La consommation collaborative : éléments de définition et analyse (2) : Notre définition de la consommation collaborative.

Première partie d’un article repris du site de Collporterre

Depuis le mois d’avril 2013, Collporterreet Telecom Bretagne s’associent pour mener une recherche-action sur les dynamiques territoriales de la consommation collaborative en Bretagne (dyte2co). Soutenu par la Région Bretagne, ce projet d’une durée de 2 ans vise 3 objectifs :

  • Améliorer la compréhension de la consommation collaborative en Bretagne, en réalisant notamment un état des lieux des projets existants.
  • Identifier les enjeux, freins et leviers du développement de la consommation collaborative en Bretagne.
  • Favoriser l’appropriation sociale des dynamiques territoriales de la consommation collaborative en Bretagne.

Après une première année d’exercice, nous avons souhaité partager nos réflexions et analyses, notamment concernant l’aspect de caractérisation et de définition du mouvement.

Nous traiterons ainsi de ces deux aspects dans cet article, dont l’original est publié sur le site du projet :

  • Notre vision de la consommation collaborative.
  • Notre définition de la consommation collaborative.

Quelles définitions de la consommation collaborative ?

Une notion non stabilisée

La notion de consommation collaborative s’est imposé en France au début des années 2010. A cette même période, Anne-sophie Novel et Stéphane Riot ont publié Vive la co-révolution, le premier ouvrage francophone portant sur l’économie du partage. Et la communauté Ouishare – sous l’impulsion d’Antonin Léonard, s’est imposée comme un acteur fédérateur incontournable de l’économie collaborative.

Mais ce terme trouve ses racines aux Etats-Unis ; inventé par Marcus Felson et Joe L. Spaeth en 1978 (Robert, 2014), la consommation collaborative désigne les « événements dans lesquels une ou plusieurs personnes consomment des biens ou des services économiques dans un processus qui consiste à se livrer à des activités communes ».

Par la suite, l’expression fût reprise par le Britannique Ray Algar, un consultant en management qui posait la question du développement de ce mouvement émergent (Algar, 2007). A partir de 2010 et face au développement des services de partage de biens et services en ligne, plusieurs théoriciens de la consommation collaborative enrichissent la littérature sur le sujet.

Il en résulte aujourd’hui une variété de visions et de définitions. Cependant, nous pouvons identifier trois éléments de caractérisation fréquemment invoqués pour qualifier la consommation collaborative :

  • favorise l’usage sur la propriété :
  • repose sur une relation de pair-à-pair.
  • s’appuie sur le web 2.0.

Ainsi, alors que Rachel Botsman [Botsman Rachel, “The sharing economy lacks a shared definition” (21 novembre 2013) ]] définit la consommation collaborative comme « (…) un modèle économique basé sur l’échange, le partage, la location de biens et services privilégiant l’usage sur la propriété », Pascale Hébel parle plutôt de « phénomène de mise en liens des consommateurs entre eux pour consommer [1] ».

Antonin Léonard de son côté présentait en 2010 la consommation collaborative comme « la récente explosion des formes traditionnelles de partage, troc, échange, location ou de don rendue possible par les nouvelles technologies et le web collaboratif ou 2.0. Elle ouvre la voie à de nouvelles possibilités de consommation moins consuméristes et plus consom’actrices… [2].

Les efforts de définition et de délimitation du secteur de la consommation collaborative sont nombreux. Depuis 2012, les études et recherche prospectives sur la consommation collaborative se sont multipliées. Ainsi, depuis 2013 plusieurs enquêtes au niveau national cherchent à analyser les usages de consommation collaborative des français. Parmi celles-ci, on peut notamment citer :

  • Les Français et la pratiques collaboratives Ipsos/ADEME, janvier 2013.
  • Observatoire de la confiance TNS/La Poste, novembre 2013.
  • Etude sur l’économie du partage Opinion Way/Price Minister/La Poste, janvier 2014.
  • Observatoire de l’économie collaborative Ifop pour A Little Market.com, avril 2014.
  • Baromètre BVA 2014 de l’Engagement Durable, juin 2014.

La consommation collaborative est une notion qui tente de cohabiter avec un ensemble de concepts plus ou moins proches, contribuant par là-même à nourrir un certain flou conceptuel. Anne-Sophie Novel, Docteur en économie et journaliste blogueuse, a proposé dans le cadre d’un article une mise en perspective des principales notions utilisées pour qualifier les modèles économiques émergents :

L’économie positive : par opposition à l’économie négative et l’économie neutre, elle « se veut réparatrice de l’environnement tout en générant des profits ».

  • L’économie contributive : défendu par Bernard Stiegler, ce nouveau modèle économique "sera ancré sur le savoir et non plus sur le modèle consumériste" et dans lequel "le contributeur n’est ni simplement un producteur, ni simplement un consommateur".
  • L’économie circulaire, qui selon l’Institut éponyme, « propose [...] de transformer les déchets en matière première réutilisée pour la conception des produits ou pour d’autres utilisations ».
  • L’économie de la fonctionnalité, qui « repose sur la vente de l’usage d’un produit et des services associés plutôt que sur la vente du produit lui même ».
  • L’économie collaborative, qui « valorise l’accès sur la propriété et favorise les échanges pair-à-pair ». Basée sur des communautés de personnes qui partagent, échangent, elle se décline aussi bien dans la production (fablabs, wikispeed, wikihouse, etc.), la connaissance (MOOC, Sésamath, Wikipedia), le financement (crowdfunding ou financement par la foule : Ulule, Goteo, etc.), que la consommation (covoiturage, couchsurfing, AMAP, Airbnb, etc.).
  • L’économie du partage, se définie comme un modèle économique fondé sur le partage de biens ou de services (espaces, compétences, outils etc.).
  • L’économie des biens communs : d’après la définition de Wikipédia, les biens communs correspondent à « l’ensemble des ressources, matérielles ou non, relevant d’une appropriation, d’un usage et d’une exploitation collectifs. Renvoyant à une gouvernance communautaire, ils correspondent à des objets aussi divers que les rivières, le savoir ou le logiciel libre. Ils supposent ainsi qu’un ensemble d’acteurs s’accorde sur les conditions d’accès à la ressource, en organise la maintenance et la préserve ».

Au croisement de logiques d’action et d’économie plurielles, la consommation collaborative embrasse par conséquent des objectifs et des valeurs très diverses, voire parfois contradictoire. Mais nous retiendrons que :

  • l’usage est favorisé par rapport à la propriété grâce notamment à la valorisation du service rendu sur le produit lui-même ;
  • l’allongement du cycle de vie des produits est favorisé grâce au recours à des modes de transfert, de circulation et de partage des produits ;
  • la consommation n’est pas simplement vue comme une démarche individuelle mais collective ;
  • le modèle économique traditionnel qui repose sur la multiplication des intermédiaires entre les producteurs et les consommateurs est remis en question en faveur du pair-à-pair ;
  • les cultures du numérique sont des ressources qui favorisent le déploiement des services de consommation collaborative et leurs usages.

Notre approche de la consommation collaborative

Appréhendée comme un pratique à géométrie variable, nous avons fait le choix de ne pas construire notre étude à partir d’une définition de la consommation collaborative mais plutôt d’un cadre de référence. Nous avons ainsi identifier deux indicateurs de caractérisation des initiatives de consommation collaborative : le lien pair-à-pair et la communauté. Par le croisement de ces deux indicateurs, nous souhaitons caractériser les différentes formes de consommation collaboratives et ainsi contribuer à la définition de cette notion.

Le lien pair-à-pair :

Botsman et Rogers [3] distinguent trois formes organisationnelles de cette mise en relation :

  • Les « product service systems » :

Permet à un ensemble de consommateurs de se partager l’usage d’un bien ou d’un service sans forcément en avoir la propriété ;

  • Les systèmes de redistribution  :

Permet le passage de biens d’une personne les possédant à une personne les recherchant. Cette forme de consommation collaborative s’appuie principalement sur les pratiques de troc, de don ou d’échange de biens d’occasion entre particuliers ;

  • Les styles de vie collaboratifs :

Permet le partage de ressources immatérielles entre particuliers : espace, temps, argent, compétences etc. Cette catégorie comprend par exemple le partage d’espaces de travail, de jardins, de places de stationnement, d’hébergement mais aussi les pratiques de finances participative. Enfin, « dérivés de cette catégorie, on retrouve également les achats groupés directs au producteur car ils nécessitent une collaboration préalable entre un groupe de consommateurs pour conclure un accord avec un agriculteur ou petit producteur (cas des AMAP par exemple) » [5].

La consommation collaborative repose ainsi sur la mise en lien entre deux consommateurs. Très souvent présentée comme un vecteur de lien social, d’interculturalité, d’échanges de savoirs, la consommation collaborative serait un levier de sociabilité. Mais quelle est la nature de ces liens ? En effet, l’usage des services de consommation collaboratives peut générer des liens faibles lorsque les interactions sont limitées à une transaction entre la personne qui propose un service et celle qui y recourt ; mais les liens peuvent se renforcer lorsque la transaction autour du service permet le développement d’autres interactions ou provoquent un engagement dans un projet plus large.

Au regard de la diversité des initiatives de consommation collaborative, et en prenant appui sur la sociologie des réseaux, il nous semble alors intéressant d’interroger les différentes formes de lien pair-à-pair, en prenant en compte la nature du service, la fréquence et la durée du partage, mais aussi la présence ou non d’intermédiaire.

La communauté :

« La consommation collaborative, c’est avant tout des communautés de confiance » indique Edwin Mootoosamy en titre d’un article sur le sujet. Pour échanger, il faut en effet avoir confiance : dans le service, dans le produit, dans la personne qui va répondre à notre demande.

Par ailleurs, de nombreux services nécessitent une masse critique d’utilisateurs pour être fonctionnels. C’est le cas du covoiturage par exemple, mais plus largement de l’ensemble des services de proximité. La consommation collaborative repose dans ce cas sur une communauté d’usagers.

Le terme communauté est largement utilisé dans la littérature portant sur la consommation collaborative. D’un point de vue sociologique, une communauté caractérise un ensemble de personnes qui partagent des jeux d’interactions, des valeurs, des attentes et des croyances, un sens partagé de l’action. Depuis les années 1980, et surtout à partir des années 1990, le développement du numérique et plus précisément d’Internet a contribué au développement et à la diversification des formes de communautés (J. Nicolas, 2014).

Mais les communautés liées à des services de consommation collaborative sont-elles de vraies communautés au sens de groupes de sociabilités, ou sont-elles des communautés beaucoup plus utilitaires ?

Le cabinet Chronos a publié en janvier 2014 une étude intitulée "Les communautés dans la fabrique des services collaboratifs". Y sont distinguées deux grandes formes de communautés :

  • Les communautés dont les modalités de collaboration s’adossent principalement à un support technique de type plateforme numérique, avec un faible niveau d’engagement des membres.
  • Les communautés caractérisées par un fort degré d’interdépendance entre les individus et une participation conséquente.

La communauté nous semble ainsi être un second indicateur pertinent pour caractériser les initiatives de consommation collaborative. Les modalités d’entrée et de sortie, les formes d’implication mais aussi de rétribution sont des caractéristiques qui aiguillerons nos analyses.

Par conséquent, au regard des éléments de caractérisation présentés précédemment, nous posons comme postulats que :

La consommation collaborative ne peut être réduite aux services qui s’appuient sur des plate-formes numériques.

En effet, nos premières analyses des projets et usages bretons nous ont démontré l’importance des pratiques collaboratives non numériques. Interroger la consommation collaborative comme un mouvement numérique nous semblerait par conséquent réducteur et non fidèle à la réalité de son développement. Il nous semble plus pertinent d’analyser la place du numérique au sein des pratiques de consommation collaborative et son effet sur les trajectoires d’usage.

La consommation collaborative ne peut être uniquement définie selon le critère de prédominance de l’usage sur la propriété.

En effet, cet élément de définition n’est pas valable pour tous les projets de consommation collaborative, comme pour les AMAP par exemple. De plus, ce critère nous semble relever davantage des principes de l’économie de la fonctionnalité. Il est toutefois certains que nombreuses initiatives de consommation collaborative permettent dans les faits de privilégier l’accès sur la possession.

L’adresse originale de cet article est http://www.pratiques-collaboratives...

[3Botsman R. and Rogers R., 2011, What’s Mine is Yours. How Collaborative Consumption is Changing The Way We Live, London, Ed Collins.

Via un article de Briand, publié le 10 août 2014

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