet aspect humain ne pourra jamais être éliminé.

Est-ce que cet aspect humain sest fait ressentir au cours du MOOC ?

Oui, et c’est une chose qui m’a surpris. L’ambiance a été favorable à la cristallisation d’un réseau, et cela en un temps très court. Deux professionnels du soin, participants assidus, se trouvaient en Guinée-Conakry pendant le MOOC, au cœur de la crise « Ebola ». Le forum de discussion a contribué, je l’espère,àles soutenir psychologiquement. Le MOOC leur a permis de participer à un travail collectif pendant cette période difficile. Nous remarquons donc des effets secondaires positifs de cet enseignement en ligne, effets que bien sûr l’on ne maîtrise pas.

Quelle charge de travail vous a demandé ce MOOC, depuis sa production jusqu’à la délivrance des attestations ?

Je dirais deux mois en tout. Il m’a fallu un mois pour écrire les 100 pages qui constituent le texte de ce MOOC. Pour un cours normal, on prend des notes, on a un diaporama. Ici, l’improvisation est impossible, en raison même de la nécessité de minuter chaque section du cours lors de sa réalisation. J’ai donc dû tout écrire, de A àZ, comme pour un livre. Ensuite il m’a fallu deux semaines pour travailler mes diaporama avec l’équipe de l’INRIA. Pendant le MOOC, je consacrai un jour par semaine pour répondre àquelques questions du forum de discussion et réaliser la synthèse hebdomadaire.

 Quels points pourrait être améliorés pour les prochains MOOC ?

Pour ce MOOC, nous n’avions aucune expérience ; nous avons démarré et vécu tout cela en toute « naïveté ». Si je faisais de nouveau un MOOC, certaines choses seraient très différentes. J’aimerais, par exemple, que mes diapositives soient également diffusées en anglais. La plupart de mes collègues travaillant sur l’histoire de la santé sont anglophones. Si le MOOC repartait pour une nouvelle tournée il serait bien, àmon avis, que le sous-titrage en anglais soit effectif.

J’avais aussi de grandes ambitions pour les exercices. Je souhaitais mettre en place des sorte de jeux de rôle à l’échelle du forum en donnant aux participants des rôles et des interventions àréaliser. On pourrait y repenser à tête reposée, et tenter de faire quelque chose de praticable pour les prochains MOOC.

Un dernier point que j’aimerai soulever est la place des MOOC dans l’enseignement supérieur. En ce moment, les MOOC s’en vont un peu dans tous les sens. Certaines personnes pensent qu’ils vont remplacer les cours magistraux, d’autres pensent qu’ils seront plutôt un instrument pour la formation tout au long de la vie. Il faudrait être plus rigoureux, me semble t-il, et songer à la place du MOOC dans l’enseignement supérieur. Le MOOC ne remplace pas le cours, il ne le remplacera jamais. Alors quelle est, quelle pourrait être sa fonction ?

 

Centre Virchow Wellermé

URL: http://virchowvillerme.eu/
Via un article de Célya Gruson-Daniel, publié le 1er septembre 2014

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