JD Lasica : “Les médias citoyens sont l’avenir des médias”

D Lasica est cofondateur (avec Marc Canter) du service OurMedia, une plate-forme libre et gratuite permettant à tout internaute de publier en ligne du contenu de toutes natures.
Il est par ailleurs journaliste et consultant et anime plusieurs blogs, notamment New Media Musings, principalement consacré au journalisme participatif, ou Darknet, un blog annonçant la sortie prochaine d’un livre au titre éponyme, consacré au P2P et aux nouveaux médias numériques.

Reprise d’un article publié par Internet actu
Dans : Interviews/ Usages/ Communautés/ Communication interpersonnelle/ Médias/ P2P - Par Cyril Fievet le 28/04/2005

(magazine en ligne sous licence Creative Commons)

InternetActu.net : Un mois après le lancement de OurMedia, quels sont les premiers enseignements que vous en tirez ?

JD Lasica : L’une des principales leçons est qu’il est vraiment impossible de prédire les usages que les gens feront d’une plate-forme ouverte comme OurMedia. Nous nous attendions au fait que les photos numériques deviennent le principal support utilisé et partagé par les gens, simplement parce que les appareils photos numériques sont omniprésents. En fait, ce sont les vidéos amateurs qu’on fait chez soi et le vidéoblogging qui sont pour l’instant - et de loin - le média le plus populaire sur OurMedia. Elles représentent plus de la moitié des 8 000 fichiers postés.

J’avais la responsabilité de définir la taxonomie et les champs des metadonnées, et il était aussi très difficile de prévoir les catégories dans lesquelles les membres de la communauté souhaiteraient publier et partager leurs données. Notre système de catégorisation est encore très rudimentaire mais nous sommes en train de mettre en place des principes qui s’appuient sur les utilisateurs eux-mêmes, pour les encourager à développer et à utiliser leur propre taxonomie, établie collectivement.

Un autre enseignement est que la surveillance du torrent de fichiers vidéo reçus, susceptibles d’entrer en violation du copyright, est un véritable défi. Nous avons choisi une approche de type Wikipedia en utilisant une trentaine de volontaires, dans 10 pays, pour vérifier les contenus et les modérer a posteriori, mais nous avons encore besoin d’aide.

InternetActu.net : Selon vous, quel sera le principal vecteur de popularité d’un service comme OurMedia ? Est-ce plutôt le fait qu’il offre un contenu alternatif, différent de celui proposé par les médias traditionnels, ou s’agit-il plutôt des interactions qu’il parviendra à générer entre les membres de la communauté ?

JD Lasica : Les deux. On voit que les gens sont impatient de prendre part à une conversation sociale plus vaste. Ils sont fatigués du ton condescendant employé par de grandes entreprises impersonnelles qui leur balancent du contenu dans des tuyaux à sens unique. Les blogs leur permettent de devenir une partie intégrante des médias, mais cet effet est quelque peu limité par le fait que publier autre chose que du texte s’avère encore difficile à maîtriser.

Nous sommes en train d’évoluer vers un web enrichi par le multimédia. Les outils favorisant la créativité numérique sont devenus bon marché et suffisamment faciles à utiliser pour que n’importe qui puisse créer un vrai média. Mais le *partage* de ces contenus est encore bien trop difficile. C’est la raison pour laquelle OurMedia ou d’autres initiatives similaires ont un rôle à jouer. Nous voulons rendre la publication “presse-bouton” disponible à quiconque veut partager avec une vaste audience des vidéos, des fichiers audio ou des photos. Nous n’allons donc pas seulement stocker du contenu, mais aussi offrir la bande passante nécessaire et permettre à chacun de préserver à tout jamais le contenu de son travail dans un gigantesque dépôt mondial - le tout gratuitement.

Les vidéoblogueurs et les podcasteurs sont légion à venir chez nous, sans la moindre hésitation, puisqu’ils peuvent économiser en faire des économies de bande passante et toucher un public plus vaste.

Mais notre objectif est d’être davantage qu’un simple dépôt. OurMedia vise aussi à devenir une communauté et un réseau social dans lequel les membres peuvent venir ensemble, discuter technique ou disséquer les contenus, évaluer les travaux de chacun et découvrir les bonnes pratiques. On a aidé les gens à partager leurs travaux avec des outils simples de type “glisser-déposer” et maintenant nous espérons les aider à créer des choses éblouissantes, en leur offrant une vitrine pour des oeuvres diverses réunies au même endroit, mais aussi en leur donnant accès à une base de connaissance potentiellement énorme et partagée.

InternetActu.net : Jusqu’à présent, OurMedia est rendu possible par le travail de volontaires et de bénévoles. Comment envisagez-vous de maintenir le rythme de croissance et la gratuité du service ? Quel pourrait être un modèle économique réaliste pour le projet ?

JD Lasica : Nous sommes en train de constituer un organisme à but non lucratif. Pour parvenir à l’étape suivante et implémenter toutes les fonctionnalités prévues dans le plan d’origine (RSS 2.0, compatibilité BitTorrent, amélioration de la taxonomie et de la recherche indexée, fonctions de type réseau social), nous avons besoin d’être soutenus par des financements institutionnels : subventions de fondations et sponsoring d’entreprises. Nous sommes sur le point d’engager ce processus.

Il nous semble que les entreprises qui proposent des outils de création dans le domaine de la vidéo numérique, de l’audio, de la photographie ou du logiciel devraient être réceptives au fait de présenter leurs produits sur le site d’une façon susceptible d’apporter une vraie valeur ajoutée à nos membres.

En termes de coûts, si nous sommes capables d’offrir l’hébergement et la bande passante c’est grâce à notre partenariat avec Internet Archive, une bibliothèque globale à but non commercial dont la mission est de fournir un accès permanent à la connaissance universelle. Nous n’aurions pas pu le faire sans eux.

InternetActu.net : Quelle est votre vision de l’avenir des médias citoyens dans les deux à cinq ans à venir ? Imaginez-vous une claire séparation entre les “anciens médias” et les “nouveaux médias", ces derniers devenant une alternative comparable en termes de puissance et d’audience ? Ou au contraire envisagez-vous la fusion du contenu journalistique et des voix individuelles, donnant naissance à un “nouveau nouveau média” ?

JD Lasica : Je crois que nous allons assister à une fusion des médias traditionnels et des médias citoyens, fusion qui va s’opérer de plusieurs façons très significatives. On voit déjà des publications majeures comme Le Monde en France (qui offre des blogs à ses abonnés) ou Business Week (qui publie plusieurs blogs, dont un consacré aux blogs ouvert en avril 2005) se plier au vent du changement.

Mais les médias citoyens, en devenant multimédia, portent le phénomène à un tout autre niveau. Current.tv, une chaîne TV du câble qui démarrera cet été aux Etats-Unis, proposera des milliers de vidéo amateurs au format court, pour tenter de toucher la cible des jeunes qui se sont détournés des médias traditionnels et de leur approche “de haut en bas". Ce mois-ci, Google a démarré son initiative relative au stockage et à la diffusion de vidéo amateurs. D’autres acteurs, comme Microsoft ou AOL, se sont lancés récemment dans le blogging.

En même temps, les médias de masse ne seront pas capables de coopter ou de prendre le contrôle des médias personnels. Les fondements de ces médias citoyens sont l’ouverture et l’indépendance et les gens se rebelleront contre toute tentative de transformer les 9 millions de blogs indexés par les moteurs et les nombreux sites proposant du contenu multimédia en des sites fermés, basés sur des choix propriétaires et détenus par une poignée d’entreprises géantes.

Les médias citoyens sont l’avenir des médias. La chose la plus intéressante à suivre sera de voir comment les médias personnels évoluent de l’internet vers des canaux de diffusion plus traditionnels comme la télévision et la radio. Nous sommes déjà en train de voir le paysage radio ébranlé par l’intrusion du podcasting, qui permet à n’importe qui de créer un canal de diffusion audio auquel n’importe qui peut accéder ou s’abonner. La même chose est en train de se produire avec la vidéo et dans deux à quatre ans, des millions de personnes pourront regarder des images étonnantes depuis le canapé de leur salon, sur leur téléviseur, vivant ainsi une expérience partagée et plus du tout solitaire, isolée devant l’ordinateur. C’est à ce moment-là que la révolution va véritablement se produire.

Propos recueillis par Cyril Fiévet

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Posté le 1er mai 2005

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