Texte publié par La Fing dans le cadre de l’université de printemps 2005
Pierre Musso Professeur à l’Université de Rennes II, co-auteur de Fabriquer le futur, éd Village Mondial, 2005
Aix, le 9 juin 2005 FING
Je présente six réflexions pour introduire nos échanges :
I. Sur les notions utilisées
Avec les notions de « Société d’information », de « Société de connaissance » et « d’innovation » on a souvent à faire à des discours dominants, à des lieux-communs consensuels issus du management, et disons-le idéologiques. Il vaudrait mieux parler soit actuel, pour caractériser la société dans son ensemble de « capitalisme post-fordiste », de « capitalisme informationnel » (Manuel Castells), soit « d’économie des services » ou mieux, avec Dominique Foray, (rapport CAE 2004), « d’Economie Fondée sur le Savoir » dont les traits caractéristiques sont :
- la progression historique des investissements en connaissance (dépenses en éducation, en R&D et en logiciel),
- la montée en puissance des TICs comme instruments de connaissance,
- l’importance des spillovers, c’est-à-dire de l’accès libre à des connaissances, des connaissances partagées et publiques, comme les logiciels libres.
Ces connaissances communes fournissent les éléments des nouvelles inventions, innovations. L’efficience des processus d’innovation est dépendante de ce domaine de connaissances et d’informations « publiques ».
Pour développer « l’Economie fondée sur le savoir », il conviendrait selon Foray, de combiner trois actions : l’investissement en formation et R&D, le développement des TICs et la croissance et le partage des innovations
La polarisation territoriale rend possible leur heureuse combinaison et aussi la qualité organisationnelle permet de réaliser la combinaison de ces trois actions. Exemples : la Silicon Valley ou l’industrie du logiciel en Inde.
II. Sur l’innovation
La question de l’innovation est très vaste et bien complexe, on se limite à la question de la place de l’imagination et de l’imaginaire dans les processus de conception des nouveaux services et produits. Dit autrement, nous ne nous intéressons qu’incidemment à l’innovation de procédé et d’organisation.
Que peut-on entendre par « innovation » ? L’Encyclopedia Universalis en donne un sens large : « tout changement introduit sciemment dans l’économie par un agent quelconque et ayant pour but et résultat une utilisation plus efficiente ou plus satisfaisante des ressources ».
Dès qu’on aborde la problématique de l’innovation, la référence obligée est l’économiste autrichien Joseph Schumpeter (1883-1950) qui introduit le terme en économie et distingue cinq cas d’innovation :
- la fabrication d’un bien nouveau,
- l’introduction d’une nouvelle méthode de production,
- la réalisation d’une nouvelle organisation,
- l’ouverture d’un nouveau débouché,
- la conquête d’une nouvelle source de matières premières ou de produits semi-ouvrés.
C’est le premier sens qui nous intéresse ici, même si dans tous les cas l’innovation signifie « l’exécution de combinaisons nouvelles ». On notera que Schumpeter associe innovation et croissance économique, innovation et entreprise.
Si l’on considère l’histoire simplifiée des formes de l’innovation, on constate que deux approches (datées) de l’innovation perdurent dans les esprits : l’une romantique et l’autre hyper-rationnelle :
1. La première est celle de l’entrepreneur ou du « génie » (modèle Léonard) créateur héroïque et solitaire. Cette vision romantique suscite encore des aventures individuelles (exemple récent des « starts-up » ou des créateurs de Google) et des « concours » (Lépine),
2. Au XXème siècle se sont développés les laboratoires et centre de recherche-développement de grande taille, sortes d’usines de l’innovation liées au modèle fordiste d’entreprise où tout le processus de production est piloté par l’amont. Dans cette organisation, l’innovation est censée être positionnée après « l’invention » (issue de la recherche fondamentale et de la science) et avant le développement et son « insertion » dans la société ou sur le marché. Ce processus linéaire et rationnel qui irait de l’invention à l’utilisateur, via l’innovation, hante toujours les esprits, mais correspond rarement à la réalité, surtout dans une économie de services et de la « connaissance », pilotée par l’aval, c’est-à-dire par le désir et les rêves du consommateur final.
L’innovation est devenue un phénomène collectif, complexe, long, itératif, associant les concepteurs, l’ensemble de l’entreprise, ses partenaires et ses concurrents, les médias et les utilisateurs qui ne sont pas de simples « réceptables », mais qui en deviennent des co-acteurs. Les lieux d’innovation sont désormais des réseaux d’acteurs interagissant, et structurés souvent autour de grands pôles puissants, des pôles d’excellence et de « compétitivité » combinant TICs, compétences, formation, qualité organisationnelle, rassemblant universités, écoles d’art ou de marketing, entreprises, laboratoires, starts-up...
Notre approche de l’innovation se veut intégrative (disons-la une vision holistique). En prolongeant l’idée « d’innovention », néologisme proposé par Lucien Sfez qui contracte invention et innovation, pour éviter la coupure entre science fondatrice (qui invente) et technique servante (qui innove), on pourrait parler de « co-innovention » pour souligner son aspect partagé entre de multiples acteurs (concepteurs, médiateurs, utilisateurs...etc.).
Lorsqu’on célèbre l’innovation, il ne faut jamais oublier que l’essentiel de ses résultats (95% !) demeurent dans les cartons ou dans les vitrines des musées, car l’innovation se heurte non seulement à de multiples résistances, mais souvent « échoue » purement et simplement. L’innovation n’est pas toujours connotée positivement : elle peut aussi faire peur et susciter des rejets. Il faut ajouter que toutes les innovations ne sont pas de même nature, ni de même ampleur. On peut ainsi dresser de nombreuses typologies pour distinguer et hiérarchiser les innovations.
III. Sur le lien R&D et innovation
L’enjeu est aujourd’hui de développer ce que William L. Miller et Langdon Morris ont appelé la « quatrième génération de la R&D » caractéristique de l’entreprise post-fordiste de services centrée sur l’économie immatérielle, l’imaginaire et le knowledge management, et dont un des traits principaux est le développement d’un « new innovation process ».
En effet, Miller et Morris distinguent quatre générations de R&D :
- La première correspond à la création des premiers centres de recherche et développement dans les grandes entreprises, sur le modèle lancé par Edison en 1876, pour imaginer et organiser les développements technologiques qui tiraient l’industrialisation ;
- La deuxième génération correspond à la mise en oeuvre, après la deuxième guerre mondiale, d’une organisation en projets, orientés par les besoins des unités d’affaires, pour gagner en efficacité commerciale ;
- La troisième génération de R&D est liée à l’introduction des méthodes de planification stratégique, de gestion de portefeuilles de projets, et du marketing.
- La quatrième génération de R&D consiste à capitaliser sur ces méthodes, en mettant en place un processus itératif de création et de gestion de connaissances combinant les approches marketing et technologiques, en introduisant l’utilisateur au cœur même du processus d’innovation, et en investissant beaucoup plus de ressources dans la phase amont, lorsque les dépenses sont encore faibles et qu’il est possible d’agir sur les résultats potentiels des projets.
Cette R&D subit une triple exigence :
- remonter vers l’amont du processus pour l’enrichir,
- voir plus loin (prospective) et agir plus vite,
- descendre vers l’utilisateur pour co-produire et co-designer le service
Le défi pour l’entreprise est de passer de l’innovation du produit à l’innovation du procédé, de prendre le processus même d’innovation comme objet d’analyse. Modifier le procédé d’innovation, c’est par exemple, casser la linéarité des processus qui iraient du concept de service au marché, car les processus peuvent être divers ; la forme précède la fonction, déclarait déjà les artistes-industriels du Bauhaus dans les années 1930. Le designer peut susciter l’innovation, comme le montre bien la stratégie d’Apple ou la création de nouveaux modèles dans l’industrie automobile. Le célèbre slogan « Vous en avez rêvé, Sony l’a fait » ne suffit plus, parce qu’il faut anticiper la versatilité du client, et pour cela personnaliser et différencier l’offre. Les montres Swatch sont un bon exemple de fabrication à la fois industrialisée et personnalisée, chacun ayant l’impression de posséder une montre fabriquée sur mesure. Le marketing associé à la R&D, devient une façon d’anticiper, de générer une attente, en transformant un besoin latent en une demande formulable parce qu’une offre nouvelle apparaît.
Comme le souligne Peter Drucker, les fonctions d’innovation et du marketing créent de la valeur, en travaillant directement sur les attentes du client final : « l’entreprise a deux fonctions de base et uniquement ces deux-là, le marketing et l’innovation. Le marketing et l’innovation produisent des résultats, le reste n’est que coûts ».
IV. Sur l’imaginaire dans l’innovation
Traiter de l’imaginaire, c’est travailler de façon indissociable « l’imagerie » des services et des produits nouveaux et les valeurs de l’entreprise. En effet, on constate une interaction entre l’imagerie des services et la culture d’entreprise, les deux s’alimentant. C’est ainsi au carrefour de plusieurs problématiques que se pose la question de l’imaginaire des services et des usages, notamment les représentations de la technique, le discours du management sur « l’entreprise intelligente et créative », la culture propre et l’histoire des centres de recherche, l’offre innovante de services, comme facteur de compétitivité....
Le travail sur « l’imaginaire » positionné en amont du processus, permet d’intégrer les usages et le marché de façon « légère », avant même le développement d’un prototype. A ce stade du processus, les concepts de services sont encore malléables, rectifiables, légers : ultérieurement, les contraintes sont telles que les rectifications deviennent difficiles ou onéreuses. Comme le montrent bien Miller et Morris à propos de « la R&D de 4ème génération », le processus d’innovation demande peu d’investissement matériel à ses débuts, mais beaucoup de créativité et d’imagination ; puis dans un deuxième temps, il se fige car l’investissement de réalisation (en temps et en coût) devient très fort et très contraignant. Il s’agit donc de privilégier le « léger » sur le « lourd » et la créativité sur le développement.
Il faudrait parler en réalité, « des imaginaires » au pluriel. Cet ensemble de discours et d’images participe à la construction progressive de l’imaginaire social d’un service ou d’un produit. Entre le concepteur qui imagine simultanément un usage et un usager potentiels pour son service et le client-utilisateur final qui se l’appropriera éventuellement, il y a une épaisse couche de médiateurs de l’imaginaire social. Mais dès l’origine, il y a souvent un cadre commun de références au concepteur et à l’utilisateur : par exemple, « la société d’information » obligeant chacun à être « branché » et constamment joignable.
D’un côté, en amont, les ingénieurs qui inventent des produits et des techniques, sont des « ingénieurs-sociologues » selon la formule de Michel Callon, dans la mesure où ils pensent les insertions sociales de leur technique, des usages et des usagers virtuels, fictifs, imaginaires.
De l’autre, en aval, chez l’utilisateur, il y a, comme l’a montré Michel de Certeau, « une créativité des gens ordinaires. Une créativité cachée dans un enchevêtrement de ruses silencieuses et subtiles, efficaces, par lesquelles chacun s’invente une manière propre de cheminer à travers la forêt des produits imposés ». L’utilisateur va choisir, s’adapter, « braconner » parmi les possibilités offertes par l’objet technique.
Entre les deux, il y a une multitude de médiations sur lesquelles il est important d’agir pour assurer la structuration sociale et culturelle du service. On peut parler de « foisonnement » d’imaginaires, mais dans un cadre de référence qui est partagé par tous à un moment donné.
V. Sur la redondance des « idées innovantes » dans les divers laboratoires
Les « laboratoires du futur », c’est-à-dire les centres de R&D industriels ou universitaires, qui imaginent des services ou produits nouveaux font souvent référence aux mêmes concepts et ce, de façon récurrente, notamment à partir des idées avancées dans le « saint des saints », le Média Lab du MIT à Boston.
En confrontant de façon itérative et interdisciplinaire, les développements technologiques et les prospectives socio-culturelles, on constate que quelques thématiques pour l’innovation de services sont présentes dans nombre de ces laboratoires « du futur ». Cette redondance des recherches (effet de la veille, du benchmark ou d’un cadre de référence partagé ?) met en évidence la limitation relative des concepts explorés autour de quelques thématiques
Des nouveaux services (dits « intelligents ») sont souvent imaginés aussi par simple agrégation de multiples fonctionnalités en un seul objet. Par exemple le « terminal mobile multimédia » (à la fois agenda, notebook, vidéophone, appareil de photo, assistant personnel combinant téléphone mobile haut débit, localisation GPS, console de jeu, baladeur...etc.) est une sorte de « couteau-suisse électronique », pour reprendre la formule de Serge Tisseron. Il s’agit d’un téléphone mobile-assistant numérique léger et maniable que chacun devrait avoir en permanence avec lui pour être relié à Internet et à toutes les sources d’informations.
Il y a une panoplie d’idées que l’on retrouve dans toute la littérature des laboratoires du futur en matière de TIC, montrant le lien entre l’imagerie de l’innovation et la « ménagerie » des services et produits du futur.
Si les divers laboratoires du futur semblent procéder de manière analogue dans leurs démarche d’innovation en matière de services, pour un même secteur d’activités, c’est sans doute qu’il existe des méthodes, voire des « recettes » applicables au travail sur l’imaginaire. On peut constater qu’il y a une faiblesse manifeste de ces laboratoires à imaginer/créer : c’est bien plus l’imagination reproductrice qui domine, grâce à la veille, au benchmarking et à la fréquentation des mêmes colloques.
VI. Sur les usages et la coproduction avec l’utilisateur
A la différence du processus classique linéaire, qui imagine des services à partir d’une innovation technique, est mis en oeuvre de fait, un co-design, une co-élaboration de représentations : s’il y a convergence et partage de références, le service peut trouver son marché. Cette logique adaptative est à l’opposé du « coup de force » macro-médiatique, pour anticiper, voire « imposer » les usages.
On peut dire en simplifiant, qu’il y a trois stratégies possibles pour rapprocher, voire faire coïncider les deux imaginaires des concepteurs et des utilisateurs :
1. la logique « irradiante » high-tech et techno-push : l’imaginaire est produit unilatéralement par le concepteur qui veut provoquer un environnement favorable à l’accueil du nouveau service ;
2. le « coup de force » où l’offreur cherche à imposer un imaginaire global des services.
3. Une voie intermédiaire faite d’ajustements successifs et d’adaptations, pour mobiliser les clients et les partenaires.
La confrontation et l’ajustement des imaginaires entre concepteurs et utilisateurs s’inscrit dans la durée et dans une dynamique en trois temps de la courbe de vie d’un produit ou service décrits par Victor Scardigli : au lancement correspondent les prophéties et fantasmes (positifs ou négatifs), puis vient le temps des premiers équipements des utilisateurs qui commencent à découvrir les usages, et enfin, le service se diffuse et se produit une acculturation.
L’exemple du développement d’Internet en France, pourrait illustrer ces trois temps de l’insertion sociale du nouveau service :
- le temps des « fantasmes », vers 1993-94 : Internet est alors présenté comme une innovation « américaine », qu’il faut, selon les uns, adopter car il annonce une nouvelle révolution économique et culturelle, ou qu’il faut pour d’autres, rejeter parce qu’il n’est qu’un « gadget ».
- le temps du développement rapide du service, vers 1996-2000 : Internet est un nouvel eldorado, alors fleurissent les « dot.com » et la « nouvelle économie » est annoncée... Mais peu après (mars 2000) les « désillusions » apparaissent avec l’éclatement de la bulle et surtout la quête du « bon modèle économique » d’Internet...
- depuis 2001..., le réalisme s’installe, le temps du développement d’Internet sera plus long qu’annoncé, la « fracture numérique » persiste et le modèle socio-économique sera lent à se stabiliser.
Les imaginaires (et même l’imagerie) d’une innovation ne sont pas stables, mais ils évoluent, passant par des phases de consensus euphorique ou sceptique, d’affrontements et de débats, même passionnels, puis ils se stabilisent avec la diffusion de l’innovation et le développement des appropriations. Il faut toujours « construire » la demande (elle n’est pas donnée) : pour cela il faut créer un désir, une attente et voir comment réagissent les médiateurs de l’opinion publique (les médias ou d’autres acteurs), puis par itérations, adapter le produit ou le service. Désormais, l’offreur doit s’interroger pour savoir ce que la demande peut lui offrir, ce qu’il devra capter et inscrire dans son offre. Autrement dit, il faut analyser et anticiper ce que Toussaint et Mallein nomment « l’offre de la demande », à la fois explicite et surtout implicite. L’imaginaire des clients potentiels, leurs usages, leurs désirs, pour les « écouter » (analyse marketing), les « observer » (analyse des usages) et même les « séduire » (marketing, communication), permet de reformuler l’offre initiale en fonction de leur désir de services. Tout cela nécessite des « détours » sociologiques, ergonomiques, culturels et économiques, autant que technologiques.
Si le processus « techno-push » de type fordiste pouvait sembler linéaire : « une innovation technique = un ou des service(s), = un marché = un retour sur investissement », les process d’innovation contemporains de l’entreprise de services sont indirects et plus riches de savoirs divers, ils supposent des itérations et des médiations multiples et rapides. Il ne s’agit plus de préfigurer une demande, mais de considérer les univers symboliques, culturels, sociaux et économiques de clients ou de « groupes » de clientèles (communautés d’intérêt, groupes, entreprises, organisations, etc.). En ce sens, on peut parler de « l’imaginaire des clients » et non du « client imaginaire » qui servait de fiction (ou de prétexte) dans la logique antérieure d’innovation.
Pour concevoir un service nouveau, ou plutôt un « concept » de service au sens culturel du terme, il est nécessaire de jouer avec des univers symboliques, ce qu’on peut appeler « l’imaginaire » des clients. Voilà pourquoi il est utile de créer des artifices pour tester les concepts de services comme la théâtralisation, les mises en scène ou les clips audiovisuels, etc.
Si le concepteur peut parvenir à réaliser techniquement son rêve, il en va différemment de l’utilisateur dont la logique d’usage est incertaine, faite de tâtonnements (expérimentation, détournement, substitution, ritualisation, etc.) : c’est une logique d’adaptation dynamique, d’où l’intérêt des mises en scène du service innovant dès l’amont du processus d’innovation, nécessaire pour tester sa socialisation.
Pour expliquer ce qu’il nomme « la logique de l’usage », Jacques Perriault note que l’utilisateur anticipe un usage, quand il choisit un produit ou un service et décide de l’acheter. L’usage peut ainsi être conforme à ce que pensait l’inventeur, mais il peut être tout autre. Un équilibre sera progressivement trouvé par itérations successives. In fine, on a donc trois grands types de réactions d’usage : la conformité à ce qu’a prévu l’inventeur, le détournement d’usage ou le rejet pur et simple.
Le consommateur est placé le plus souvent en position de « réaction » à une offre foisonnante par rapport à laquelle il s’ajustera. Il convient donc de construire un désir d’appropriation. « Ce qui a de la valeur est ce qui manque » note Marc Guillaume, et non ce que l’on a.
Pour cela, il est utile de tenir un « discours décalé » sur l’innovation, à commencer par l’invention de « noms » de services qui souvent, précédent le service lui-même, de même que le dessin peut précéder le service. Il ne faut donc pas hésiter à partir des « signes » pour arriver aux objets ou aux fonctions, d’où l’intérêt du travail collectif entre ingénieurs, « marketeurs », artistes et designers. Cela invite à élargir encore l’interdisciplinarité de la démarche d’innovation en associant aux travaux de créativité, des « manipulateurs de signes » dans le processus amont d’innovation. Enfin suivre la « contre-culture » est indispensable, y compris les « critiques » des offres industrielles (associations, internautes, alter-consommateurs), parce que la culture minoritaire est très créative, et qu’elle devient souvent dominante avec le temps. La contre-culture fait partie de la construction maîtrisée d’un imaginaire de l’innovation.
C’est d’une certaine façon revisiter la philosophie fondatrice artistique et industrielle de l’aventure du « Bauhaus » qui rassembla artistes, architectes et pédagogues, en lien étroit avec les fonctions industrielles... Mais désormais il s’agit plutôt de créer des « Bauhaus électroniques », à l’heure post-industrielle des services multimédia, des nanotechnologies et des technobiologies.
Tel est le nouveau processus de l’innovation qui s’esquisse. Il peut être tout à fait rigoureux et maîtrisé, même s’il peut paraître sauvage et fou comparé au laboratoire traditionnel. Mais c’est l’avenir de la R&D, cela ne fait aucun doute. C’est la volonté raisonnée de non-conformisme propre à toute innovention.
Article de Pierre Musso